Il serait temps de réaliser que les femmes aussi ont besoin d'aller aux toilettes
Saviez-vous que les femmes aussi ont besoin d'aller aux toilettes ? Bon, dit comme ça, ça paraît évident. Mais dans la pratique, on est en droit de se poser la question. Entre le manque d'accessibilité des toilettes publiques pour les personnes qui ne disposent pas d'un pénis, et les politiques de certaines grandes entreprises qui semblent oublier qu'avoir une vessie ET un utérus nécessitait un accès à des sanitaires, aller se soulager n'est pas toujours facile.
En tant que femme cis (c'est-à-dire assignée femme à la naissance et dont le corps et l'identité coïncident avec cette assignation), je dispose d'une vulve, d'un utérus et de tout ce qui s'en suit. Mais depuis mon enfance, et encore plus depuis mon adolescence, j'ai l'impression de ne pas pouvoir aller aux toilettes de façon automatique quand j'en ai besoin. D'abord, il y a eu les profs au collège, au lycée et à la fac, qui me disaient qu'il fallait que j'apprenne à me retenir, et qui roulaient des yeux quand, honteuse (merci le tabou des règles), j'évoquais le besoin de changer ma protection menstruelle. Il y a aussi toutes les fois où, dans la rue, j'ai voulu utiliser des toilettes publiques pour me rendre compte qu'il n'y avait pas de papier toilette, ou uniquement des urinoirs, voire pas de toilettes du tout.
Cette situation n'a pas beaucoup évolué au fil des années, et si elle m'a personnellement dérangée, je n'avais pas cherché à voir plus loin. Pourtant, le fait que l'accès à quelque chose d'aussi humain que le fait de se soulager soit à ce point monitoré (en particulier pour les personnes réglées et à vulve, qui, contrairement aux hommes cis, ne peuvent pas se soulager derrière n'importe quel arbre sans autre forme de procès) est particulièrement aberrant.
Vidéo. Margot Turcat évoque les tabous liés à l'AVC : "Je me tordais de douleur parce que je n'arrivais pas à aller aux toilettes"
Impossible d'aller aux toilettes au travail
Le fait que les écoliers et les étudiants ne puissent pas utiliser les sanitaires quand bon leur semble est déjà énervant. Mais ce contrôle du corps et de la vessie ne s'arrête pas aux bancs de l'école : il se poursuit dans le monde du travail. La preuve ? Un mail récemment reçu par des membres du personnel de la SNCF envoyé par l'Ambassade Rail Mixity Europe, une extension du service SNCF Mixité en charge de l'égalité femmes-hommes. Le site Terrafemina relate que le cette dernière "a informé les conductrices que "dans le cadre des entretiens sur le sujet de l'accès aux sanitaires", une expérimentation serait menée auprès "du personnel roulant féminin"; celle de leur fournir des culottes menstruelles plutôt que d'accéder à leur requête en installant des toilettes à bord des trains destinés au transport de marchandises, qui n'en sont pas équipés."
Des culottes menstruelles pour remplacer les toilettes, donc. Et non, ce n'est pas une mauvaise blague. Dans le même registre, plusieurs entreprises ont été dénoncées par leurs salariés pour les avoir "privés de pauses pour aller aux toilettes". Cela a notamment été le cas pour Amazon, dont plusieurs livreurs et livreuses ont affirmé devoir "uriner dans des bouteilles et des gobelets" pour pouvoir tenir leurs objectifs. Pas le temps de s'arrêter pour une pause pipi. Pourtant, en France, ce genre de pratique est interdit. En 1996, les prud'hommes de Quimper ont jugé "illicite le dispositif de mise en place de pauses-toilettes obligatoires", affirmant que "le droit de se rendre aux toilettes ne saurait être soumis à l'autorisation d'un tiers ni au remplacement préalable des salariés." Un jugement qu'il ferait bon de mettre sous le nez de bon nombre de patrons comme de professeurs.
