Livres : le top 10 du mois de septembre
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Livres : le top 10 du mois de septembre
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« L'Échiquier », de Jean-Philippe Toussaint (Les Éditions de Minuit)
Sa notice Wikipédia signale que Jean-Philippe Toussaint fut champion du monde junior de Scrabble. On apprend dans « L'Échiquier » qu'il fut aussi joueur d'échecs. Son adversaire était son père. Lorsque ce journaliste reconnu, directeur du « Soir » en Belgique, comprit que son fils prenait le dessus, il lui barra le passage. En revanche, il dit un jour : « Ah, moi, j'aimerais bien que mon fils devienne écrivain. » Avec sa précision et son calme habituels, l'auteur en conclut : « Je n'ai pas eu la vocation, j'ai eu la permission. » Pour lui, « dès l'origine, la littérature et les échecs ont toujours eu partie liée ». « L'Échiquier » est un récit dans lequel le romancier, né en 1957, cède à la « tentation autobiographique ». Il le commence pendant le confinement, descend dans sa mémoire et décrit très joliment cette immersion, étape par étape. Avec ce qu'il rapporte à la surface, il dresse le portrait de ses parents. Son père, aujourd'hui décédé, apparaissait en personnage de fiction dans « La Clé USB » et « Les Émotions » ; le voilà, sans le voile du romanesque, en homme solide et exigeant. On sent la mère plus fébrile. Devant son fils, elle évoque le passé et imagine que, plus tard, il « pourrait faire un usage littéraire de ces évocations ». Toussaint, grand écrivain contemporain, est un drôle d'oiseau. Il est vaniteux quand il évoque la réponse qu'il envoya à une lycéenne ayant osé critiquer l'un de ses livres, et qu'il remit, selon lui, à sa place. Mais il fait aussi de « L'Échiquier » un bouleversant tombeau pour trois amis disparus.
Virginie Bloch-Lainé
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« Le Récit du combat », de Luc Lang (Stock)
Deuxième incursion de Luc Lang dans l'autobiographie depuis « Mother » en 2012, « Le Récit du combat » reprend des thèmes qui lui sont chers, comme la filiation, le rapport au corps, et toujours ce fil rouge qui traverse son œuvre : la chute. Soit nos défaites, au sens propre et au sens figuré, ou comment apprendre à vivre, c'est apprendre à chuter. Ce que l'auteur fait durant ses années de pratique intensive du karaté, au désespoir de son père adoptif qui aurait voulu l'initier au judo et à sa mystérieuse « force du ventre ». Le livre s'ouvre ainsi sur une magnifique scène de bataille, joyeuse et fondatrice, dans laquelle le jeune Luc, âgé de 5 ans, se confronte pour la première fois au corps « muraille » de Robert. Mais des nausées persistantes – un vertige ? – le contraignent à délaisser le judo pour le karaté, pratique dont il transmettra plus tard le goût à ses enfants. L'écrivain, qui excelle à cartographier nos sentiments, se penche ici sur sa propre géographie intime, mettant au jour ce qui constitue l'architecture d'une vie, ce qui en fait la colonne vertébrale. Avec cette idée qu'habiter son corps, c'est habiter le monde, qu'il s'agisse d'affronter un adversaire sur un tatami ou de se confronter aux épreuves de la vie. C'est ainsi une véritable chorégraphie qui se dessine sous la plume de Luc Lang, celle qu'effectuent, chaque jour, nos corps déliés ou encombrés qui, tour à tour, esquivent, s'étreignent, vacillent. Quand le quotidien nous expulse hors de nous-mêmes, il y a quelque chose de l'enfance qui se rejoue dans la quête d'unité de l'auteur : simplement mettre un pied devant l'autre pour la beauté du geste, et c'est la vie nue qui se déploie, dans le « vif éclat » de l'instant.
Avril Ventura
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« William », de Stéphanie Hochet (Rivages)
Qu’a fait William Shakespeare entre 1585 et 1592, de ses 21 ans à ses 28 ans ? Alors que les historiens et les biographes restent impuissants face à cette éclipse de sept ans, Stéphanie Hochet, experte du théâtre élisabéthain, opère un pas de côté génial et se pose LA question : et si Shakespeare avait eu « l’angoisse de passer à côté de sa vie » ? Né à Stratford d’un père gantier qui aimait faire régner la terreur sous son toit et d’une mère effacée, William n’a rien à voir avec son géniteur. Sensible à la beauté, au raffinement des costumes, à l’éclat des voix et des visages masculins, il n’a qu’un rêve : incarner des rôles, aimanter le public. À cette époque, il écrit déjà des poèmes, maîtrise le sonnet, jongle avec la langue. Il n’a pas à se forcer pour dire de belles choses, et sa verve séduit Anne Hathaway, qu’il épouse à 18 ans et qui lui donne une petite fille. Mais, à la naissance de ses jumeaux, Shakespeare sent l’étau se resserrer. Sans préavis, il disparaît… pour réapparaître dans la compagnie des comédiens de la reine. Chaque soir, William joue le cœur battant, découvre Londres, ses quartiers interdits où le désir s’affranchit, où son verbe devient grandiose, où le dramaturge Christopher Marlowe et l’acteur Richard Burbage lui inspirent la noirceur splendide de ses premières pièces historiques. À travers ses propres épreuves de la fuite et grâce à un montage futé, Stéphanie Hochet révèle un autre Shakespeare. Et c’est un ravissement.
