Malgré le traumatisme, les rescapés de l'incendie de la rue Erlanger veulent témoigner au procès

Malgré le traumatisme, les rescapés de l'incendie de la rue Erlanger veulent témoigner au procès

"Quand nous sommes finalement arrivés, pas exactement dans la rue car tout était barricadé, on ne pouvait pas approcher. Il y avait des pompiers qui entraient et sortaient (...) Je me demandais où était ma mère, où était mon père? (...) C'était l'immeuble de mes parents mais dans ma tête, j'avais toujours l'espoir que c'était un autre qui était en feu."

Richelle a perdu ses deux parents dans la nuit du 4 au 5 février 2019. Le couple âgé de 65 et 58 ans, en France depuis 20 ans, résidait au 7e étage du 17 bis de la rue Erlanger dans le 16e arrondissement de Paris. Ce lundi, elle sera présente à l'ouverture du procès de l'incendie de l'immeuble, allumé volontairement par une habitante, Essia B. qui comparaît pendant trois semaines devant la cour d'assises de Paris. 10 personnes sont mortes cette nuit-là.

"Tout le monde se réjouit qu'il y ait un procès", soutient Me Déborah Meier-Mimran, avocate d'une vingtaine de parties civiles.

Une journée et demi est prévue pour les entendre.

"Besoin de comprendre"

La responsabilité pénale d'Essia B. a été au cœur de l'instruction qui a duré plus de trois ans. L'altération du discernement a été retenue alors que la jeune femme sortait deux semaines plus tôt d'un séjour en hôpital psychiatrique, le 13e en dix ans.

Les rescapés de ce violent incendie et les familles des victimes savent qu'ils devront faire face dans la salle de la cour d'assises de Paris à "une accusée qui ne répondra pas à leurs questions".

"Ils veulent mettre un visage sur un nom", explique Me Helena Christidis, avocate de trois victimes directes. "Ils ont besoin de comprendre, ils sont en colère parce qu'ils ne comprennent pas. Mais peut-on comprendre ce geste..."

Certains rescapés sont retournés vivre chez leurs parents, d'autres ont quitté définitivement Paris et ne veulent jamais y retourner. Tous sont polytraumatisés avec des conséquences diverses: l'appréhension à prendre le métro, celle de vivre dans un immeuble ou encore l'angoisse provoquée par un bruit d'écoulement d'eau, rappelant l'intervention des pompiers.

Des rescapés à la barre

Nadjib a perdu sa femme Radia dans l'incendie. Le couple âgé d'une quarantaine d'années vivait au 6e étage du 17 bis de la rue Erlanger. Un étage où il n'y avait pas de rambarde, les empêchant de se réfugier sur le toit. Radia s'est défenestrée, son mari a été sauvé in extremis par les pompiers. Il viendra témoigner devant la cour d'assises, en tant que rescapé et proche de victime.

"Il souhaite participer à cette œuvre de justice en espérant qu'il sera un peu allégé dans sa douleur", résume son avocat, Me Julien Plouton. "Ce sont des faits qui l'ont terriblement impacté."

Tout comme Nadjib, une autre résidente de 55 ans vit depuis quatre ans avec "la culpabilité du survivant". La nuit du drame, elle est restée accrochée pendant des heures à une rambarde. Pensant qu'elle allait mourir, elle avait téléphoné à ses parents pour leur faire ses adieux. Entendue par les policiers au lendemain de son sauvetage, elle n'a plus eu à faire à la justice depuis ce jour-là.

"Beaucoup d'habitants sont des fantômes dans ce dossier", déplore Me Déborah Meier-Mimran. "Avec ce procès, ils veulent donner un visage à des noms sur une liste."

De nombreuses questions en suspens

Au-delà de la responsabilité pénale de l'accusée, les questions sont nombreuses du côté des parties civiles, à commencer par celle de la prise en charge des personnes fragiles psychologiquement.

"Pourquoi était-elle libre si on savait qu'elle était dangereuse?", interroge Me Helena Christidis au nom de ses clients. "La famille de Radia a conscience qu'Essia B. avait des fragilités psychiques, pourquoi prendre le risque que des choses comme celles-là interviennent?", abonde Me Julien Plouton.

"Nous ne connaissions pas cette femme, pourquoi vivait-elle ici si elle avait des troubles mentaux, pourquoi elle vivait avec des gens normaux? J'ai beaucoup de questions", confie Richelle.

Les autres interrogations portent sur l'intervention des secours, alors que de nombreus immeubles parisiens ont la même configuration que l'ensemble de la rue Erlanger. "Quelles ont été les conditions d'intervention?", interroge Me Déborah Meier-Mimran. "Est-ce que les secours ont compris rapidement que certaines personnes dans les étages allaient mourir? Il ne s'agit pas d'une critique, ils veulent juste comprendre." Les pompiers intervenants seront auditionnés vendredi.

Article original publié sur BFMTV.com