Harcèlement de rue : elle se comporte comme "un bonhomme" pour passer inaperçue
Parce que ce jour-là elles portaient une jupe, qu'elles ont croisé le chemin d'un homme de mauvaise humeur, ou tout simplement parce qu'elles sont des femmes... 86% des Françaises ont déjà été victimes de harcèlement de rue, selon une enquête IFOP. Pour se défendre au mieux de ces prédateurs, elles mettent en place des stratagèmes... quitte à se priver de certaines libertés.
"Deviens folle" : "cris", "mords", "fais-toi pipi dessus". Sur son compte TikTok, Spencer Barbosa donne des conseils à ses abonnées pour éviter les agressions et le harcèlement de rue. Suivie par près de 3 millions d’abonné.e.s, la Canadienne de 18 ans fait le buzz avec ses vidéos “safety tips” (conseils pour votre sécurité, en français). La preuve qu’être une femme reste - encore et toujours - un problème dans l’espace public. Selon une enquête IFOP pour la fondation Jean-Jaurès menée en 2018, 86% des Françaises ont déclaré avoir été victimes d’une forme d’atteinte ou d’agression sexuelle dans la rue (des insultes jusqu’au harcèlement et autres agressions), au moins une fois au cours de leur vie.
Un chiffre "absolument terrifiant" et "inquiétant", selon Gilles Finchelstein, le directeur général de la fondation Jean-Jaurès. Des injures, des regards et des mains aux fesses, qu’a déjà vécus Clara plus d’une fois. Parisienne depuis quelques années, elle raconte : "Je ne me suis jamais autant sentie en insécurité". La jeune femme âgée de 25 ans se souvient avoir déjà eu droit "à la main aux fesses de la part d’un ado d’environ 16 ans". Choquée par ce geste, "je n’ai pas su comment réagir". "Il n’était même pas 9 heures du matin, j’allais prendre le métro et ce gamin s’est permis de me toucher de la sorte. Il m’a même fait un grand sourire, fier de son comportement carrément dégueulasse". Elle explique avoir également été insultée de "salope" parce qu’il faisait super chaud, on était en été, et je portais un short à longueur ‘convenable’".
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Marcher vite, éviter de prendre le métro, ne pas croiser le regard des hommes
Alors, depuis ces attaques bien trop répandues, elle marche "vite, très vite dans la rue". Elle essaie "au mieux" de ne pas croiser le regard des hommes. "Le soir, j’évite le métro et tant pis pour le budget Uber qui explose. Dès que je sors du métro (même en journée), j’ai mes clefs dans les mains et je fais semblant d’être au téléphone avec mon père ou mon copain. Je me dis que l’hypothétique présence d’un homme dans les parages va repousser celui qui aurait envie de s’en prendre à moi". Quant à ses tenues : "C’est pas compliqué, je m’habille selon l’heure à laquelle je vais rentrer. S’il fait encore jour, j’ose porter un short, une jupe ou une robe avec un collant ou pas, selon la météo. Si je sais que je vais rentrer tard dans la journée, c’est jean-basket, plus pratique et moins tape-à-l’oeil".
Se prendre pour un "bonhomme" pour passer inaperçue
À 20 ans, Christelle - aussi - s’est déjà surprise à changer de tenue "juste avant de sortir de chez moi". "On risque de me faire chier à cause de ma jupe". Dans la rue, elle se met "à marcher comme un bonhomme" la nuit et à "cacher mes cheveux sous ma capuche" pour passer "inaperçue". L’étudiante en cinéma se souvient de la fois où un homme l’a suivie dans la rue. "J’attendais l’ouverture de la pharmacie avec une amie et un homme est venu vers nous. D’abord, il nous a demandées les horaires, puis si on allait attendre l’ouverture". Face à son insistance, elle prétexte l’arrivée de son père pour partir avec son amie : "Mais il s’est mis à nous suivre. On a dû courir pour le semer et on s’est cachées derrière un café en attendant qu’il parte". Depuis la fin du confinement, la jeune femme affirme se sentir "encore moins en sécurité qu'avant". "Après le premier confinement, je suis sortie en jupe, il faisait chaud. On n'a pas arrêté de me regarder dans la rue, c'était gênant !". Selon les chiffres de l’Institut Région Paris, dévoilés en novembre 2020, 14% des Franciliennes déclarent avoir été victimes d’agressions sexuelles. Celles-ci ont d’avantage lieu dans les espaces publics tels que dans les transports où 5% des interrogées ont déclaré redouter de "subir un harcèlement sexuel ou sexiste car il n’y avait personne".
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Composer le 112, au cas où...
