Les compagnies aériennes sont-elles en train de créer une nouvelle classe d'enfants gâtés arrogants ?

Pour de nombreux voyageurs, les programmes de fidélité sont un peu comme ces petites étoiles dorées que l'on recevait quand on faisait du bon travail à l'école. Mais contrairement à ces petits autocollants reçus à l'école primaire, les programmes de fidélité et le statut de membre d'élite qui y est associé, peuvent nous aider à rejoindre des destinations exotiques gratuitement ou en profitant d'un meilleur service, autrement peu abordable. Oui, les autocollants de la maîtresse étaient sympas mais ils ne vous ont jamais permis de partir gratuitement à Madrid, en première classe.

Certains voyageurs laissent leur statut de voyageur « d’élite » leur monter à la tête. (Illustration : iStock)

Cela étant dit, les programmes de fidélité et le statut de membre d'élite qui va avec ont peut-être un effet inattendu sur les voyageurs : certains deviennent de vrais gamins arrogants et pleurnichards.

« Il existe une classe de voyageurs arrogants qui ne croient pas seulement mériter d'être mieux traités que les autres; ils sont convaincus être meilleurs que les autres », explique Christopher Elliott, journaliste et fondateur du site de voyages elliott.org. C. Elliott a écrit pour USA Today et évoquait ainsi ce phénomène grandissant des « voyageurs avec une cuillère d'argent dans la bouche », une classe de voyageurs persuadée que leur statut d’élite platine ou or, leur incroyable cumul de miles et/ou leur simple présence en première classe leur donnent le droit de se croire supérieurs à l'équipage et aux autres passagers. Les histoires que C. Elliott raconte vont définitivement vous surprendre.

Camille Jamerson raconte à C. Elliott qu'un autre passager lui a « ordonné » d'échanger son siège en première classe car il avait un statut important et souhaitait donc déplacer son ami actuellement à l'arrière de l’avion afin qu'il prenne le siège de Camille. « Ça ne s'est pas passé comme il le prévoyait », explique Camille à C. Elliott.

Brian, un employé d'une compagnie aérienne a raconté à Elliott un incident au niveau d'une porte d'embarquement lorsque 90 personnes, dont plusieurs jouissaient d'un statut de membre d'élite auprès de la compagnie, se battaient pour obtenir les 22 sièges restants pour être surclassé. « Ce qui se déroule devant le stand peut vraiment être intéressant à observer », explique Brian à C. Elliott. « Certains adultes deviennent de vrais gosses lorsqu'ils n'arrivent pas à être surclassés ».

On en voit de toutes les couleurs lorsqu'un « voyageur avec une cuillère d'argent dans la bouche » n'est pas surclassé comme il le souhaite. (Photo : iStock)

« Un agent de bord m'a dit : je m'attends vraiment à ce que ma compagnie me demande de cirer les chaussures des membres d'élite », explique C. Elliott à Yahoo Travel. Les compagnies prennent de plus en plus soin de leurs passagers premium… Des voitures de luxe les transportent du terminal à l'appareil (Delta transporte certains clients en Porsche, American Airlines en Cadillac et United en Mercedes), il y a des tapis rouges, des sièges plus grands, de meilleurs repas et parfois des douches. C. Elliott explique que certains voyageurs ressemblent à des starlettes hollywoodiennes élitistes qui passent d'un club à l'autre et qui ressortent régulièrement la fameuse phrase : « Savez-vous qui je suis ?!? »

Comment a été créé le voyageur avec une cuillère d'argent dans la bouche

ÇA, c'est l’élite : les principales compagnies aériennes amènent leurs précieux passagers vers l'appareil dans des voitures de luxe. (Photo : Delta)

« Tout commence avec les programmes de fidélité », explique Elliott à Yahoo Travel. « À partir du moment où vous compartimentez vos clients en les appelant « Argent », « Or » et « Platine », et que vous dites Comme vous êtes membre Platine, vous êtes plus spécial que les membres Argent ou que ceux qui ne participent pas aux programmes de fidélité, ce type d'élitisme peut devenir vraiment dangereux ».

