Nous & le féminisme : la divergence des luttes ? Rencontre entre Laure Adler et Caroline Fourest
Laure Adler : On n’a pas le même âge, donc on n'appartient pas à la même génération de féminisme.
Caroline Fourest : Je suis allergique à l'esprit de meute. Pendant la grande première moitié de ma vie, j’ai lutté contre les intimidations, les invitations au silence, accompagné des amis de collège qui dénonçaient leurs pères incestueux, des amis avocates droguées au GHB qui ne voulaient pas porter plainte pour ne pas vivre l'enfer de leurs clients, protégé des étudiantes, des comédiennes... Mais, je ne supporte pas qu'on utilise le féminisme pour refuser le discernement ou héroïser la victimisation, au point de ne plus débattre. Ces dernières années, je ne rencontre que des hommes – et de plus en plus de femmes – brisés par des accusations, effacées socialement. Eux et elles aussi sont des victimes. Personne n’osait porter leur parole, je m’y suis collée.
L.A. Je suis beaucoup plus vieille que Caroline. J'ai la chance d’avoir appartenu au féminisme naissant, du début des années 70. J'étais jeune, mais il a construit mon appartenance au monde. Il est apparu comme un îlot de réassurance : la possibilité d'énoncer mon individualité et, surtout, de considérer que le collectif des femmes, que je n'avais jamais connu, par mon éducation et les valeurs familiales qui m'avaient été transmises, est source de bonheur, d'épanouissement et de projection dans l'avenir. Ce que décrit Caroline, je le sais, je le partage, mais ma vision du féminisme est optimiste, parce qu'elle s'enracine dans une (...)