"Je me sentais comme la pire des mères qui puisse exister" : ces femmes qui renoncent à la garde de leurs enfants après une séparation

Elles le font faute de moyens financiers, organisationnels ou psychologiques, pour respecter le désir de leurs enfants, ou parfois de leur plein gré pour favoriser leur vie de femmes. Rencontre avec ces "mamans du dimanche", qui décident de laisser la garde exclusive des enfants à leurs ex-compagnons.

"Je me sentais comme la pire des mères qui puisse exister" : ces femmes qui renoncent à la garde de leurs enfants après une séparation. Crédit : Getty
"Je me sentais comme la pire des mères qui puisse exister" : ces femmes qui renoncent à la garde de leurs enfants après une séparation. Crédit : Getty

C'est une configuration rare et difficile à assumer. Après une séparation, des femmes font le choix de confier la garde de leurs enfants aux papas. Une décision qui survient tantôt immédiatement, tantôt au fil des mois, le temps que chacun fasse le point sur ses besoins. À l'instar d'Élodie. Après une séparation très difficile, la jeune maman décide de s'installer dans le sud de la France. Elle emmène avec elle son petit dernier alors âgé de 4 ans. Mais après quelques mois, le petit garçon exprime un important manque de son papa resté dans le Nord, avec qui il était fusionnel.

Un coup dur pour Élodie, qui fait alors le choix déchirant de lui en confier la garde. "J'ai un papa qui m'a abandonnée, un beau-père qui m'a battue et une mère qui n'a pas pris soin de moi, alors je pars du principe qu'il faut que je fasse passer mes enfants avant mon propre bonheur […] Même si ça me brise le cœur en deux". Depuis, Élodie tente à distance d'être "une bonne maman", en communiquant quotidiennement avec son fils en visio, lui envoyant des petits mots, des cadeaux payant une partie des frais de scolarité et participant autant que possible à son éducation.

"Je ne voulais surtout pas lui imposer mon nouveau choix de vie, car il était également très proche de la famille de son papa [...] J'ai fait le choix de partir, il faut assumer", explique celle qui ne regrette rien, malgré les moments durs : "les au revoir sont très difficiles, c'est certain que je ne pourrai jamais m'y habituer et lui non plus". Bientôt, elle lui fera la surprise d'aller le chercher à l'école à l'autre bout du pays : "C'est peut-être bête à dire, mais ce sera la première fois que je le fais depuis qu'il est dans le Nord. C'est quelque chose d'important pour moi et qui lui fera du bien au cœur".

"Des personnes ont tout de suite crié à l'abandon"

Malgré cette décision à regret, Élodie a essuyé de nombreuses critiques, se voyant accusée surtout par les mamans, de vouloir "vivre [s]a vie tranquille dans le sud au soleil". Des jugements majorés par le jeune âge de l'enfant. "Les représentations de la société restent centrées sur le fait que la mère […] du fait qu'elle porte les enfants et leur donne éventuellement le sein, serait mieux disposée à s'occuper d'eux, notamment quand ils sont petits. Le père intervenant dans l'éducation plus tard, lorsque les enfants commencent à grandir...", corrobore à ce sujet le sociologue Gérard Neyrand.

Depuis les années 70, les mœurs évoluent cependant vers un plus grand investissement des pères auprès des jeunes enfants. "On est dans cette tension entre une nouvelle façon de voir les choses qui est plus égalitaire [...] et une position traditionnelle plus fréquente dans les milieux populaires, d'origine étrangère ou les milieux croyants-pratiquants", décrypte le co-auteur de Père, mère, après séparation, - Résidence alternée et coparentalité.

"Hors de mon cercle restreint, des personnes ont tout de suite crié à l'abandon, et dit que j'avais bousillé la vie de mes fils", explique de son côté Laura, qui a elle aussi fait le choix d'envoyer ses enfants de 3 et 5 ans chez leur papa. Après s'être battue pour obtenir leur garde, la jeune femme de 25 ans a dû revoir ses plans, contrainte et forcée. Sa mère est tombée gravement malade, et l'a suppliée de s'occuper d'elle. Une fois installée chez elle avec ses fils, la charge s'est très rapidement alourdie : "Elle devenait de plus en plus tributaire de moi pour les soins, les toilettes, les repas, les changes etc", raconte celle qui devait également s'occuper de son père alcoolique. Estimant que le quotidien n'était "plus sain" pour eux, Laura a pris la "décision horrible" d'envoyer ses petits garçons chez leur papa.