D'après C. Elliott, le problème est intensifié par une nouvelle classe d'accumulateurs de points de fidélité : ceux qui suivent les blogs en ligne qui discutent des façons pour les voyageurs lambda d'accumuler plus facilement les miles et d'obtenir un meilleur statut de fidélité.

« Ils encouragent les gens à profiter de petites erreurs de tarifs et des failles au niveau des adhésions des programmes de fidélité », explique C. Elliott. « Des choses comme ouvrir quatre ou cinq cartes de crédits, faire des achats puis les retourner en accumulant plus de miles que nécessaire ».

Le résultat : « le message est clair », explique C. Elliott à propos de cette nouvelle classe d’élite. « Nous sommes non seulement plus intelligents et méritants, mais nous sommes également meilleurs que tout le monde dans l’avion ».

Certains agents de bord ont également remarqué ce phénomène.

« De nombreuses compagnies ont diminué leurs standards et offrent plus facilement aux passagers l'embarquement prioritaire, le surclassement et les boissons gratuites », explique l'agent de bord Sydney Pearl, auteure de Diary of a Pissed-Off Flight Attendant, à Yahoo Travel. « Ces avantages donnent l'impression à certains d'être meilleurs que les autres et ils en font des tonnes comme les « nouveaux riches ». Les gens qui sont aisés, habitués à un certain mode de vie sont généralement plaisants et humbles. C'est cette nouvelle génération de co****** de « nouveaux riches » qui ne traitent pas les autres correctement ».

Même les compagnies low-cost qui ne proposent pas la première classe ne sont pas à l'abri de ces voyageurs avec une cuillère d'argent dans la bouche. « Certains de nos voyageurs fréquents ont l'impression d'être les rois », nous explique un agent de bord qui souhaitait garder l'anonymat. « C'est juste une anecdote mais j'ai vu certaines personnes bouder car elles n'avaient pas le siège de leur choix ».

Les agents de bord doivent parfois gérer des passagers arrogants qui pensent être le centre de l'avion. (Photo : iStock)

Les avantages des compagnies aériennes sont de plus en plus luxueux et de plus en plus de gens essaient d'acheter et de dépenser afin de profiter de programmes de fidélité, alors que les conditions en économie sont tellement mauvaises que tout le monde évite de s'y retrouver. Du coup, d'après C. Elliott, c'est normal de voir cette explosion de voyageurs qui se croient tout permis.

« Certaines personnes ont vraiment l'impression d'être importante et de mériter d'être bien traitées alors que, vous, vous ne méritez pas d'être bien traité car vous n'êtes pas un aussi bon client », explique C. Elliott à Yahoo Travel.

Une psychologue spécialisée sur le narcissisme pense que C. Elliott tient une piste. « D'une certaine manière, les compagnies aériennes sont de mauvais parents qui gâtent certains de leurs enfants pour récompenser leur fidélité et se retrouvent aujourd'hui avec de bambins gâtées et narcissiques », explique Ramani Durvasula, psychologue californienne, auteure du nouveau livre Should I Stay or Should I Go: Surviving A Relationship With a Narcissist. D'après elle, les incroyables avantages offerts aux voyageurs d'élites, combinés à la difficulté du voyage aérien, transforme le vol en « creuset de narcissisme ».

« Voyager dans le confort est un jeu de haut niveau et dire à certains qu'ils sont spéciaux leur donne le sentiment d'être au dessus de tout et ils deviennent narcissiques », explique Dr. Durvasula. « Ils commencent à croire qu'ils sont spéciaux (en demandant par exemple que d'autres personnes échangent de sièges avec leur partenaire de voyage), sans comprendre que ces avantages disparaissent lorsqu'il est temps de relever sa tablette et de redresser son siège ».

Et faites attention lorsque le statut de membre d'élite de ces voyageurs arrogants ne leur permet pas d'obtenir ce qu'ils souhaitent. « Les gens se battent pour obtenir ce statut et ils ne savent pas comment réagir lorsque leurs souhaits ne sont pas exaucés », explique-t-elle. « Lorsque le voyageur d’élite arrive et que le vol est complet, son statut d’élite ne lui apporte rien de spécial, et c'est la catastrophe. Les narcissistes ont du mal à accepter de redescendre de leur petit nuage, surtout lorsqu'il est à 10 000 mètres d'altitude ».

