Shein, Temu… Cette loi anti « fast fashion » veut punir l’impact environnemental de ces marques

En trois ans, le chiffre d’affaires de la marque Shein a augmenté de 900 %.
Bloomberg / Bloomberg via Getty Images En trois ans, le chiffre d’affaires de la marque Shein a augmenté de 900 %.

CONSOMMATION - Un tee-shirt col rond à 4,75 €, une nuisette rose à 6 €, un ensemble de jogging brandé « Los Angeles » à 8,79 €… Et sur chaque millimètre du site, des réductions. Si Shein est devenu le plus grand vendeur de fast fashion au monde (en trois ans, son chiffre d’affaires a augmenté de 900 %), c’est grâce à un catalogue monstre de produits vendus à des tarifs dérisoires. Le tout au mépris de l’impact environnemental et social des vêtements.

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C’est ce système économique, et celui des autres géants de l’ultra fast fashion, qu’une loi adoptée en première lecture ce jeudi 14 mars à l’Assemblée nationale veut pénaliser. Parmi les mesures prévues : le renforcement de la sensibilisation des consommateurs « sur l’impact environnemental de la mode éphémère », la mise en place d’un système de bonus-malus pour les entreprises textiles, et l’interdiction de la publicité pour les marques relevant de la fast fashion.

Une proposition de loi adoptée à l’unanimité par l’hémicycle et qui doit désormais être examinée au Sénat. Interrogée la veille du vote par Le HuffPost, Anne-Cécile Violland, députée Horizons à l’origine du texte, se félicitait déjà d’un « accueil excellent » parmi ses collègues. Ce texte devrait faire de la France « le premier pays au monde à légiférer pour limiter les dérives de l’ultra fast fashion », selon les mots tenus par le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, devant les députés.

Le coût de la fast fashion

Il faut dire que le coût environnemental de l’industrie textile est indéniable. À l’échelle mondiale, elle représente 10 % des émissions de gaz à effet de serre. Et si les tendances de surconsommation actuelles se poursuivent, l’Agence de la transition écologique (Ademe) estime que ce chiffre pourrait atteindre 26 % en 2050. À elle seule, la fast fashion est responsable d’environ un tiers du transport aérien de marchandises dans le monde.

À cela s’ajoutent la pollution de l’eau et des sols (240 000 tonnes de microparticules de plastique sont relâchées dans la nature tous les ans à cause des vêtements en matières synthétiques) et l’exploitation des ressources (le textile est le troisième plus gros consommateur d’eau dans le monde).

La proposition de loi souligne aussi l’impact social et humain des pratiques de production de la mode éphémère. « Les mises en cause par la société civile de violation des droits humains, travail forcé, travail des enfants […] sont nombreuses », détaille le texte. Un impact qui se fait aussi sentir en France où le secteur de l’habillement peine à rivaliser, comme le montre « la multiplication des entreprises placées en redressement judiciaire ».

Des consommateurs « soumis à des pressions marketing »

En France, « en l’espace d’une décennie, le nombre de vêtements proposés annuellement à la vente a progressé d’un milliard, et atteint désormais 3,3 milliards de produits, soit plus de 48 par habitant », détaille la proposition de loi. « C’est énorme, souligne Pauline Debrabandere, coordinatrice de campagne chez Zéro Waste France. Est-ce qu’on a vraiment besoin de 48 vêtements par habitant chaque année ? »

Mais pour les associations qui luttent pour une industrie textile plus éthique, le changement ne peut pas venir des consommateurs. « Ils sont soumis à une telle pression publicitaire, marketing, et via tous les comportements d’incitation à la surconsommation, qu’il faut vraiment être extrêmement motivé pour résister à tout ça et nager à contre-courant », pointe Flore Berlingen d’En Mode Climat, une association qui réunit des marques et des acteurs économiques de la mode pour lutter contre la surproduction textile.

Julia Faure, à la tête de la marque Loom et qui fait aussi partie d’En Mode Climat, se félicite donc du texte d’Horizons, « la proposition la plus ambitieuse qu’on ait eu en France » sur le sujet. « La régulation de la publicité, le bonus-malus, c’est déjà deux choses extrêmement importantes alors qu’on est dans un secteur où on se sent très abandonnés politiquement », avance-t-elle.

Un système de bonus-malus

Ce système de bonus-malus cristallise beaucoup des conversations autour du texte. La proposition de loi inscrit cette mesure dans la responsabilité élargie des producteurs (REP). « Dans ce cadre, les marques payent déjà quelques centimes par vêtement qu’elles mettent sur le marché et cet argent sert à gérer la fin de vie des vêtements, explique Julia Faure. Ce que le texte propose, c’est de faire jouer ces contributions sous la forme de bonus-malus comme ce qu’il y a dans l’automobile : les vêtements qui polluent beaucoup, payent beaucoup, tandis que ceux qui ne polluent pas beaucoup, voire qui sont bénéfiques à l’écosystème, ont des bonus. »

Sans surprise, du côté de Shein, l’idée ne plaît pas. Après que Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, a annoncé lundi 4 mars le soutien du gouvernement à la proposition de loi, le porte-parole de la marque chinoise a réagi en dénonçant un texte qui « ne porte pas sur l’impact environnemental de la mode, mais affecte le pouvoir d’achat des consommateurs français ».

Mais pour Anne-Cécile Violland comme pour les membres de Zéro Waste France et En Mode Climat, l’argument du pouvoir d’achat ne tient pas : les marques concernées par le malus restent libres de ne pas reporter son coût sur le prix de leurs produits, et pourraient surtout changer leurs pratiques pour ne plus être pénalisées.

En finir avec « la prime au vice »

Le porte-parole de Shein avance par ailleurs que le texte « cible l’activité de quelques acteurs performants, sans étude d’impact ni évaluation sur ses bénéfices environnementaux réels ». Une affirmation en décalage avec la réalité, puisque le système de bonus-malus devrait être calculé selon les données de l’affichage environnemental.

Ce projet d’éco score pour les produits textiles, issu de la loi climat et résilience de 2021, est le fruit d’un long travail méthodologique de l’Ademe et du ministère de la Transition écologique, en concertation avec les acteurs du secteur. Il devrait faire l’objet d’un décret fin avril, avec un double objectif : informer les consommateurs sur l’impact des produits qu’ils achètent et stimuler l’écoconception du côté des entreprises et des marques.

Parmi les critères de l’affichage environnemental : la consommation d’eau, les conditions de production, les rejets de microplastiques, la durabilité physique des textiles, mais aussi leur durabilité émotionnelle. Ce dernier critère peut surprendre mais la deuxième cause de fin de vie des vêtements, selon l’Ademe, est la lassitude des consommateurs. Un sentiment encouragé par le renouvellement constant des collections et les encouragements à la surconsommation des marques de fast fashion.

La proposition de loi pourrait-elle faire avancer les choses ? Anne-Cécile Violland l’espère et y voit aussi « une invitation à réfléchir sur tout ce qu’il y a derrière ce qu’on achète ». Du côté des entreprises éthiques, on souhaite enfin voir le système changer. « Aujourd’hui, les marques qui tentent de faire un peu mieux, de faire différemment, sont pénalisées par le marché, regrette Flore Berlingen. C’est une sorte de prime au vice. »

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