Journée internationale des droits des femmes : la charge contraceptive, encore trop souvent "une affaire de femmes"
D'abord symboles de libération sexuelle des femmes, les contraceptifs féminins médicalisés sont aujourd'hui perçus par certaines comme une source d'ennuis ou une charge. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, penchons-nous sur une problématique manifeste du manque d’égalité entre les femmes et les hommes.
Alors qu'elle était sous pilule, Fabienne est tombée enceinte. Pas une, pas deux, mais trois fois. Un peu “refroidie” par cette méthode contraceptive qui lui causait de plus des problèmes de poids et d'acné, la jeune femme a décidé de se faire poser un stérilet. Mais là encore, les effets secondaires furent très visibles : “Je suis passée de la princesse à la sorcière”, affirme celle qui dit avoir complètement changé de caractère. Très calme à la base, je suis beaucoup plus sur la défensive et c'est toute ma famille qui en pâtit”.
Pour la jeune femme, la charge contraceptive pèse “lourd sur les épaules des femmes”. Entre l'introduction d'hormones de synthèse dans un corps qui en est déjà “bourré”, le stress des oublis, les gênes, douleurs ou réactions allergiques dues à certaines hormones ou substances etc, elle estime que de “sérieuses remises en question s'imposent”. “Tout comme le choix de la conception d'un enfant qui est fait à deux, je pense qu'il est normal que les deux parties partagent la charge de contraception”.
Méthodes contraceptives féminines : libération ou aliénation ?
Comme elle, nombreuses sont les femmes à dénoncer les désagréments causés par leur contraception et à réclamer plus d'égalité. 27 000 d'entre elles ont même récemment signé la pétition lancée par la journaliste Sabrina Debusquat Marre de souffrir pour notre contraception, réclamant une concertation nationale à ce sujet. “En 1967, les femmes se sentaient libérées par la loi autorisant la contraception, et ne se posaient pas de question. Aujourd'hui on se méfie des hormones et des effets secondaires, on a davantage le culte du corps sain et on veut l’égalité en tout”, explique Evelyne Dillenseger, sexologue, thérapeute de couple et psychanalyste.
71,8 % des femmes recourent à une méthode médicalisée pour assurer leur contraception selon le baromètre 2016 de Santé Publique France. Depuis leur démocratisation, elles se sentent souvent le devoir de prendre la responsabilité de la contraception dans leur couple, en dépit des effets indésirables sur leur santé ou leur apparence. “L’arrivée de méthodes médicales féminines de contraception a, en effet, induit l’abandon progressif de méthodes de régulation de la fécondité utilisées par les couples et impliquant la participation des deux partenaires (retrait, abstinence périodique, méthodes barrières)”, explique l’autrice Cécile Ventola dans Cahiers du genre.
“Les femmes ont intégré que la charge contraceptive leur revenait”
“À une époque, c'était toujours aux hommes de faire attention, et c'était de leur faute si des spermatozoïdes ‘s'échappaient’. Aujourd'hui, c'est surtout une affaire de femmes”, confirme Evelyne Dillenseger. Tant et si bien que beaucoup de jeunes femmes ne se posent même plus la question lors de leur entrée dans la sexualité. Armelle, 33 ans, a ainsi jugé logique de passer de rapports sous préservatifs au début de sa relation, à la pilule après tests de dépistage du VIH. “Je n'ai même pas étudié les autres éventualités”, admet celle qui s'est contentée d'imiter ce qu'elle a observé autour d'elle.
“Une majorité de femmes ont intégré le fait que la contraception était de leur ressort. Elles se disent que c'est leur corps qui est impacté en premier, car ce sont elles qui sont susceptibles de tomber enceintes”, décrypte Cécile Malfray, membre du bureau national du Planning Familial. Par conséquent, beaucoup errent seules en quête d'un contraceptif adapté, assurant rendez-vous et frais médicaux, recherches d'informations et déconvenues. Jusqu'à atteindre parfois un point de non retour. Après avoir pris la pilule pendant 10 ans, Asma s'est tournée vers des méthodes naturelles, qui n'ont pas porté leurs fruits, puis vers le stérilet. “Mais cela me créait beaucoup de douleurs et des symptômes désagréables, alors j'ai préféré le retirer”, explique-t-elle.
Quand le couple se retrouve dans une impasse
La ligature des trompes ? La trentenaire y a pensé, mais a vite écarté l'idée. Celle qui souffre en parallèle d'une maladie chronique déjà difficile à gérer, est lasse de prendre toutes les initiatives et de faire subir à son corps toutes sortes d'expériences désagréables.
Depuis quelques mois, elle tente donc de convaincre son conjoint de s'impliquer davantage. “Je lui ai dit qu'il faudrait envisager l'opération définitive”. Pas fermé à l'éventualité d'une vasectomie, celui-ci ne se dit pas prêt pour autant à sauter le pas. Résultat : entre eux, la situation est bloquée. À demi-mot, Asma confie ainsi que leurs rapports sexuels, toujours sous préservatifs faute de “mieux”, sont de moins en moins nombreux. Quant au sujet de la contraception, il est devenu sensible entre eux et source de profondes frustrations.