À la défense du voyageur d’élite

La plupart des membres d'élites sont charmants. (Photo : iStock)

Certains agents de bord ne sont pas d'accord avec cette idée des voyageurs avec une cuillère d'argent dans la bouche.

« Les mauvais comportements se multiplient mais je ne trouve pas que cela soit plus remarquable en première qu'en économie », explique l'hôtesse Heather Poole, auteure de Cruising Attitude: Tales of Crashpads, Crew Drama, and Crazy Passengers at 35,000 Feet. « Lorsqu'un passager exagère en première classe, c'est un peu plus choquant car ils sont plutôt bien lotis par rapport au reste de l'avion. Ils sont généralement plutôt contents d'avoir échappé à la classe éco ».

L'hôtesse Kara Mulder, créatrice du blog « The Flight Attendant Life » explique à Yahoo Travel que les gens arrogants le sont, peu importe où ils se trouvent. « La plupart des gens n'ont pas le bouton on/off pour co***** », explique-t-elle. « Le coût d'un ticket ne détermine pas si quelqu’un se croit spécial ». La personnalité est le facteur déterminant qui permet de savoir comment la personne va réagir.

Même Elliott est d'accord : « il est important de noter que tous ceux qui se trouvent à l'avant de l'avion ne sont pas des enfants gâtés », explique-t-il à propos du phénomène de la cuillère d'argent. « D'innombrables personnes sont en première classe et se comportent très bien. Il s'agit du comportement d'une petite minorité ».

Comment gérer le phénomène de la « cuillère d'argent »

Revoir les programmes de fidélité pourrait être une solution. (Photo : iStock)

Elliott pense que les compagnies aériennes pourraient limiter les mauvais comportements de cette petite minorité en révisant leurs programmes de fidélité. « Ils devraient peut-être arrêter d'utiliser ces termes : je suis Or, je suis Platine, je suis spécial ! », explique-t-il. « Il faut arrêter de dire aux autres qu'ils sont spéciaux alors que cela n'est pas vrai. Nous allons tous au même endroit ».
Elliott souhaite également se débarrasser des avantages exagérés. « Débarrassez-vous des Porsche », suggère-t-il. « Utilisez peut-être l'espace bar ou douche (en première) et donnez un peu plus de place à l'arrière de l'avion ».

Mais ce type de mouvement pour rendre le voyage plus égalitaire ne plait pas vraiment aux compagnies aériennes car les programmes de fidélité ont beaucoup de valeur pour elles. Les compagnies aériennes ne révèlent généralement pas de chiffres précis à propos des programmes de fidélité mais Business Insider a rapporté que la valeur du programme de fidélité de Qantas est estimée à environ 2.5 milliards de dollars. Il est peu probable qu'une compagnie aérienne abandonne quelque chose d'aussi rentable juste à cause de quelques voyageurs qui ne savent pas se comporter correctement.

Cependant, les compagnies semblent avoir trouvé une solution au problème du voyageur avec une cuillère d'argent dans la bouche. Cette semaine, American Airlines est devenue la dernière des trois principales compagnies aériennes américaines à annoncer des changements au niveau de son programme de fidélité afin que les miles des voyageurs fréquents soient comptabilisés en fonction des tarifs payés et pas des miles parcourus. Le Time explique que cette décision devrait « faire bouger les choses au niveau des combines de voyages, qui permettent à certains de lire les petits caractères pour profiter des programmes de fidélité et voler à des prix dérisoires ou même gratuitement ».

En d'autres termes, ces programmes d’élite vont être de plus en plus exclusifs, ce qui devrait limiter le nombre de personnes avec une cuillère d'argent dans la bouche susceptibles de poser problème.

Cela peut paraître horrible pour les nombreux passagers qui, maintenant qu'il est de plus en plus difficile de grimper sur l'échelle des membres d’élite, vont se retrouver face à leur pire cauchemar : voler en classe éco avec tout le monde. C'est le problème avec le statut d'« élite » : par définition, tout le monde n'y a pas accès ou est en mesure de le conserver. C'est peut-être aussi bien comme ça.

Sid Lipsey