La semaine de 4 jours pour les parents séparés ou divorcés, « l’exemple même de la bonne mauvaise idée »

Aujourd’hui seuls 11,5 % des enfants de parents séparés partagent strictement leur temps entre le domicile du père et celui de la mère.
J_art / Getty Images Aujourd’hui seuls 11,5 % des enfants de parents séparés partagent strictement leur temps entre le domicile du père et celui de la mère.

FAMILLE - Une semaine différenciée pour les parents séparés ou divorcés, qui ont leurs enfants en garde alternée. C’est ce que Gabriel Attal a proposé d’expérimenter, dans la fonction publique pour commencer, afin de permettre à ces parents de travailler quatre jours au lieu de cinq, une semaine sur deux. Que penser de cette idée ?

Pourquoi finalement, mes enfants et moi préférons la semaine de 4 jours et demi

Ce concept de « semaine différenciée » a été évoqué par le Premier Ministre dans La Tribune du Dimanche du 17 mars comme piste possible de test pour moduler le temps de travail dans certains cas, comme il l’avait annoncé en voulant relancer des tests de la semaine en 4 jours. Ces options devraient être mises sur la table lors d’un séminaire gouvernemental consacré au travail le mercredi 27 mars.

Contacté par Le Figaro, le cabinet de Gabriel Attal a depuis précisé : « Le sujet, ce n’est pas que les parents divorcés. Le but, c’est que la semaine en quatre jours s’adresse à tout le monde, à tous les salariés. » Donc aussi bien les parents divorcés que les autres, parents ou non, dans le public comme dans le privé.

Mais selon les informations d’Europe 1, la piste de la « semaine différenciée » avec une modulation réservée aux parents séparés ayant leurs enfants en garde alternée est bien dans l’air. Les employés qui feraient le choix de cette semaine différenciée - sur la base du volontariat - travailleraient 4 jours et seulement 33 heures de travail les semaines où ils ont leurs enfants. Et davantage les semaines de 5 jours, soit 37 heures de travail, quand ils n’auront pas la garde. L’idée étant de garder le chiffre de 140 heures par mois.

« Un bel effet d’annonce »

« Sur le papier c’est formidable. C’est une belle et grande idée généreuse du gouvernement, mais je n’arrive même pas à comprendre comment les entreprises pourraient essayer de la mettre en place. C’est un bel effet d’annonce », s’agace Migueline Rosset, avocate spécialisée en droit de la famille, en évoquant l’idée de réserver une telle modulation pour les parents en seule garde alternée. Idée qui, en théorie, représente des avantages : meilleure articulation entre vie privée et professionnelle, plus de temps en famille...

Aujourd’hui seuls 11,5 % des enfants de parents séparés partagent strictement leur temps entre le domicile du père et celui de la mère. Cette mesure concernerait donc une minorité de salariés. « C’est l’exemple même de la bonne mauvaise idée, estime auprès du HuffPost Éric Rocheblave, avocat spécialiste en droit du travail. Soit on fait la semaine de 4 jours pour tout le monde, soit on ne le fait pas. Pourquoi accorder ce privilège à seulement une partie des travailleurs, qui sont les parents séparés et pas les parents solos, par exemple ? »

Pour lui, il n’est pas cohérent de créer de fait une « inégalité de droits », qui risquerait de provoquer du ressentiment chez ceux qui ne sont pas concernés. « Semaine de 4 jours de travail pour les parents divorcés, c’est non. Je n’ai pas à subir l’échec sentimental de mes collègues », grince un internaute sur X. « Et pour ceux qui sont mariés et dont l’un des parents est militaire en OPEX, ou commercial en déplacement plusieurs jours par semaine, ou lorsqu’un des deux parents travaille à l’étranger. On fait quoi ? », demande un autre.

« Pourquoi légiférer là-dessus ? Cela existe déjà »

Auprès du HuffPost, une lectrice estime que cette annonce est « scandaleuse ». « Je suis seule avec deux enfants et le papa les prend un week-end sur deux, témoigne-t-elle. À la différence de la garde alternée, je suis seule pour tout assumer et je n’ai pas une semaine sur deux pour me reposer ou organiser ma vie sans les enfants. »

Pour l’avocat spécialiste du droit du travail, il ne semble pas nécessaire de légiférer sur ce cas de figure spécifiquement. « Dans beaucoup d’entreprises, bien souvent, il y a du dialogue, des employeurs et des salariés qui se mettent d’accord, qui peuvent mettre en place des semaines de 4 jours ou des horaires spécifiques pour certains, de façon pérenne ou temporaire, souligne Éric Rocheblave. Cette solution-là, de la semaine différenciée, est déjà possible. »

Plus encore, cela pourrait également mener à de la discrimination à l’embauche. « Les entreprises qui ne voudront pas de personnes qui travaillent 4 jours par semaine auront tendance à ne pas embaucher des personnes qui ont leurs enfants en garde alternée, prévient-il. Ou alors nous allons faire face à un pic de divorces ou de séparations, parce que tout le monde va vouloir accéder à ça ! »

L’avocate spécialisée en droit de la famille ajoute un avertissement sur la protection de la vie personnelle des salariés : « On ne peut pas demander aux entreprises de recueillir ce type d’informations, savoir si leurs salariés sont parents, séparés ou non, en garde alternée ou non, estime Migueline Rosset. Dans la fonction publique pourquoi pas, car il existe déjà des statuts réservés aux conjoints etc., mais dans le privé c’est impensable. »

« Cela va encore nuire à la carrière des femmes »

Agnès Aoudai, coprésidente du Mouvement des mères isolées (MMI), craint en outre que ces semaines de 4 jours soient particulièrement surchargées pour les parents. « Pour nous, c’est juste un coup de com’ et les mères vont devoir travailler encore plus les quatre jours qui restent, car le travail à accomplir sera le même », avance-t-elle. Dans les domaines où les horaires sont plus ou moins flexibles, tout dépendra du type de travail effectué et de la relation de confiance du salarié avec son employeur.

Autre problème soulevé par Agnès Aoudai, une telle mesure risquerait de « nuire encore davantage à la carrière des femmes ». « C’est une bonne idée si cela concerne tout le monde mais là, ça va forcément impacter la carrière des parents qui la choisiront, qui seront en majorité des femmes, et les discriminer. Elles seront exclues de fait de réunions et de projets », affirme-t-elle.

Tout dépendrait aussi de l’entreprise où la personne travaille. « Si la personne qui souhaite en bénéficier est caissière chez Carrefour, par exemple, si cela arrange Carrefour cela ne posera pas de problème, mais sinon ce sera un frein dans sa carrière, souligne l’avocate Migueline Rosset. Il faudrait aussi que dans les mentalités, une telle mesure ne soit pas considérée comme réservée aux femmes. »

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