"Les femmes sont des pisseuses"
Le droit de faire pipi quand on veut semble logique et évident, mais le fait que les femmes (cis) ont besoin de se soulager plus souvent que leurs homologues masculins est souvent pointé du doigt et dénoncé par certains, estimant que les femmes "abusent" et que ces dernières sont "des pisseuses". Ces réflexions hautement sexistes sont faites sans prendre en compte un certain nombre de réalités physiologiques.
La première, c'est que les femmes ne vont pas forcément aux toilettes pour uriner ou déféquer. Elles y vont également à cause de leurs règles. Car même en connaissant son corps, son cycle et son flux, les menstruations peuvent avoir la mauvaise habitude de se pointer en avance, en retard, ou de façon plus abondante que d'habitude, pile au mauvais moment. La seconde, c’est qu’il est également important de pointer du doigt que les femmes sont plus souvent sujettes à des problèmes de fuites urinaires ou d'incontinence. Et que c'est notamment dû au manque d'accessibilité des sanitaires.
Vidéo. "20% des femmes ont déjà été confrontées à la précarité menstruelle"
Faute de pouvoir prédire si les endroits où elles se rendent auront des toilettes adaptées (ou des toilettes tout court), les femmes ont plus l'habitude de se forcer à uriner "juste au cas où". Une habitude qui peut paraître bonne, mais qui peut augmenter le risque de développer des infections urinaires. Mais cela peut également dérégler le fonctionnement de la vessie. Sabrina Baxter, une physiothérapeute spécialiste du plancher pelvien l'a récemment expliqué sur TikTok : "Si vous le faites de temps en temps, ce n’est pas grave. Si vous le faites souvent, votre vessie ne se remplit jamais correctement, elle n’atteint pas sa pleine capacité. En l'habituant à évacuer l'urine alors qu'elle n’est qu’à moitié pleine, vous risquez d’avoir envie de faire pipi plus souvent." Le fait de se forcer peut également nuire au plancher pelvien et entraîner une incontinence plus ou moins forte. Un cercle vicieux, donc.
Laissez les femmes aller aux toilettes !
En avril 2021, une étude Ifop pour Diogène France dénonçait le "poop-shaming", le fait que bon nombre de femmes aient honte de déféquer lorsqu'elles n'étaient pas chez elles. Plus récemment, une enquête de l’Ifop pour Diogène-France menée du 18 au 21 avril 2022 a mis en lumière des chiffres qui en disent long sur les écarts entre les femmes et les hommes au sujet de leur utilisation des toilettes au travail. On apprend ainsi que 53% des femmes sondées sont incapables de déféquer sur leur lieu de travail quand d’autres personnes se trouvent aux WC, contre 30% des hommes. Et même lorsqu'elles osent franchir le pas, 60% des femmes interrogées disent avoir déjà ressenti de la gêne en le faisant, contre 44% des hommes. Des chiffres liés aux idées sexistes qui sommeillent dans l'inconscient collectif selon lesquelles ces dames ne font jamais caca. C'est sans doute de là que cette gêne, voire ce sentiment de honte, tire son origine.
Toujours selon l'étude de l'Ifop, les hommes sont plus enclins "à satisfaire (et faire) immédiatement leurs besoins" : au travail, 57% d'entre eux n'attendent pas que l'envie soit pressante pour aller aux toilettes, tandis qu'à peine 38% des femmes interrogées disent faire de même.
Mais visiblement, le problème ne s'arrête pas au caca. Entre le cliché misogyne de la pisseuse et le manque d'accessibilité des sanitaires aux personnes assignées femmes à la naissance, sans oublier une vraie méconnaissance des fonctionnements menstruels de la part des hommes cis, les femmes ont plus de difficultés à accéder aux toilettes. Et c'est un vrai problème de santé publique qui ne semble pas vraiment inquiéter qui que ce soit.
A LIRE AUSSI
>> Pourquoi il vaut mieux éviter les toilettes publiques
>> Coronavirus : pourquoi les toilettes publiques doivent être repensées
>> Des culottes menstruelles faute de toilettes ? L'initiative qui indigne les conductrices de train