Notre grand hommage à Maïté, la Mousquetaire des fourneaux
Elle estourbissait en direct, à coups de rouleau à pâtisserie, une grosse anguille, qui avait toutes les raisons de vouloir s’enfuir, tout en lui susurrant des mots doux : « Viens là ma puce, on va juste… c’est rien. » Elle tutoyait une tête de veau fraîchement tranchée, lavée, rasée, épilée, yeux mi-clos, en lui caressant le front, les oreilles et la complimentait : « Regarde comme tu es belle ! » Elle remerciait aussi bien un brochet, un saumon, un lapin, un jambon, un gigot, une caille ou une gigue de chevreuil, un lièvre tout nu qu’elle venait de dépouiller comme on enlève « son pyjama en pilou pilou ». Les Indiens d’Amérique s’adressaient ainsi au « frère bison » qu’ils venaient de tuer. Tout comme les pêcheurs tahitiens parlaient à leurs poissons. Et que sait-on des raisons qui ont poussé nos ancêtres Cro-Magnon à représenter chevaux, mammouths, cerfs et gazelles par centaines, nous laissant des peintures d’art pariétal ? Rites sacrificiels ? Conscience du sacré placé au centre même de la vie ? On chasse pour se nourrir.
Maïté non plus ne pensait pas à mal. À sa manière, elle participait à l’harmonie du monde. Avec elle, impossible d’ignorer que le boudin est fait à partir de sang de cochon, que les saucisses sont fourrées dans du boyau et que le poisson ne naît pas carré ni pané mais avec des ouïes et des nageoires, et que c’est la société industrielle qui le transforme.
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