EN IMAGES - Gérard Depardieu fête ses 72 ans : retour sur sa vie à ras bord

(Getty Images)
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Acteur pantagruélique à la filmographie hors norme, Gérard Depardieu demeure, en dépit de ses errances, un monument du septième art. Il souffle, ce 27 décembre, sa 72e bouge. À cette occasion, (re)découvrez l’itinéraire déroutant d’un ogre qui a dévoré le cinéma français, et la vie qui va avec.

Graine de… Voyou

Gérard Depardieu grandit à Châteauroux, dans une famille de prolétaires, au milieu de cinq frères et sœurs. “Notre famille était un milieu oppressant où, pour ainsi dire, on ne parlait pas, où il ne se passait rien, où rien ne venait nourrir nos jeunes esprits”, racontera plus tard Alain Depardieu, son frère. Et ce n’est pas sur les bancs de l’école que le jeune Gérard va alimenter ses rêves. Peu assidu, il quitte en effet l’éducation nationale à l’âge de 13 ans, pratiquement analphabète et à moitié bègue.

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Dès l’adolescence, il commence à faire des mauvais coups, bien aidé par sa carrure de colosse précoce. Il commet quelques vols, fait de la contrebande de cigarettes pour les GI stationnés dans la base militaire de sa ville natale, et joue même les gardes du corps pour des prostituées venues de Paris pour ces mêmes soldats. “J'ai vécu les choses au lieu de les apprendre avec un maître d’école. Quand tu te retrouves dans la rue très jeune, comme moi, tu apprends à sentir la connerie, à la capter. Et quand tu la sens, tu changes de trottoir.” Un instinct qui va finalement lui sauver la vie. En 1963, son ami d’enfance Jacky Merveille, autre caïd castelroussin, meurt dans un accident de voiture. Le futur acteur décide alors de prendre son destin en main.

(URLI/Gamma-Rapho via Getty Images)
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Problèmes d’audition et hyperémotivité

Il décide alors de faire sa valise et de partir à Paris. Il accompagne son ami Michel Pilorgé au Théâtre national populaire, pour suivre des cours de comédie. Le coup de foudre est immédiat : le jeune homme dévore tous les grands textes classiques. Sa rencontre avec le professeur Jean-Laurent Cochet, au théâtre Edouard VII, s’avère ensuite déterminante : “Son cours de théâtre m'a sauvé, expliquera-t-il plus tard à Télérama. D’abord en me révélant Musset, Marivaux, Corneille tout en m'enseignant qu'il fallait oser rester silencieux en pleine lumière. Ensuite, parce que Cochet m'a entraîné chez le docteur Alfred Tomatis, qui travaillait sur les liens entre langage et audition, et m'a décelé des troubles de l’oreille.” La rééducation prodiguée par le médecin sera salutaire, et lui permettra de canaliser son hyperémotivité tout en développant cette mémoire qui lui faisait tant défaut.

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Les Valseuses, la révélation

Après avoir obtenu ses premiers petits rôles sur grand écran dans Le Cri du Cormoran le soir au-dessus des Jonques et Nausicaa, le comédien obtient son premier grand rôle en 1974 dans Les Valseuses, de Bertrand Blier. Si le film fait alors scandale, le duo de gentils voyous qu’il forme avec Patrick Dewaere rencontre un immense succès populaire, et lance sa carrière. Il en gardera d’ailleurs un souvenir ému, et une durable nostalgie. “On était heureux comme des c*ns, comme des enfants faisant l'école buissonnière. C'était la grande voyoucratie, un mélange d'inconscience et d’insouciance.” écrira d’ailleurs plus tard l’acteur à son regretté partenaire.

(Sygma via Getty Images)
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Depardieu/de Niro : le choc des titans

En 1975, Bernardo Bertolucci pressent l’immense potentiel de Gérard Depardieu, et décide de l’associer à une autre étoile montante du cinéma, Robert de Niro (révélé par Mean Streets), dans sa fresque historique, 1900. Bingo : sur le plateau, les deux jeunes loups livrent une partition époustouflante. “Le rapport entre les deux acteurs était fort, très intense et ultra-compétitif”, se souviendra plusieurs décennies plus tard le réalisateur italien. Une saine rivalité qui conduira Gérard Depardieu à exiger – et obtenir – le même cachet que son partenaire, alors plus connu. Le début, surtout, d’une aventure cinématographique exceptionnelle.

