Livres : le top 10 du mois de mai
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Livres : le top 10 du mois de mai
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« La Péremption », de Nicolas Fargues (P.O.L)
Zélie. Son prénom est celui d'un personnage de Balzac en même temps que celui des petites filles modernes baptisées par leurs parents selon le goût d'antan. Et ce prénom sonne terriblement juste, comme chaque détail de ce roman décapant et souvent hilarant, dont le sujet est le temps, l'air de notre époque autant que celui qui passe sans qu'on y puisse rien faire d'autre que quelques injections. À 50 ans, Zélie flotte. Entre la promesse qu'elle s'est faite de ne jamais penser que c'était mieux avant, et l'incompréhension devant les nouveaux us et coutumes de la société, incarnés par Furio, son fils chéri en même temps qu'ovni, vendeur chez Sonia Rykiel et consommateur de stupéfiants, « dans le pire des cas, il aurait l'overdose stylée ». L'humour de cette femme dépassée, souvent blessée, est sa façon bravache d'avancer la tête haute. Avant d'être trop vieille dans un entourage où tout le monde « fait jeune », elle a décidé de prendre sa retraite d'enseignante en arts plastiques pour se lancer dans un projet personnel. Moraliste et dupe de rien, Nicolas Fargues met dos à dos les sexes et les générations, et pas seulement parce que Zélie rencontre un jeune Congolais : « La situation nous renvoyait l'un à l'autre à un épouvantable cliché : la Blanche vieillissante et son ultime coup de fraîcheur par mâle noir interposé. » Se jouer des clichés et des rôles, c'est la spécialité de Nicolas Fargues depuis « Le Tour du propriétaire ». Dans « La Péremption », il joue aussi drôlement avec les « éléments de langage ». C'est fort mais jamais cruel, les échanges entre Zélie et sa mère sont déchirants. D'ailleurs, le roman est dédié à sa mère.
Olivia de Lamberterie
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« Un Couple », d'Éliette Abécassis (Grasset)
À ce couple de nonagénaires que l'on découvre assis sur un banc au jardin du Luxembourg, le 8 mai 2022, on prêterait une sagesse enviable. Ils se sourient avec tant de « bienveillance » qu'ils doivent connaître la recette du bonheur. Et ont résisté à l'usure et à l'échec. Sauf que l'on se trompe : comme les autres, Alice et Jules sont passés par tous les états. Pour observer les méandres d'une relation conjugale, ses crises et ses résurrections inespérées, Éliette Abécassis invente un cadre narratif astucieux. Elle remonte le temps et raconte l'histoire d'Alice et de Jules en la commençant en 2022, pour l'arrêter en 1955 : plus de soixante-cinq ans de vie commune. Chaque chapitre indique la date à laquelle Abécassis saisit le couple : 2008, 2001, 1998, etc. En procédant ainsi, la romancière trompe les hypothèses et offre un miroir à des expériences universelles : comme Alice et Jules, chacun a connu la confiance immense que donne une rencontre, « ce sentiment que la vie avait un sens, une essence ». Mais chacun a aussi pu vérifier la fragilité d'une telle espérance. À travers ce couple, c'est également l'histoire de la France que peint l'autrice. Alice et Jules ont gravi l'échelle sociale, Jules en devenant architecte, Alice, journaliste. Jules fut trotskiste et libertaire, puis socialiste. En 2001, le Parti socialiste le déçoit, et il confie ceci à son épouse : « En fait je suis de gauche. Mais pas de cette gauche qui n'est plus de gauche. » « Un couple » éclaire les variations de l'identité au fil des âges. Des sentiments renaissent de leurs cendres, d'autres pas ; cette alchimie est imprévisible.
Virginie Bloch-Lainé
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« Divorce à l’anglaise », de Margaret Kennedy (La Table Ronde)
Après le triomphe de la saga des Cazalet, d'Elizabeth Jane Howard, La Table Ronde publie un roman vintage de Margaret Kennedy sur l'échec d'un mariage dans l'Angleterre des années 1930. Délectable ! Le divorce était presque parfait. Au début du roman, Alec et Betsy Canning s'accordent sur les motifs de leur séparation. Lui l'a trompée, ouvertement, distrait par ses succès professionnels. Elle lui en veut, profondément, de ne pas lui avoir offert la vie qu'elle pense mériter. Mais, dans l'Angleterre corsetée et convenable des années 1930, nul mariage ne se dénoue sans une pointe de scandale. À Londres, les rumeurs vont bon train. Alec a-t-il séduit Joy, leur jeune gouvernante ? Betsy a-t-elle prévu, depuis longtemps, d'épouser Max, son cousin titré et fortuné ? La vérité varie selon la personne qui s'amuse à la colporter. Au cœur de ces champs de mensonges et de trahisons se déchirent également leurs trois enfants. À l'âge de 16 ans – c'est la loi –, chacun devra choisir avec quel parent il veut vivre, et donc son camp. Kenneth, l'aîné, est le fils éternel de sa mère. Daphne, la dernière, se rêve déjà en lady grâce à son nouveau beau-père. Il ne reste guère qu'Eliza, fille du milieu, pour trouver des qualités à Alec. Si l'on s'arrête au seuil des apparences, l'affrontement entre les époux Canning est dicté par des intérêts superficiels. Mais Margaret Kennedy brise le vernis des vanités avec une incroyable subtilité. L'élégance, l'ambition, la bienséance – délicieusement décrites – les ont enfermés dans des rôles qu'ils osent enfin interroger. Malgré tout ce qu'il comporte de cruauté, le divorce bouleverse pour le meilleur cette famille étriquée, devenant une valse joyeuse de quiproquos et de révélations. Un ravissement à chaque instant.
