Carmina Suzanne : un mannequin grandes tailles atteinte de SEP explique comment faire face à la « trahison de son corps »
Yahoo Canada revient sur des expériences personnelles au travers de lettres ouvertes, dans le cadre d’une collection d’histoires. Le profil du jour concerne Carmina Suzanne, mannequin grandes tailles qui a récemment découvert être atteinte de sclérose en plaques. Cliquez ici pour découvrir d’autres histoires (en anglais). Récit recueilli par Nisean Lorde.
Je suis assise dans le noir absolu, attendant patiemment que le flash apparaisse. Je sais à peu près d’où il va venir, mais je ne sais pas précisément où et quand. Je dois me préparer à l’arrivée de cette lumière. Une machine à imiter le vent est également là, pas évident de recevoir un tel souffle dans le visage et dans le noir, mais je sais que le résultat final mérite un tel effort. Ma photographe a décidé d’utiliser un seul « speed light » pour ce tournage. Kat m’a déjà photographiée à de nombreuses reprises, et je me sens en sécurité avec elle. Nous avions envie de créer une collection de portraits sobres, incluant des couleurs et des mouvements qui ressortent dans le noir.
Clic. Flash ! La lumière apparait, les papillons prennent leur envol.
Il s’agit d’une description de la séance photos la plus intéressante, éprouvante et amusante de toute ma carrière de mannequin professionnel qui s’étend sur 7 ans et plus. Mais, il s’agit également d’une métaphore liée à toute une vie de problèmes de santé aboutissant à un diagnostic de sclérose en plaques. J’ai toujours été en mauvaise santé, souffrant de nombreuses maladies et autres maux, mais jamais rien que je n’étais en mesure de gérer… jusqu’à 2004, lorsque mon ancienne vie a pris fin.
Je me suis soudainement retrouvée à souffrir de douleurs intenses et vives dans la tête, comme si on m’avait tiré dessus, poignardée ou fouettée ; j’ai ressenti ces douleurs vives des centaines de fois par jour, pendant douze ans, sans interruption. Ma vision faisait également des siennes de temps en temps. La douleur m’a forcé à abandonner deux doctorats. Je ne pouvais pas conduire, je ne pouvais pas du tout me pencher en avant, ni tourner la tête rapidement, par crainte de souffrir de convulsions pouvant apparaitre plusieurs fois par jour et à n’importe quel moment.
Je souffrais chaque jour de douleurs tantôt légères, tantôt paralysantes et handicapantes. La nausée, les étourdissements et la sensation de déséquilibre étaient encore plus difficiles à supporter que la douleur ; j’étais à deux doigts de vomir et de tomber dans les pommes chaque seconde de chaque jour pendant 12 ans. Je devais également parallèlement gérer trois maladies endocriniennes.
Nous avons consulté tous les neurologues et spécialistes possibles, dont ceux de la Mayo Clinic à deux reprises, où je suis parvenue à poser une colle au meilleur neurologue spécialiste du système vestibulaire au monde. Certains médecins pensaient que je souffrais d’artériosclérose (Arterial Sclerosis), de lupus, de maux de tête idiopathiques (Idiopathic Stabbing Headache), du syndrome de la tête qui explose et de tous les types de migraines idiopathiques possibles et imaginables. Les médecins se sont trompés de maladies ou n’ont pas suffisamment exploré la question pendant plus de 10 ans, proposant de multiples traitements afin de determiner si l’un pourrait éventuellement marcher, mais aucun n’était efficace et la plupart empiraient même les choses.
Les vomissements constants ont eu un terrible impact sur ma voix. Ça va faire 12 ans. De 28 à 40 ans. Pouvez-vous imaginer jeter 30 % de votre vie par la fenêtre ?! Des lumières vives, des bruits forts, des odeurs intenses… Tous déclenchaient cette maladie mystérieuse. Je devais me cacher dans une bulle. Un cocon. Nous avons tenté de contrôler toutes les sources sensorielles de ma vie, et mon niveau d’anxiété était vraiment élevé. J’ai abandonné l’idée de savoir de quoi je souffrais pendant des années en essayant plutôt de me concentrer sur la gestion de mon quotidien. Ma vie était alors contrôlée par la peur et fortement limitée.
Last photo in the 'Ennui' series… hair & MU by me, photo by Alessandro Capoccetti; London
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Fin 2015, j’ai commencé à perdre la vue dans mon œil droit… quelques jours plus tard, je ne voyais quasiment plus rien. J’ai donc entamé un nouveau cycle terrifiant de consultations et de tests auprès de plusieurs médecins. De nombreuses visites aux urgences, des tonnes d’IRMs et autres scanners ont permis d’y voir un peu plus clair : je souffrais d’une maladie très rare, et la pression de mon liquide cérébro-spinal était anormalement élevée. Mon cerveau était donc coincé dans un étau depuis des années ; expliquant la vision diminuée, les terribles douleurs vives, la nausée et les vertiges.
J’ai dû annuler (ou j’ai été renvoyée) de quasiment tous mes jobs de chanteuse et de mannequin, ce qui n’a vraiment pas aidé. À quoi bon être en vie si je ne peux pas continuer mes projets de chant et de mannequinat ?! Je devais également continuer à gérer la perte de mes cheveux, les variations de mon poids et d’autres problèmes d’image corporelle associés aux maladies endocriniennes.