(Pool GINFRAY/SIMON/Gamma-Rapho via Getty Images)
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Un monstre parmi les géants

Certes, la filmographie de Gérard Depardieu – riche de quelque 200 films – compte son lot de temps faibles, de cachets faciles, voire de navets irregardables (à l’image du remake de Boudu de Gérard Jugnot, San Antonio de Frédéric Auburtin, Vidocq de Pitof, ou encore le Placard de Francis Veber). Reste l’essentiel : des collaborations entrées dans l’histoire du septième art. Marco Ferreri, Marguerite Duras, Claude Zidi, Maurice Pialat, François Truffaut, Alain Resnais : le comédien a joué sous la direction des plus grands, se glissant dans la peau de personnages que le public n’assimile désormais plus à personne d’autre que lui – son Cyrano de Bergerac est à ce titre inégalable. Deux César, un Golden Globe et un Lion d’or, sans compter une flopée de nominations en tous genres, sont d’ailleurs depuis longtemps venus sanctionner son incomparable talent.

(Sonia Moskowitz/IMAGES/Getty Images)
(Sonia Moskowitz/IMAGES/Getty Images)

Un père de famille(s)

La star a toujours entretenu un rapport conflictuel avec son physique. Ce qui ne l’a pas empêché de conquérir le cœur de femmes parmi les plus belles de leur génération, à l’image de Carole Bouquet, avec laquelle il entretint une longue relation entre 1996 et 2005. Celle qui partagea sa vie le plus longtemps fut néanmoins Elizabeth Guignot, qu’il épousa en 1970 et qui lui donna ses deux premiers enfants, Guillaume et Julie. Bien que séparés de longue date, il n’en divorcera officiellement qu'en 2006, date à laquelle Hélène Bizot, fille de l'anthropologue François Bizot, lui donnera un fils prénommé Jean. Entretemps, l’acteur a vécu une folle passion avec l'artiste Karine Silla, qui accoucha d’une petite Roxane le 28 janvier 1992.

(Pool BENAINOUS/DUCLOS/Gamma-Rapho via Getty Images)
(Pool BENAINOUS/DUCLOS/Gamma-Rapho via Getty Images)

“Ils ont tué mon fils pour deux grammes d’hé­roïne”

Comédien talentueux révélé dans Les apprentis, un film qui lui vaudra d'obtenir le César du Meilleur acteur masculin, Guillaume Depardieu était la fierté meurtrie de son père. Ecorché vif au parcours chaotique, ponctué d’excès et de drames, le jeune comédien est mort prématurément en 2008, après avoir contracté une pneumonie et une énième infection à un staphylocoque doré. Il venait tout juste d’avoir 37 ans. Sa disparition fut un cataclysme pour Gérard Depardieu, même si ses relations avec son fils étaient tumultueuses. Il concevra d’ailleurs une durable amertume à l’encontre de la justice française, qu’il tiendra pour responsable de la mort de son enfant. Dix ans après son décès, il déclarait encore au magazine The Daily Beast : “Ils ont tué mon fils pour deux grammes d’hé­roïne. Il y avait une vieille juge haineuse qui voulait tuer mon fils… C’était une juge de Versailles qui voulait vrai­ment se faire un Depar­dieu. (…) Si elle avait pu me mettre les menottes à moi, elle l’au­rait fait.” Certaines cicatrices ne se referment jamais vraiment.

(PATRICK HERTZOG / AFP FILES / AFP)
(PATRICK HERTZOG / AFP FILES / AFP)

Plus de dix bouteilles par jour

Amoureux de la bonne chair et amateur de vin éclairé, Gérard Depardieu a toujours profité de l’un et de l’autre avec excès. Un penchant devenu légendaire, dont il s’est ouvert en septembre 2014 auprès du magazine So Film : “Quand je m'ennuie, je bois. Ça commence à la maison avec du champagne ou du vin rouge (...) avant 10 heures. Puis du pastis, peut-être une demi-bouteille. Puis le repas, accompagné de deux bouteilles de vin. Dans l'après-midi, champagne, bière, et encore du pastis vers 17 heures, pour finir la bouteille. Plus tard, de la vodka et/ou du whisky.” Soit une consommation quotidienne de plus de dix bouteilles, qui ne semble pas affecter plus que cela l’équilibre de ce monstre sacré. “Je ne suis jamais totalement bourré, juste un peu emmerdeur.” Si son histoire d’amour avec les spiritueux lui a valu, au fil du temps, pas mal de désagréments – ses arrestations en état d’ébriété ont régulièrement alimenté la rubrique des faits divers –, elles a surtout affecté sa santé à plusieurs reprises. Au point de devoir subir un quintuple pontage coronarien en 2000, sans pour autant qu’il mette un frein à ses légendaires excès, dont il serait paraît-il revenu ces dernières années…

(Pascal Parrot/Getty Images)
(Pascal Parrot/Getty Images)