S'il a été multiplié par 5 entre 2010 et 2018, le nombre de vasectomies pratiquées en France est encore quasi-anecdotique. En 2018, seuls 9 240 hommes se sont tournés vers cette opération mineure consistant à couper et bloquer les canaux qui transportent les spermatozoïdes à partir des testicules, selon les chiffres de l’Assurance Maladie. Légalisée en 2001, cette méthode est victime d'idées reçues, -elle n'est pas spécialement douloureuse et n'affecte pas l'éjaculation ni les performances sexuelles-, et nombre d’hommes redoutent ou refusent son caractère irréversible.
Les contraceptifs masculins trop souvent tournés en dérision
D'autres solutions s'offrent alors à eux, comme la contraception thermique et plus précisément les slips chauffants. Une méthode qui reste très marginale, et qui semble pour le moment ne séduire que des hommes d'âge mûr, à l'aise avec leur masculinité. En cause notamment ? Une tendance générale à tourner les moyens de contraception masculine à la dérision selon Cécile Malfray : “On considère l’homme comme trop douillet pour utiliser ces moyens de contraception […] On rigole du slip, on a peur que son port soit désagréable, comme si porter un soutien gorge ou un stérilet dans l'utérus était agréable !”. Arnaud, 34 ans, abonde en ce sens : “toutes ces méthodes pour hommes me paraissent vraiment compliquées. Avec un slip chauffant, j’aurais peur d’être ridicule, et plus grave, de devenir stérile définitivement. Même si on m’a rapporté qu’il n’y avait aucun risque...”
Outre ces peurs irrationnelles, la membre du Planning Familial y voit aussi la conséquence d'un manque de volonté, de la part des hommes, mais aussi des politiques de santé, et des médecins. “S'ils en acceptaient l’idée et la mise en pratique, les méthodes de contraception masculines pourraient être utilisées dès aujourd’hui en alternance avec la contraception féminine et permettrait le partage des responsabilités et des risques”. Heureusement, nuance-t-elle, de timides progrès se font ressentir auprès des tout jeunes couples, notamment lycéens. Les filles osant davantage réclamer une plus grande parité, leurs petits amis commencent à émettre le souhait de s'impliquer dans la contraception.
Les femmes ont parfois du mal à déléguer la contraception
Encore faut-il que les femmes s'interrogent sur leur réelle capacité personnelle à déléguer. Si elle se plaint fréquemment des maux provoqués par sa pilule, Armelle, 33 ans, ne voudrait pas que la contraception soit assurée par son petit ami. “J'avoue que j'aurais peut-être un peu de mal à lâcher prise”, raconte la Parisienne. Car si la contraception est indéniablement une charge pour les femmes, elle peut aussi, lorsque celle-ci leur convient, les tranquilliser : “Elles peuvent se sentir plus légères au moment de faire l'amour car elles savent qu'elles ont bien pris leur pilule [...] Alors que certains hommes voient la pilule dans le sac à main de leur compagne, mais doutent de pouvoir leur faire confiance...”, explique la sexologue, thérapeute de couple et psychanalyste Evelyne Dillenseger.
Chez les couples passant à la contraception masculine, le changement est souvent “facteur de stress” pour la femme, note Cécile Malfray. Sans compter que déléguer la contraception, revient aussi à déléguer un pouvoir, selon la trésorière confédérale du Planning Familial. “Les femmes peuvent utiliser la raison de l'absence de contraception pour négocier de ne pas avoir de rapport sexuel, ou d’utiliser un préservatif. Mais comment faire quand le partenaire est lui-même contracepté ?”.
L'importance du consentement contraceptif
Consciente de ces inconvénients, Armelle a pris le parti de continuer à prendre la pilule, tout en impliquant son compagnon dans sa démarche. Celui-ci se tient désormais informé de ses rendez-vous médicaux et questionnements. “Je lui rappelle régulièrement de prendre la pilule à l'heure, j'estime aujourd'hui que c'est aussi mon rôle. Nous partons bientôt en voyage dans un pays avec un gros décalage horaire et j'ai proposé de l'aider à y penser lors de chaque excursion”, explique le jeune homme, qui a aussi commencé à participer aux frais. Et ce n'est pas un détail lorsque l'on sait que la pilule peut coûter jusqu'à 140€ par an et le patch 185€, selon la Haute Autorité de Santé. “Les hommes peuvent aussi s'investir en reconnaissant les efforts déployés par leur compagne, ainsi que les incidences éventuelles”, complète Cécile Malfray.
Mais quand aucune solution satisfaisante à long terme n'est trouvée, la thérapeute de couple Evelyne Dillenseger conseille d'instaurer des périodes d'alternances : des petites phases où la femme prend une contraception, suivies de périodes lors desquelles l'homme met le préservatif ou pratique la période du retrait. “Si cela s'avère trop délicat, ils peuvent aussi très bien faire l'amour sans pénétration, avec des caresses, en utilisant des sextoys. C'est l'occasion de découvrir une autre forme de sexualité...”.
Tout comme le consentement sexuel, le consentement contraceptif reste un pré-requis à tout rapport intime. Et comme le consentement sexuel, celui-ci doit être régulièrement re-questionné en couple au fil des périodes de vie, de l’évolution des corps et aspirations. Ce n’est qu’à ce prix, et en évaluant de façon juste et exhaustive le panel de solutions proposées et leurs conséquences, que l’on pourra espérer tendre vers l’égalité. Si toutefois le monde médical accepte d’oeuvrer en ce sens...