Ils cachent leur homosexualité au travail : "On m'a fait savoir qu'être lesbienne n'était pas bien vu"

Ils cachent leur homosexualité au travail :
Ils cachent leur homosexualité au travail : "On m'a fait savoir qu'être lesbienne n'était pas bien vu". © Getty Images

Il y a quelques jours, à la surprise générale, Miss Porto Rico et Miss Argentine ont annoncé être en couple et s'être mariées dans le plus grand secret. Les deux femmes ont longtemps caché leur histoire, pour préserver leur vie privée mais aussi pour ne pas subir l'homophobie, encore très présente dans leurs pays d'origine. Mais en France aussi, certaines personnes vivent contraintes de dissimuler leur orientation sexuelle, notamment dans le cadre de leur travail.

L'année de son élection, Vaimalama Chavez créait la surprise en laissant entendre qu'elle était bisexuelle, et qu'elle n'imaginait pas forcément faire sa vie avec un homme. Un discours rare dans la bouche d'une Miss France, ou d'une Miss tout court, d'autant que ces reines de beauté sont souvent présentées comme des objets de désir à l'intention de la gent masculine. Aussi, la révélation de l'union entre Miss Porto Rico 2020 et Miss Argentine 2020 a fait l'effet d'une surprise. Si le mariage pour tous est légal à Porto Rico depuis 2015, et depuis 2010 en Argentine, les deux destinations connaissent chaque année leur lot d'agressions homophobes.

Vidéo. Journée mondiale contre l'homophobie : le nombre de plaintes en forte hausse

L'homophobie est toujours présente en France

On pourrait croire que la situation est plus enviable en France, mais est-ce vraiment le cas ? Selon l'état des lieux dressé à l'occasion de la 17ème journée mondiale de lutte contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie, le 17 mai 2022, les crimes et délits anti-LGBT+ ont augmenté de 12% en 2021. Selon le ministère de l'Intérieur, sur la période 2016-2021, le nombre d'actes anti-LGBT+ a doublé (+104%). Preuve qu'en dépit des avancées légales (mariage pour tous, PMA pour toutes...), l'homophobie est une réalité toujours très ancrée dans le présent.

Résultat, faire son coming-out n'est toujours pas une évidence, bien au contraire. Et si certaines personnes ne cachent pas leur orientation sexuelle dans le cadre privé, elles préfèrent ne pas en parler dans un cadre professionnel. C'est leur droit le plus strict si les concerné·e·s estiment que cela pourrait nuire à leur carrière Car même si l'article L1132-1 du Code du travail stipule qu' : "Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement (...) en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, etc", la réalité des faits est bien différente.

"A mon recrutement, on m'a fait savoir que c'était mal vu"

Justine* a 32 ans, et est enseignante dans un collège privé en région lyonnaise. "Lors de mon entretien d'embauche, la recruteuse a remarqué mon bracelet aux couleurs de l'arc-en-ciel. Elle a été très honnête avec moi. Elle m'a dit franco : "Je ne vais pas vous demander si vous êtes membre de la communauté LGBT+ car c'est illégal. Mais sachez que si des parents d'élèves l'apprennent, ils pourraient vous mener la vie dure. C'est mal vu ici." Je n'y ai pas vu une menace, juste un message de prévention, pour savoir à quoi m'en tenir", explique la trentenaire.

"Je suis lesbienne. J'en ai discuté avec ma compagne, et j'ai vraiment hésité à accepter ce poste. Je savais que dans une école catholique, les LGBT+ n'étaient pas forcément bien vus. Mais j'ai décidé d'y enseigner malgré tout, quitte à ne pas parler de ma vie privée." Un choix qu'elle a fait par altruisme : "Parmi mes amies lesbiennes, j'ai trop souvent entendu parler d'enfants harcelés dans des établissements catholiques par leurs camarades comme par des professeurs, en raison de leur orientation sexuelle. Je me dis qu'avec moi, ils auront au moins une oreille attentive, quelqu'un pour les protéger. Alors, j'ai gardé mon petit bracelet arc-en-ciel, et rajouté un pin's avec le drapeau lesbien sur mon sac." Pour l'instant, pas de reproches de la part de parents d'élèves, mais un joli résultat : "Quelques élèves sont venus me confier leurs interrogations à ce sujet, leurs craintes. Je suis heureuse de savoir qu'ils n'ont pas à affronter ça tout seuls."

