Bloquer les sites pornos aux mineurs ? « Ils accéderont à du contenu par d’autres moyens »

Bloquer les sites pornographiques aux mineurs ne les empêchera pas de visionner du contenu en ligne, selon cette chercheuse.
Bloquer les sites pornographiques aux mineurs ne les empêchera pas de visionner du contenu en ligne, selon cette chercheuse.

PORNOGRAPHIE - La réalité est parfois très éloignée de ce que prévoit la loi. Alors que les sites X sont théoriquement interdits aux mineurs, plus de 50 % des 12-13 ans regardent quand même de la pornographie chaque mois, selon un récent rapport de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

C’est dans ce contexte que le gouvernement a annoncé la mise en place d’un dispositif de contrôle de l’âge afin de restreindre l’accès à ces sites aux mineurs, dans le cadre du projet de loi visant à « sécuriser et réguler l’espace numérique », adopté à l’unanimité par le Sénat mercredi 5 juillet. Pour justifier cette mesure, le gouvernement s’appuie sur le rapport sénatorial Porno, l’enfer du décor, selon lequel « 90 % des scènes pornographiques comportent de la violence ».

Les contours du dispositif de contrôle de l’âge sont encore flous, mais il devrait être effectif dès septembre. Et des doutes subsistent sur son efficacité : selon une enquête de l’Ifop, parue ce jeudi 6 juillet, 74 % des Français approuvent le principe de blocage des sites X aux mineurs, mais 81 % estiment que le système sera contourné.

Une hypothèse que partage la chercheuse Ludi Demol Defe, spécialiste de la consommation pornographique chez les jeunes, que Le HuffPost a contacté. Selon elle, les mineurs continueront de regarder ce type de contenu en utilisant d’autres moyens. Et cette interdiction ne réglera pas les problèmes liés au sexisme et au harcèlement sexuel.

Le HuffPost : Pourquoi le blocage des sites pornographiques pour les mineurs n’est pas une bonne solution ?

Ludi Demol Defe : Je ne sais pas si c’est faisable d’empêcher les jeunes d’accéder au porno. Je pense que l’interdiction n’aura pas l’effet escompté. Les mineurs trouveront d’autres moyens pour accéder à du contenu. Ils demanderont l’accès à leurs grands frères, ils emprunteront une carte bleue, ils se feront passer des clefs USB… Surtout, ils accéderont toujours à du contenu hors ligne. Cette interdiction n’empêchera pas non plus les jeunes d’être choqués par d’autres images violentes. Et elle ne réglera pas le problème des comportements sexistes ou violents et du harcèlement.

Les idées présentes dans le porno sont présentes dans le reste de la société. On retrouve la même trame sexiste dans les productions culturelles non pornographiques. Je ne dis pas que les jeunes doivent en regarder. Pour autant, se focaliser uniquement dessus ne permet pas de prendre le problème à la racine. L’influence de la pornographie sur les mineurs représente une goutte d’eau dans un océan social marqué par le sexisme et la violence.

Mais la pornographie a pourtant une réelle influence sur les jeunes ?

Que reproche-t-on à la pornographie ? On a peur que les mineurs reproduisent les images sexistes qui sont mises en scène. Ils ne seraient pas capables de comprendre ce qu’ils voient ? Ils ne seraient que des pages blanches sur lesquelles on tamponne des trucs ? Ils ont déjà un avis sur les relations sexuelles et les relations hommes femmes avant de visionner leur premier porno. Il y a un discours alarmiste sur le comportement des jeunes. Et en même temps, ils sont beaucoup plus informés sur les oppressions sexistes qu’il y a quelques années.

Cette interdiction va-t-elle avoir un impact sur les usages du porno ?

On peut avoir plusieurs hypothèses sur les nouveaux usages. Des pratiques et des productions différentes pourraient se développer, comme le porno audio. L’interdiction pourrait aussi favoriser le partage de contenus volés, qu’il s’agisse de productions de l’industrie pornographique ou de contenus non destinés à un partage public via d’autres plateformes telles que Snapchat ou Telegram. Mais les usages sont déjà variés. D’après une enquête d’EU Kids (Risques et sécurité des enfants sur Internet, parue en 2012, ndlr), les jeunes français et françaises de 9 à 16 ans voient autant de contenu sexuel en ligne que hors ligne, à la télé, dans un film, dans des magazines ou des livres.

Et sur le paysage pornographique en ligne ?

Si le dispositif est mis en place, il aura des répercussions sur l’environnement économique de l’industrie et sur la representation des contenus sexuels. A priori, les sites devront payer eux-mêmes la mise en place de ce dispositif. Les petits sites qui proposent des représentations alternatives ne pourront pas le mettre en place, faute de moyens. Ils risquent de fermer, nous privant de représentations alternatives aux pornographies majoritairement sexistes. On ne pourra plus faire de l’autoproduction et on sera obligé de passer par les grosses plateformes. Qui pourront donc capitaliser sur des productions amateurs par exemple.

Que faudrait-il faire à la place d’interdire le porno aux mineurs ?

C’est beaucoup d’argent et beaucoup d’énergie qui pourraient être investis dans l’éducation à la vie sexuelle et affective. La loi Aubry prévoit trois séances d’éducation à la vie sexuelle et affective par an du CP à la terminale, mais cette loi est peu voire pas appliquée. Cet argent pourrait aussi être investis dans la formation des personnels éducatifs pour intervenir, et pour déceler les mécanismes de violences sexistes et sexuelles… Rappelons encore que les jeunes voient des contenus sexistes dans d’autres contextes. Peut-être que l’on doit aussi réfléchir à toutes nos productions culturelles.

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