Se remettre d’une relation abusive : « J’avais l’impression d’être définie par cette re-lation »
YOUR LIFE : Tous les humains ont une histoire à raconter. La collection Your Life présente des histoires personnelles de Singapouriens qui reviennent sur certaines épreuves de leur vie et le courage dont ils ont dû faire preuve pour les surmonter.
Je l’ai rencontré quand j’avais 16 ans. Il avait un an de plus que moi et était ami avec mon frère. C’était mon premier « vrai » petit ami.
Tout était relativement innocent au départ, il me suivait sur les réseaux sociaux sur internet et a commencé à répondre à mes posts et à publier des commentaires. Nous jouons tous les deux au même sport, et nous nous sommes donc rencontrés en personne à l’occasion d’un match. Il est venu me parler, nous avons échangé nos numéros, et c’est comme ça que tout a commencé. Nous sommes sortis ensemble pendant cinq mois, puis il m’a demandé de devenir sa petite amie juste après avoir passé les « O Levels » (‘l’équivalent du brevet’).
Tout était merveilleux au départ. Il était doux, charmant et gentil. Personne ne m’avait jamais écrit autant de lettres. Il m’offrait des cassettes de musique et nous offrait, à moi et à ma famille, des brownies et des petits mets au curry. Ça a duré cinq mois.
Il m’a demandé de devenir sa petite amie, et tout a changé le lendemain. Nous étions au cinéma, et je portais un débardeur. Il m’a alors demandé de quitter le centre commercial et d’aller me changer. Mais le pire, c’est le sentiment de honte qu’il m’a fait ressentir, comme si j’étais coupable d’un péché. Je n’avais jamais ressenti la moindre culpabilité en dévoilant mes bras, mais je me suis sentie mal à cause de lui.
Les insultes et la manipulation ont suivi. Il me réprimandait pour des broutilles, car il trouvait que je prenais trop de temps pour traverser la rue, et il n’aimait pas que j’oublie de mettre une majuscule à son nom dans les textos. Il voulait que je devienne plus pudique et a commencé à contrôler qui j’avais le droit de voir. Au bout de deux mois, j’ai réalisé que je ne recevais plus de SMS de plusieurs amis, il avait bloqué tous mes amis hommes sur mon téléphone et mes comptes sociaux.
Il savait parfaitement comment me faire culpabiliser. J’étais jeune et je ne remarquais rien à l’époque. Je me souviens seulement de cette sensation de culpabilité que je ressentais tout le temps.
Il m’interrogeait dès que je parlais à un autre homme. Il me disait que je me comporterais de telle ou telle manière si je l’aimais. Après m’avoir réprimandée, il se rattrapait le lendemain en étant particulièrement gentil et en m’offrant des pâtisseries ou des cadeaux.
Je ne réalisais pas que c’était malsain à ce moment-là. J’avais toujours l’impression que c’était de ma faute, comme si je méritais ces agressions verbales. J’ai donc laissé faire. Je l’ai laissé me contrôler.
J’en suis même arrivé jusqu’à rédiger une liste sur mon téléphone afin d’inclure les choses que je pouvais faire et ne pas faire, en fonction de ce qu’il aimait et n’aimait pas. J’ai alors compris qu’il contrôlait une bonne partie de ma vie, et que ça n’était pas sain pour moi.
Au bout de trois mois, il a commencé à me frapper lorsque les mots ne suffisaient plus à me contrôler. Je me souviens de la première fois, je suivais une formation à l’école et je ne savais pas qu’il m’attendait à l’arrêt de bus, je suis donc restée un peu pour réviser avec un ami. Il était furieux et m’a frappé à la jambe pendant que nous attendions le bus. Il n’a jamais frappé fort, et je n’ai jamais eu de vrais bleus, je n’avais donc pas de preuves de son comportement violent.
