Que ressent-on quand on est victime de stealthing ?
Le stealthing, l’action de retirer un préservatif sans l’accord de l’autre au cours des rapports, fait le buzz depuis quelques semaines.
Les internautes débattent sur les réseaux sociaux afin de savoir si cette pratique pourrait être associée à un viol, depuis que de nombreuses victimes, hommes et femmes, s’expriment sur leur expérience.
Alexandra Brodsky est à l’origine de l’étude initiale qui a permis de populariser l’expression. Elle mentionnait dans le rapport avoir discuté avec plusieurs femmes qui n’avaient jamais évoqué leurs expériences et avoir trouvé des forums en lignes troublants, constatant que certains hommes considéraient la pratique comme un « droit naturel du mâle ».
La question du « deux poids, deux mesures » se présentait également au sujet des femmes, certains hommes confiant que celles qui mentent à propos de la contraception devraient être traitées avec le même dédain.
Un homme, qui a eu un enfant à cause d’une ex qui lui a menti à propos de la pilule, a ainsi confié : « La responsabilité est partagée des deux côtés. Si vous pensez être suffisamment responsable pour avoir des relations sexuelles, vous êtes suffisamment responsable pour gérer les conséquences de vos rapports sexuels. Pour faire bref : ne dormez pas avec une personne en qui vous ne faites pas entièrement confiance et avec qui vous n’êtes pas prêt à donner la vie et éduquer un enfant ».
Cependant, les femmes et les hommes devraient-ils vraiment s’abstenir, à moins d’êtres sûrs à 100 % de ne pas risquer d’avoir un enfant ou une MST ? Et le stealthing est-il vraiment une forme de viol ?
Nous avons discuté avec plusieurs victimes, ainsi que des experts en criminalité et santé sexuelle afin d’en apprendre davantage sur cet acte sexuel dangereux.
Que ressent-on quand on est victime du stealthing ?
« Ça m’est arrivée quand j’étais ado », confie Rose, 25 ans, à Yahoo Style UK. « J’étais à une soirée et je flirtais avec un ami. Nous sommes allés dans ma voiture pour nous amuser un peu ».
« J’avais un préservatif avec moi et je lui ai demandé de l’enfiler. Nous étions tous les deux ivres et dans une voiture sombre, et je n’ai pas réalisé qu’il ne l’avait pas mis », continue-t-elle. « J’ai finalement compris en trouvant le préservatif encore dans son emballage ».
Rose confie qu’elle était « énervée » suite à cette trahison qui avait ôté la notion de consentement du rapport sexuel. « Je me suis sentie violée », confie-t-elle. « Et j’ai coupé les ponts avec cette personne. J’ai prévenu mes amis, mais nous n’avons jamais évoqué l’idée d’une agression sexuelle ».
Des années plus tard, Rose a recontacté son ami, lui expliquant pourquoi elle était si bouleversée. (« Il ne se souvenait même pas de ce qui s’était passé. Et il avait des regrets et des remords »). Elle est convaincue que le stealthing devrait être considéré comme un viol.
« J’ai compris que ça allait au-delà d’une attitude de merde, maintenant que j’en sais davantage sur la culture du viol et la patriarchie. C’était dangereux et irrespectueux. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un acte malicieux volontaire, mais j’ai eu l’impression que ma sécurité sexuelle ne comptait pas ».
« Je pense que ce comportement devrait être considéré comme un viol. Le viol concerne les actes sexuels sans consentement. Je n’aurais jamais accepté d’avoir des relations non protégées, car je ne souhaite pas prendre le risque de tomber malade ou enceinte ».
Une autre victime, Jonni, 20 ans, ne trouve pas le stealthing aussi noir ou blanc. « Dans la plupart des cas, cela devrait être considéré comme un viol. Mais, il existe des exceptions », confie-t-elle.
Jonni n’a réalisé que son partenaire avait retiré son préservatif qu’au beau milieu de leurs ébats : « J’avais des rapports consentants avec une personne que je connaissais et nous utilisions un préservatif au début. Il s’est arrêté et j’ai remarqué quelque chose de différent. Je lui ai demandé d’arrêter et c’est à ce moment que j’ai vu qu’il avait retiré le préservatif ».
Jonni se souvient de son état d’esprit après avoir demandé à l’homme de partir : « je n’étais pas énervée, ni quoi que ce soit. J’avais juste l’impression qu’il était malhonnête ».
Cette notion de « malhonnêteté » semble apparaître régulièrement dans les conversations sur le stealthing. Surtout dans cette fureur médiatique actuelle qui se concentre uniquement sur les victimes femmes, oubliant (comme par hasard) la communauté qui ne connait cet acte illégal que trop bien.
On (les homosexuels) fait face au stealthing « depuis qu’on utilise des préservatifs », confie John, 32 ans. « Je suis énervé car j’ai l’impression que les homosexuels vulnérables ont été oubliés et ne sont pas pris en considération. Le stealthing n’a commencé à faire parler de lui que lorsque les femmes hétérosexuelles ont réalisé qu’elles pouvaient également en être victime ».
John était heureux d’évoquer sa propre expérience. « J’avais des rapports avec un nouveau partenaire. Nous avions décidé d’utiliser un préservatif avant de commencer (pas juste par défaut sans discussion, ce qui est généralement le cas chez les homosexuels) », confie-t-il.