Vidéo. Déclic - Mélissa, 29 ans : "Les gens pensaient qu’on était lesbiennes, les profs me disaient que j’allais brûler en enfer"

"Je subis déjà le racisme et le sexisme au travail, je ne voulais pas en rajouter"

Le cas de Samira* est quelque peu différent. La jeune femme âgée de 22 ans est étudiante en médecine, et c'est pour se protéger qu'elle a décidé de ne rien dire à ses camarades, ni à ses enseignants. "Je suis une femme noire. Le milieu de la médecine est élitiste, raciste et sexiste. Je ne peut pas cacher mon genre ni ma couleur de peau, et je subis déjà suffisamment de "blagues" et de réflexions, comme quoi je ne dois ma place ici que parce que je suis un "token", un quota. Pas question de risquer de subir en prime de la lesbophobie en laissant les autres savoir que j'aime les femmes."

Samira en a pourtant conscience : cacher son orientation sexuelle n'a rien de simple au quotidien. "J'ai passé tous mes réseaux sociaux en privé pour que personne ne puisse fouiner, et j'essaye de faire attention à ce que je dis. Mais ça me force à cloisonner. Même si je me suis rapprochée de certaines personnes de ma promotion, je préfère ne rien dire à personne plutôt que je prendre le risque que ça tombe dans les mauvaises oreilles. C'est triste d'en arriver là en 2022, mais les études de médecine sont suffisamment difficiles comme ça pour ne pas que je veuille prendre le risque de me faire harceler."

"Dans le milieu de la finance, les blagues sur les gays, c'est tous les jours"

Certains milieux acceptent mieux la différence que les autres, ce n'est pas surprenant. Et malheureusement, sans faire de généralités, les milieux très religieux, comme ceux où règnent encore toute forme de masculinité toxique, sont ceux qui acceptent le moins les personnes de la communauté LGBT+. C'est le cas pour la médecine, mais aussi pour celui de la finance, ainsi qu'en témoigne Antonin*. "Pendant mon premier stage dans cet univers il y a quelques années, je n'ai absolument pas cherché à cacher mon homosexualité. Et cela a été six mois d'enfer, de "blagues", de réflexions. J'ai réalisé à ce moment-là que l'ambiance dans les bureaux se rapprochait de celle d'un vestiaire de sport. Puis ils ont commencé à prendre peur que je me plaigne aux RH, donc ils ont arrêté... Du moins, en apparence. La réalité, c'est que je n'étais plus invité à la pause café, aux apéros de team building... Et dans ce milieu-là, ne pas faire partie du groupe, c'est voir sa carrière stagner."

Résultat, il a décidé de mentir, purement et simplement. "Je suis en couple depuis 3 ans avec mon compagnon, mais pour mes collègues, je suis un dragueur invétéré, qui enchaîne les coups d'un soir. Je me suis fabriqué une réputation, et ça semble plaire à mes collègues. Je suis bien intégré." Tout n'est pas tout rose, pourtant. "Au quotidien, je dois sourire en écoutant leurs blagues homophobes, sur les gays qui ne savent pas gérer leur argent, etc. J'ai essayé de les calmer, ça ne marche pas. Alors je ronge mon frein en attendant de pouvoir trouver mieux." Une situation pas vraiment enviable, en somme.

*Les prénoms ont été changés pour des raisons d'anonymat.

A lire aussi

>> Peut-on encore s'insulter sans être raciste, sexiste ou homophobe ?

>> "Misogynes", "homophobes"... Pourquoi la majorité des femmes ne veulent pas coucher avec les électeurs d'Éric Zemmour

>> Lutte contre l’homophobie et la transphobie : le rôle méconnu des réseaux internes aux grandes entreprises et institutions