Je suppose que je suis restée auprès de lui car nous avons passé de bons moments dont je me souviens encore aujourd’hui, malgré les très mauvais moments. Il faisait de vrais efforts afin que je me sente spéciale. Il me maltraitait avant de me traiter comme une princesse. Je suis également restée car j’avais vraiment l’impression que c’était de ma faute la plupart du temps. En y repensant, je réalise que je ne faisais rien de mal, mais je m’excusais pourtant à chaque fois qu’il me frappait.
Il a continué à me frapper suite à notre rupture. Nous allions à la même école, et il trouvait le moyen de me trouver et me parler quand j’étais seule, et il me frappait quand je l’ignorais ou que je ne répondais pas à ses SMS. Mon frère a même été obligé de courir pour l’empêcher de me frapper à plusieurs occasions.
Mes professeurs et amis connaissaient la situation, car il a commencé à me frapper devant les autres. J’avais peur d’aller à l’école et j’ai commencé à rester à la maison pour étudier au moins deux fois par semaine. L’école est intervenue et nos parents se sont déplacés, mais l’école souhaitait que l’affaire reste relativement privée et a refusé de rédiger un rapport, car il ne me frappait pas assez fort pour me blesser (il me donnait plutôt des pichenettes, m’agrippait et me tirait les cheveux). Impossible de présenter un rapport officiel sans leur aide, car tout se passait à l’école. On m’a seulement dit que les professeurs me surveilleraient.
L’un de mes professeurs (CCA) a été d’un grand soutien. Elle et mon entraîneuse faisaient en sorte que nous soyons éloignés l’un de l’autre pendant les sessions mixtes. Nous avons également dû suivre des séances de soutien, mais je ne les ai pas trouvées très utiles. Le conseiller m’encourageait à passer à autre chose au lieu de l’encourager lui à arrêter de me frapper.
La violence a finalement pris fin cinq mois après notre rupture. Je l’ai récemment vu près d’un arrêt de bus, et je me suis mise à trembler, à vouloir faire demi tour et courir en le voyant, même si je ne l’avais pas vu depuis plus de deux ans.
J’ai l’impression de ne jamais avoir eu les outils nécessaires pour tourner la page. Je voudrais simplement savoir pourquoi il a fait ça.
Cette expérience m’a transformée et a un impact sur toutes mes relations depuis. J’étais beaucoup plus amicale et je parlais plus volontiers à d’autres personnes auparavant. Aujourd’hui, j’ai l’impression de cacher une importante partie de moi-même lorsque je fais de nouvelles rencontres, et je ne me sens proche de quelqu’un qu’après avoir évoqué cette expérience.
Je suis également beaucoup plus paranoïaque quand je fais de nouvelles rencontres, car nos cercles d’amis se recoupent, et la communauté du sport que nous pratiquons tous les deux est relativement petite. Je crains donc que certaines personnes connaissent déjà ma situation avant même que je ne les rencontre, et qu’ils me jugent sans même me connaître.
Il m’est arrivé de rencontrer des gens qui connaissaient ma situation avant que j’ai eu le temps de dire bonjour. J’avais l’impression d’être définie par cette relation. J’essaie de m’en remettre, mais je ne peux pas échapper à cette expérience.
Tous mes relations semblent maintenant centrées sur cette partie de mon passé. Je fais beaucoup moins confiance aux autres, et mon petit ami actuel doit éviter certaines phrases et certaines choses qui pourraient me rappeler de mauvais souvenirs. Il m’a fallu quatre mois pour que lui parle de ça, et nous en avons parlé pendant une semaine. Je ne me sentais pas prête à devenir sa petite amie avant ça.
Je ne pourrais jamais être celle que j’étais avant tout ça, mais c’est parfois positif. Je ne laisserai plus les autres me maltraiter, je suis plus attentive lorsqu’il s’agit de mes amitiés, et je suis prête à dire au revoir à des amis qui ne m’apprécient pas à ma juste valeur. Je ne connaissais pas encore ma propre valeur, mais ça n’est plus le cas aujourd’hui.
Je ne pense pas être capable de me remettre complètement de cette relation, mais j’espère seulement qu’il ne traite plus les filles de cette manière.
Interview menée par Jill Arul.
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