Flavie Philipon
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« Le dernier homme blanc », de Mohsin Hamid (Grasset)
C'est un court roman au pitch ultramalin et à l'exécution déroutante. Scène une, intérieur jour : « En se réveillant un matin, Anders, un homme blanc, découvrit que sa peau était devenue d'un brun profond et sans appel. » Jour après jour, mois après mois, les Blancs deviennent noirs. De ce postulat kafkaïen, dont Mohsin Hamid pourrait tirer une satire politique, découle en réalité un livre intimiste sur la perte, le deuil et le lien amoureux. Reléguant le grand « changement » à l'œuvre dans la société au rang de désagrément cocasse, l'écrivain pakistanais porte son regard vers la relation naissante entre Anders et Oona. Amis depuis longtemps, ils sont amants depuis peu. Elle porte encore le deuil de son frère jumeau et s'occupe de sa vieille mère raciste. Lui vit avec son père mourant. Alors que le socle sur lequel reposaient leurs vies sans même qu'ils le sachent – cette « whiteness » qui organisait leur société – se décompose, tous les deux sont amenés à réinventer leurs vies et leur rapport aux autres. Car, si tout le monde devient noir, alors qu'advient-il du racisme, ou du privilège blanc ? Dans une vie où tout change, qu'est-ce qui compte vraiment ? « […] Il s'était marié et avait trouvé l'amour et perdu l'amour et changé de couleur ; quoi de tout cela avait le plus d'importance à ses yeux, il l'ignorait, mais sûrement, sûrement n'était-ce pas la couleur. » Les longues phrases méditatives de Mohsin Hamid, gonflées de trivial et de vital, donnent à ce roman étrange des allures de fable, et proposent de se débarrasser de la race pour mieux vivre tout le reste. Inégal et audacieux.
Clémentine Goldszal
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« Demain, même heure », d'Emma Straub (Les Escales)
Avoir 40 ans et 16 ans en même temps, c'est un sentiment que nous sommes nombreux à avoir ressenti. Mais quand ça se passe « pour de vrai », comment fait-on ? Lorsque la New-Yorkaise Alice Stern se réveille, après une soirée d'anniversaire beaucoup trop arrosée, ce n'est pas une quadragénaire qu'elle trouve face au miroir, mais une ado de 1996, avec tous les accessoires afférents (Walkman, bandeau fluo, petit copain à grande mèche et clopes planquées dans la trousse). Autre surprise, divine pour le coup : son vieux père adoré qu'elle a laissé mourant la veille est de nouveau fringant, et pour cause, il a l'âge qu'elle vient d'avoir en 2022. Tout ça semble bien compliqué ? Pourtant, c'est délicieux, drôle et émouvant. Si le voyage dans le temps est un thème classique, la façon dont Emma Straub met celui de son héroïne en scène est virtuose. Alice a découvert comment aller et venir entre les époques, de quoi lui permettre de régler des choses dans le passé et de mieux préparer l'avenir. Car, à 40 ans, la jeune femme piétine, professionnellement et sentimentalement. Et si la solution à nos problèmes d'adultes n'était pas devant, mais derrière nous ? Au-delà du côté « comédie romantique », si agréable à lire, il y a de la profondeur dans ce livre et une tendresse contagieuse. De quoi nous donner envie d'appeler tous les gens qu'on aime, tant qu'il est temps… et de leur offrir « Demain, même heure ».
Alix Girod de l’Ain
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« La Fureur de vivre », de Lauren Hough (Les Éditions du Portrait)
Cate Blanchett a craqué en lisant « La Fureur de vivre » dont elle a préfacé la version française. Car on tombe très vite sous le charme de Lauren Hough, de son écriture qui déshabille avec un humour féroce les expériences les plus viles, ennoblit les choses les plus dures, trébuchant sur les mots comme sur les pavés pour délivrer sa soif de vivre et déboutonner nos habitudes de lecture. Née en 1977 et élevée dans la « secte pédophile cheloue » de David Berg, l'autrice incorpore l'armée de l'Air à 18 ans, seul moyen d'avoir un toit et de manger lorsqu'on fuit La Famille (la secte). Fin des années 1990, en Caroline du Sud, sa voiture est incendiée. Ce n'est pas la première fois que Lauren reçoit des menaces : « Meurs sale gouine »… jusqu'au « Canif ou batte, mon cœur balance ». L'armée se mêle à l'enquête et l'accuse d'avoir menti, de ne pas avoir mentionné son homosexualité. Mais, depuis 1993 et le fameux « Don't ask, don't tell », Lauren n'allait pas chanter sur tous les toits avec qui elle couchait. En 2001, elle quitte les gradés. Et là, on entre dans la survie, le stress permanent : elle dort assise dans une petite Ford, avale des nachos tartinés de pâté pour chiens, est videuse dans une boîte gay, passe une semaine au trou pour rien… jusqu'au magistral chapitre « Tech ». De cette fresque douloureuse ne surgit pas une once de délectation morose. Flamboyante écrivaine, Lauren Hough nous aimante avec sa voix du dedans qui résume tout – « parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée » – et inspire ce léger décrochement qui laisse apparaître l'invisible « rêve de vivre ».
Sandrine Mariette
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