"Je me sentais comme la pire des mères qui puissent exister"

Le sentiment de culpabilité ne lui a laissé aucun répit : "J'étais vraiment prise à la gorge, je pleurais tous les jours. Je passais la semaine à l'hôpital et un week-end sur deux, je rentrais les garder […] Je me sentais comme la pire des mères qui puissent exister, et en même temps, je devais me préparer au décès de ma propre mère". Si ces fils désormais adolescents ne lui en tiennent pas du tout rigueur, Laura, elle, estime avoir "loupé beaucoup de choses" comme "les rentrées des classes, les anniversaires ou les sorties scolaires" : "Quand toutes les mamans attendent leur enfant devant le portail de l'école, et que pour votre enfant, c'est sa grand-mère, parce que maman n'est pas là et papa travaille, je pense qu'à 3 ans, ça peut marquer […] Même simplement être là pour son enfant quand il est malade. Je pense qu'une maman, c'est un peu un gros doudou".

Malgré "un peu de culpabilité", Céline, elle, garde au contraire de bons souvenirs de l'année où elle a été une maman du week-end pour son fils de deux ans, avant que son père ne démissionne de son rôle. Entre sorties au cinéma et rencontres en boîtes de nuit, elle retrouvait en semaine une deuxième jeunesse, tout en sachant se consacrer pleinement à son enfant le moment venu : "J'étais en pleine forme pour lui octroyer tout le temps nécessaire sans fatigue : promenades à rallonge, préparation de bons petits plats parce que j'avais le temps, finances suffisantes pour le gâter avec des sorties coûteuses dans des parcs d'attractions par exemple. Globalement, j'étais zen sur tous les points". Et pour cause, chez elle, cette décision n'était en rien subie. Depuis l'adolescence, Céline a mis un point d'honneur à privilégier sa vie de femme, après avoir vu celle de sa mère être sacrifiée.

"Moi aussi je méritais de refaire ma vie !"

"Dans mon enfance, ma mère nous avait 24h/24, nos papas ne venaient que sporadiquement quand le vent soufflait dans la bonne direction, et la pension alimentaire était une notion très vague", détaille-t-elle. Après l'avoir quittée, un homme a même lancé à sa mère qu'elle ne pouvait prétendre à avoir une relation sérieuse, à cause de ses "trois boulets à la jambe" (ndlr : ces enfants issus de précédentes unions). Témoin de cette injustice, Céline s'est promis qu'aucun homme ne lui ferait cette réflexion. "En rencontrant mon ex-mari, je lui ai bien fait comprendre qu'en cas de séparation […] il partirait également avec les enfants, car moi aussi je méritais de refaire ma vie !". Et celle-ci a joint les actes à la parole, quand l'homme a annoncé qu'il la quittait après deux ans de mariage.

Un choix presque militant lorsque l'on sait qu'hommes et femmes n'ont, à la base, pas les mêmes chances de refaire leur vie après une rupture : "Les hommes qui n'ont pas la garde des enfants, vont retrouver une compagne relativement rapidement. Pour le parent qui a la garde principale et notamment les femmes, la recomposition conjugale est beaucoup moins fréquente et beaucoup plus tardive", détaille le sociologue Gérard Neyrand. Autre inégalité : les hommes ayant la garde exclusive de leurs enfants quant à eux, "restent attractifs sur le 'marché amoureux'", contrairement aux femmes dans la même situation.

Dans d'autres cas, c'est la carrière professionnelle qui est au centre de la question, les femmes à la tête d'une famille monoparentale étant souvent perçues par les recruteurs comme peu fiables. Une situation d'autant plus problématique qu'elles sortent généralement appauvries d'une séparation. Malgré ces prises de conscience, la société semble évoluer lentement sur ce sujet tabou, comme le confirme en chiffres Gérard Neyrand : "on est passé de 8% de garde par le père dans les années 70, à 12% maintenant".