À 36 ans, Cécile se souvient de ces passagers de métro qui "collent leurs bassins sur toi ou touche ta poitrine au lieu de la barre pour se rattraper". Sans oublier les "salopes" qu’elle a pu recevoir dans la rue. Alors pour se protéger au mieux, elle garde toujours sur elle un "spray à lunette et un briquet pour un effet lance flamme au cas où". Installée dans le sud de la France, la mère de famille "surveille toujours" derrière elle dans les halls d’immeuble : "Je regarde à qui je tiens la porte et qui est là". Quand elle quitte son lieu de travail "et qu’il n’y a plus personne", elle s’arme de son téléphone pour appeler une amie "le temps de traverser le parking pour aller jusqu’à ma voiture". "Il m’arrive aussi de composer le 112, comme ça en cas d’agression, tout est enregistré". De son côté, Ombéline a réussi à surmonter sa peur. La jeune femme se souvient de ce jour où, deux hommes, ont jugé bon de donner leur avis sur son apparence. "Je portais une robe, ni trop courte, ni trop décolletée. J’allais au boulot quand même. Et là, un mec vers Saint-Lazare me propose de boire un verre". Une invitation qu’elle décline, ce qui ne manque pas d’agacer son interlocuteur. "Il insiste, il commence à hausser le ton. Donc là, je lui dis : 'Non'". Ce à quoi, il lui répond : "Un café, vu ta gueule, ça ne te ferait pas de mal. T’as l’air fatigué, donc boire un café avec moi ça ne te ferait pas de mal".
Se défendre et avoir peur des représailles
Choquée, elle reprend son chemin vers la gare où elle croise un "autre mec" en "costard, avec une alliance au doigt, comme tous les mecs qui m’emmerdent". "Furtivement", celui-ci, lui lance : "Sale pute !". "Je me retourne direct et je dis : ‘Pardon ?’ Et là, le mec me fait : ‘Ouais, t’es une pute parce que tu portes une robe’". Complètement outrée par son comportement, Ombéline se souvient d’une conversation avec son frère la veille : "Il ne comprenait pas que les femmes puissent ne pas réagir - de peur - face à un homme. Il m’a alors dit : ‘Tu leur craches à la gueule’". Par "réflexe", elle crache au visage de l’individu et s’empresse de partir : "Je n’étais pas sereine, j’ai eu peur des conséquences". Après avoir fait quelques mètres, "je me retourne pour voir s’il me suit". "Et là, je vois qu’il était en train de s’énerver. En fait, il voulait me rattraper, mais un autre mec - qui a dû voir la scène - était en train de le retenir. J’ai vite tracé ma route. J’ai pris mon train et je suis partie".
Les 5D pour se défendre ou venir en aide à une victime de harcèlement de rue
Selon une étude menée par Ipsos, seulement 20% des interrogées ayant été victimes de harcèlement ont été aidées. Et 86% des sujets ont déclaré de ne pas savoir comment réagir lorsqu'ils/elles sont témoins de ces actes. Pour lutter contre ce fléau et venir en aide aux femmes qui y sont confrontées, la formation Stand Up (programme lancé en partenariat avec L’Oréal Paris, l’ONG Hollaback! et la Fondation des Femmes pour lutter, ndlr.) propose au grand public d’apprendre la règle des “5D”. Celle-ci permet aux victimes de se défendre, mais aussi aux témoins d’intervenir pour l’aider.
Distraire : Faire semblant de connaître la personne harcelée, demander l'heure ou créer une distraction : soyez créatif.ve.
Déléguer : Trouver une personne qui représente une forme d’autorité et lui demander de l'aide pour intervenir.
Documentaire : Filmer discrètement la scène et proposer à la victime de lui fournir la preuve ou de témoigner.
Diriger : Demander au harceleur d'arrêter, rassurer la victime, demander de l'aide (en évitant de se confronter directement).
Dialoguer : Réconforter la personne harcelée après coup, lui dire que ce qu'elle a vécu n'est pas acceptable, agir comme un.e ami.e.
Lassée par le harcèlement de rue et les frotteurs, une jeune Française a décidé de dénoncer ces situations gênantes en les filmant et les partageant sur son compte TikTok. Avec en fond sonore "Stand Up" de Cynthia Erivo, on découvre un groupe de trois hommes face à elle, lui lancer des regards insistants et entendus. "Il y a un problème ?", les interpelle-t-elle. Surpris, ses interlocuteurs ne disent rien, mais désignent ses jambes nues. "Bon et bien s’il y a un problème vous regardez ailleurs", conclut-elle. Une vidéo vue plus de 1,3 millions de fois qui lui a valu de nombreux messages d'admiration et d'encouragement. "Dénoncer, divulguer c’est ce qu’il faut continuer à faire", a rappelé une internaute en commentaire.
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