« J’ai remarqué que je ne sentais plus le préservatif à un moment donné. J’ai demandé où il était passé et il a répondu sans sourciller : Oh, je l’ai retiré. Super sensation. Je n’arrivais pas à réfléchir à ce moment-là. Il m’a sorti la réplique du Je te promets, je suis clean (c’est-à-dire: pas atteint du VIH). Il est difficile de renégocier le consentement dans le feu de l’action, alors j’ai continué ».
Il se souvient encore très clairement de la « sensation de viol et d’abus de confiance » et se sent « coupable » de s’être trahi lui-même. « Si j’avais eu l’esprit plus clair, j’aurais pris des décisions différentes. J’aurais dû arrêter ça. J’aurais dû le virer ».
Cependant, John précise qu’il ne considère pas du tout qu’il s’agissait d’un viol, ajoutant : « C’est quelque chose qui arrive et un risque que nous prenons ».
Il considère plutôt que l’attention sur le stealthing devrait passer de la question « Est-ce un viol ? » à une approche plus équilibrée. Le stealthing est présenté comme un problème de santé sexuelle chez les homosexuels, mais comme un problème d’agression sexuelle chez les hétérosexuelles. Nos sentiments de traumatisme et de viol sont ignorés. Le stealthing n’est pas une nouvelle « tendance ». Les homosexuels le subissent depuis le début ».
Quels sont les risques ?
Les risques associés sont bien évidemment importants.
« Beaucoup de gens optent pour des préservatifs, car il s’agit de l’unique forme de contraception qui protège contre les maladies sexuellement transmissibles et les grossesses », confie James Long, coordinateur Education et Bien-être pour l’organisation caritative britannique spécialisée sur la santé sexuelle Brook.
« Tout acte qui compromet ou ébranle cette décision, permettant ainsi à certaines personnes d’attraper des MST ou de tomber enceinte, est dangereux et inacceptable ».
« Les deux partenaires ont le droit de dire non et d’arrêter à tout moment au cours d’un rapport, et j’aimerais que tout le monde respecte cela. Si vous êtes victime de stealthing, je vous invite à vous rendre à votre service de santé sexuelle du coin et d’en discuter avec un professionnel afin d’être dépisté immédiatement ».
Que faire si vous êtes victime de stealthing ?
Beaucoup de gens ignorent si c’est illégal, mais certains experts ont confirmé que cet acte était bien illégal dans certains pays.
« La loi et le Crown Prosecution Service citent clairement que ce « stealthing » est un crime sexuel sérieux », confie Katie Russell de Rape Crisis England & Wales.
« Tout le monde a le droit d’accepter un type d’activité sexuel, mais pas un autre, et le consentement devient invalide si une personne a accepté d’avoir des rapports à condition d’utiliser un préservatif et que ce dernier est retiré sans qu’elle ne le sache ou ne donne sa permission. Des rapports sans consentement sont synonymes de viol ».
« Vous avez le droit de ressentir ce qui vous plait si vous êtes victime de cela », continue Katie. « Quelques soient les circonstances, ça n’est pas de votre faute et la suite des évènements dépend entièrement de vous. Discuter avec quelqu’un peut aider et des centres spécialisés, comme Rape Crisis, sont là pour vous écouter, et vous offrir du soutien et des informations de manière confidentielle.
Sandra Paul du cabinet Kingsley Napley confirme que le stealthing est considéré comme un viol. « Toute pénétration sans consentement est considérée comme un viol », confie-t-elle.
« L’élément qui fait du stealthing une infraction de viol est que B (la personne pénétrée) a donné son consentement à condition qu’un préservatif viable soit utilisé. La personne A (qui pénètre) n’a plus le consentement de l’autre lorsqu’il connait cette condition et décide volontairement de ne pas la respecter, devenant ainsi coupable de viol ».
La loi britannique « définit clairement la définition de consentement », confie l’avocate. La section 74 du Sexual Offences Act 2003 explique qu’une « personne est consentante en prenant une décision, et en ayant la liberté et la capacité de prendre cette décision ».
Ce choix « doit être un choix pris en connaissance de cause », continue Sandra. Elle reconnait qu’il y aura toujours un problème pour prouver l’absence de consentement au tribunal, mais mentionne qu’il existe des cas très médiatisés de stealthing.
Le fondateur de Wikileaks Julian Assange est accusé par plusieurs femmes d’avoir trafiqué et retiré ses préservatifs sans leur accord au cours de rapports sexuels. Les responsables britanniques ont conclu que la situation suffisait à organiser son extradition en Suède afin qu’il soit poursuivi pour viol.
Cela n’a bien évidement pas encore eu lieu, car l’homme de 45 ans est toujours terré dans l’ambassade de l’Equateur.
Sandra est toutefois « vraiment heureuse d’entendre parler de sujets qui vont pousser les gens, surtout les jeunes, à discuter du sexe et du consentement, et de tout ce que cela implique ».
« Le stealthing n’est pas une blague ou une farce. C’est finalement souvent associé à d’autres formes de contrôle et d’irrespect qui sont des signes d’avertissements. Si vous en êtes la victime ou que vous l’avez imposé à une autre personne, il est possible de solliciter de l’aide et d’obtenir des informations de manière indépendante ».