Un businessman accompli

Non content de figurer régulièrement dans le classement des acteurs français les mieux payés de l’Hexagone, Gérard Depardieu a depuis longtemps diversifié ses activités. Propriétaire de vignobles en Anjou, en Algérie, au Maroc et en Italie, il a également investi dans de grands restaurants (à Paris, au Canada et en Roumanie), ainsi que dans un hôtel, une brasserie, une cave et une poissonnerie, tous situés rue du Cherche-Midi, à Paris. Ne fixant manifestement aucune limite à l’horizon de ses envies, l’acteur-entrepreneur a également investi dans une agence immobilière en Belgique, et – plus surprenant –, dans l’exploitation pétrolière à Cuba (une aventure qui s’est finalement avérée calamiteuse). En dépit de certains revers, celui qui avait prêté son image en 1990 à la marque Barilla était, en 2012, à la tête d’un patrimoine estimé à plus de 130 millions d’euros selon le Wall Street Journal. Un trésor de guerre qu’il a décidé, au début des années 2010, de soustraire à l’intérêt du fisc français.

Exilé volontaire

En décembre 2012, il décide de se domicilier à Néchin, en Belgique, un village bien connu des exilés fiscaux français, situé à un kilomètre de la frontière française et de Roubaix (Nord). “Ceux qui s'exilent à l'étranger, ce ne sont pas ceux qui ont peur de devenir pauvres. C'est parce qu'ils voudraient devenir encore plus riches. C’est assez minable”, lance alors le Premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault. S'estimant “injurié”, l’artiste annonce qu'il rend son passeport français, dans une lettre ouverte au Premier ministre publiée par le Journal du dimanche : “Minable, vous avez dit minable ? Comme c'est minable !, ironise-t-il. Qui êtes-vous pour me juger ainsi (...) ?” Dans la foulée de cette spectaculaire passe d’armes, le président Vladimir Poutine accorde la citoyenneté russe à l’intéressé. Lequel se dit ravi et annonce, dans une lettre publiée par la chaîne de TV russe Pervyi Kanal : “En Russie, il fait bon vivre. François Hollande sait que j'aime beaucoup votre président Vladimir Poutine et que c'est réciproque. Et je lui ai dit que la Russie était une grande démocratie, et que ce n'était pas un pays où un Premier ministre traitait un citoyen de minable.” Certes. Cela dit, la Russie n’est pas spécialement connue pour être le pays de la liberté d’expression.

(PHILIPPE HUGUEN/AFP via Getty Images)
(PHILIPPE HUGUEN/AFP via Getty Images)

De drôles de fréquentations

Depuis une dizaine d’années maintenant, Gérard Depardieu laisse libre court à sa passion pour les dictateurs du monde entier. Islam Karimov (Ouzbékistan), Alexandre Loukachenko (Biélorussie), Kim Jong-un (Corée du Nord), ou encore le très tolérant Ramzan Kadyrov (Tchétchénie) ont ainsi eu l’heur d’accueillir l’acteur sur leur sol national ces dernières années. “Je ne suis pas que français, je suis vivant, b*rdel ! Et la vie est dans le monde”, rétorquait la star à ses détracteurs, dans une interview accordée à Yann Moix en 2018. Pas sûr que les opposants aux régimes desdits dirigeants le voient sous cet angle…

(ELENA FITKULINA/AFP via Getty Images)
(ELENA FITKULINA/AFP via Getty Images)

Un homme libre

“La marque d'une intelligence de premier plan est qu'elle est capable de se fixer sur deux idées contradictoires sans pour autant perdre la possibilité de fonctionner”, a écrit Francis Scott Fitzgerald dans La fêlure. Cette citation, Gérard Depardieu ne la renierait sans doute pas. Homme de contradiction, capable à la fois de tendre la main aux migrants et de serrer celle d’un dictateur sans pitié pour les minorités, l’acteur s’accommode depuis longtemps d’une forme d’amoralité, conséquence d’une liberté aussi irrépressible que dénuée d’espoir. Peut-être est-ce à cette aune qu’il faut juger sa décision de se débarrasser de ses biens. Hôtel particulier, restaurants, grands crus : depuis deux ans, l’ogre du cinéma français se déleste peu à peu de ses possessions terrestres. “Je cherche à tout vendre. J’ai déjà vendu tous les restaurants, et je pense que je vais vendre le château et le vignoble. Peut-être…”, révélait-il ainsi en octobre dernier dans l’émission Sept à Huit. Une sortie qui fait écho à une autre, accordée cinq ans plus tôt à TV Magazine, dans laquelle il déclarait : “Je ne veux plus être propriétaire. Juste aller ailleurs, louer, vivre, et mourir. Et travailler avec des gens que j’aime.” Le vœu d’un homme revenu de tout.

(AMMAR ABD RABBO/El Gouna Film Festival/AFP via Getty Images)
(AMMAR ABD RABBO/El Gouna Film Festival/AFP via Getty Images)