Sandrine Mariette
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« La Vague qui vient », de Daniel Fohr (Inculte)
Les personnes qui, dans ce livre, se prennent pour le centre de l'univers, qui représentent-elles ? Un peu tout le monde. « La Vague qui vient » est une fable comique, alerte et tendrement ironique. Elle se termine très joliment. Le narrateur est un dessinateur de bande dessinée dont les albums n'ont aucun succès. Pour faire le point, comme on dit, il part sur une île dont le nom est simplement l'« Île » : « Le naufrage était celui de mes ambitions. » Le maire lui fait une proposition : peindre une immense fresque dans la salle des fêtes afin de rendre hommage aux habitants. Ce serait bien que le résultat ressemble à la « pochette de Sergent Pepper's ». L'artiste accepte et devient le « mémorialiste » de l'Île. Il n'est pas un habitant qui ne tient à être représenté sur la fresque. Le narcissisme est un mal répandu, l'égoïsme aussi : « Chacun raccommode les trous de son propre filet. » Le dessinateur est aux premières loges pour observer ces gens qui tournent en rond, prompts à juger les autres, moins doués pour agir : « C'est l'un des paradoxes des îles, la sensation d'indépendance y est plus forte qu'ailleurs quand la réalité de la dépendance y est souvent bien supérieure. » Nourri de « Bouvard et Pécuchet », de Flaubert, et d'une littérature latino-américaine dont les héros sont étranges et clairvoyants, Daniel Fohr a vécu aux quatre coins de la planète et en tire un cinquième roman irrésistible de drôlerie.
Virginie Bloch-Lainé
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« Sarah, Susanne et l’écrivain », d'Éric Reinhardt (Gallimard)
Dans son nouveau roman, Éric Reinhardt joue, comme souvent, à glisser du réel dans la fiction, et inversement. En résulte un climat romanesque puissant qui déclenche une cascade d'émotions. La crainte chez le lecteur se mêle à la pitié, au rire, au plaisir, à l'identification et à la reconnaissance. Le point de départ est le marché que concluent un écrivain, dont le nom n'est pas cité, et l'une de ses lectrices, Sarah. Elle lui demande, et il accepte, parce qu'il est peut-être un brin voyeur, de raconter le tournant qu'a pris un jour sa relation conjugale au point de virer au désastre. L'écrivain, dans cette fiction qui se tisse sous nos yeux, rebaptise Sarah Susanne. Il narre la descente aux enfers de cette femme de 44 ans, mariée et mère de deux jeunes adultes. Architecte installée en province, Sarah, ou Susanne (qui devient généalogiste dans la fiction de l'écrivain), décide de quitter le domicile conjugal pour que son mari, apathique, prête attention à elle. Il faut à cet homme un « électrochoc ». Mais Sarah se trompe sur l'état des sentiments de son mari, elle se voile la face depuis des années, et le lecteur le comprend avant elle. Goujat doublé d'un pervers, il dévoile à cette occasion un autre visage. Reinhardt narre remarquablement la façon dont Susanne accumule les erreurs stratégiques dans le duel qui l'oppose à son époux, la manière dont elle voit, impuissante, sa vie d'avant se déliter, ses enfants lui échapper. Elle traverse un épisode de folie qui fait frissonner. Comme dans « L'Amour et les forêts », Reinhardt situe une partie de son action dans un lieu en lisière d'une ville, « une maison lugubre » où Susanne se retire et qui aura sur elle des effets inattendus. Portrait d'un couple contemporain dans lequel la dissymétrie de moyens financiers, d'attachement, de solidarité et de courage entraîne un sursaut chez la femme, ce roman est une ode à la liberté.
Virginie Bloch-Lainé
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« Le Grand feu », de Léonor de Récondo (Grasset)
Ilaria est née pour la musique. Sa mère en est persuadée. Sans regret, elle l'abandonne à une institution pour jeunes filles qui saura cultiver ses dons. Ainsi, elle grandit à Venise en 1699, entre les murs fermés de la Pietà. Les élèves prient, chantent, jouent dans une atmosphère de paradis. Si l'une d'entre elles révèle une voix rare, on lui promet la gloire. Pour les autres, l'avenir est déjà déterminé : il faudra donner sa vie à Dieu ou faire un beau mariage. Antonio Vivaldi, « maestro di violino » des lieux, tend à Ilaria un instrument. « Chaque violon est un monde qui s'ouvre. » Mais la jeune fille brûle d'en connaître d'autres. C'est la ville, avec ses dangers, ses curiosités et ses promesses qui l'intéresse. Elle imagine des tentatives d'évasion. Un jour, enfin, une permission est accordée. Le temps d'un concert dans le palais sublime des Leoni, elle aura le droit de s'échapper. Cette première sortie est une révélation. Elle « observe tout, les maisons, les quais, la vie de ces gens si libres, elle voudrait elle aussi courir sur les dalles de pierre, le visage au vent comme maintenant, et puis jeter son violon dans le canal ». Sa vocation n'est plus son unique horizon. Avec la virtuosité qu'on lui connaît, Léonor de Récondo fait vibrer chaque note d'espérance, de doute, de passion dans le cœur tiraillé de sa jeune prodige. Une charmante partition.
Flavie Philipon
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