J’ai alors rencontré de nouveaux médecins, subi d’autres IRMs et quelques ponctions lombaires (dont une qui ne s’est pas du tout déroulée comme prévu et m’a forcé à être hospitalisée et à souffrir de sérieuses complications), tout ça pour apprendre que je souffrais également d’une maladie chronique, la sclérose en plaques, puis quelques mois plus tard, d’une troisième maladie. Je dois beaucoup à mon incroyable équipe médicale qui a été en mesure de définir un diagnostic précis et me proposer un traitement. Diagnostiquer la SEP peut prendre entre 2 à 6 ans, mais je n’ai jamais entendu parler d’une personne forcée de patienter autant que moi.
J’ai traversé une période très sombre après avoir appris que je souffrais de ces maladies mystérieuses. Cette période n’a bien heureusement pas duré trop longtemps, en partie car la SEP n’est pas la pire nouvelle de ma vie. J’étais même contente de savoir que je souffrais d’une maladie neurologique connue, et pas d’une terrible maladie mystérieuse. Les choses sont désormais plus claires et je suis en mesure de mieux orienter mon énergie. Je suis convaincue d’avoir été mise sur Terre avec un corps brisé afin d’aider les autres à aimer leur propre corps. J’ai dû traverser la perte totale de mes cheveux, des variations de poids incontrôlables, et d’autres formes de dysmorphobie/haine de soi à cause des conséquences sur l’extérieur de mon corps imposées par mon état de santé. Si je parviens à m’aimer et à avoir autant confiance en moi, tout le monde le peut.
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J’ai trouvé des façons de gérer les exigences qui m’étaient imposées suite à ce hiatus forcé (horrible mais nécessaire) de neuf mois sans mannequinat ni chant. J’ai réalisé que je pouvais rester assise pendant la plupart de mes performances de chant par exemple. Je suis également passée au jazz et à la musique folk vu que je n’ai pas toujours l’endurance physique incroyable nécessaire pour vraiment chanter de l’opéra. J’ai limité mes apparitions sur les podiums car les talons aiguilles sont extrêmement douloureux, mais je défile quand même en chaussures plates, sandales, bottes, pieds nus… J’ai décidé de continuer à tout déchirer, à ma manière.
On me demande souvent pourquoi je ne baisse pas les bras, pourquoi je ne ralentis pas ou encore pourquoi je ne me repose pas sur mes lauriers… Ha ! Eh bien, je réponds que je n’abandonne pas car c’est impossible : j’adore tellement ce que je fais. Le mannequinat est un rêve que j’ai toujours eu. J’ai travaillé vraiment très dur et fait beaucoup de sacrifices afin de décrocher de bons jobs à Londres, Paris et New York. En tant que chanteuse, je suis née avec la musique dans le cœur et une chanson dans l’âme ; la vie serait bien triste si je ne pouvais pas exprimer cela.
Un de mes médecins a été particulièrement condescendant en évoquant plusieurs options chirurgicales susceptibles d’abimer ma voix. Je lui ai confié que je n’accepterais pas l’opération si celle-ci mettait ma voix en danger, ce à quoi il a répondu : « Qu’est-ce qui est le plus important à vos yeux, votre santé ou votre carrière ? ». Euh… ma profession/vocation est plus importante, crétin ! La qualité de ma vie est essentielle à mes yeux, et je continuerai de travailler d’une manière ou d’une autre, aussi longtemps que possible.
Et aujourd’hui ? Je suis en bien meilleure santé et plus forte qu’il y a quelques années. Voici à quoi ressemble ma 41e année ! Voici à quoi ressemble la SEP ! Je me dépasse en suivant la méthode pilates et en effectuant d’autres exercises chaque semaine, je mange sainement, tout en me faisant plaisir avec de bons petits plats & du vin. Les douleurs ont été réduites à hauteur de 90 %, et je suis une personne différente à bien des égards ».
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J’ai dit adieu à la peur, à l’anxiété, à la prison étouffante dans laquelle vivait mon corps. J’ai réalisé les meilleurs projets de mannequinat de ma carrière au cours de l’année, et la marge de progrès est encore parfaitement flexible. Je me dépasse autant que possible sur les tournages… J’ai même vomi juste après la fin d’une session ! Les photos rendent bien donc ça valait le coup.
La plupart de mes proches étaient particulièrement tristes en apprenant que je souffrais de SEP et d’autres maladies, mais j’étais vraiment soulagée. Je préfère gérer un problème connu plutôt que de rester dans le noir, même si le problème en question est terrifiant. J’ai dû devenir plus forte à cause de tous mes problèmes de santé. J’ai souffert de convulsions sur scène, j’ai vomi violemment quelques minutes avant le début d’une importante prestation de chant, j’ai dû rester coincée à la maison et voir ma vie sociale prendre un coup. Il faut être forte pour affronter tout ça, sinon impossible de tenir toute une journée. Mais, je ne suis bien évidemment pas reconnaissante d’avoir ces maladies, et je regrette tous les jours qu’elles fassent partie de ma vie.
Je ne vais pas essayer de vous remonter le moral en vous racontant des histoires et en vous expliquant que je suis plus forte aujourd’hui ou encore que je ne changerais mon expérience pour rien au monde. C’est des conneries, tout ça. Je considère plutôt tout ça comme tirer avantage d’une situation, voire être plus forte qu’un corps qui a décidé de vous trahir. J’ai failli finir brisée de l’intérieur. En tant que mannequin grandes tailles, il m’a fallu plusieurs années pour apprendre à aimer mon apparence, il est désormais temps de travailler sur l’intérieur de mon corps ».
« J’attendais la lumière toutes ces années. La lumière d’un diagnostic, la lumière d’un traitement, la lumière de la connaissance et du soutien. Et celle de la LIBERTÉ. Et je vais m’envoler directement vers elle… fleurissante et rayonnante. Mon corps brisé est le cocon à partir duquel mon esprit de papillon va prendre son envol, enfin libre ! ».