Livres : le top 10 du mois de septembre
Après quatre romans, dont un best-seller, « Le Dîner », Herman Koch, la star des lettres hollandaises, revient dans « Jours de Finlande » sur un exil de six mois au pays finnois. Dès les premières pages, on s'enroule dans ce récit polaire, à la veine autobiographique. Deux ans après le décès de sa mère, à 19 ans, l'auteur met fin à des études qui lui ont « raccourci au moins de trois ans le début effectif de sa vraie vie ». On est en 1973, avec le minimum de bagages et une assurance sidérante, ce jeune adulte – à peine sorti du chagrin –, mû par l'envie de « s'isoler, vivre en reclus, être introuvable », met le cap en plein hiver sur Helsinki, puis le village reculé de Lieska. À cette époque, alors que les gens de son âge partent faire les vendanges en France ou travailler dans un kibboutz, Herman Koch, citadin, décide de cultiver la terre dans une ferme où les paysans, des armoires à glace, sont capables de hisser d'un seul mouvement des arbres entiers, et où le thermomètre chute à moins 27 °C la nuit. À son arrivée, son allure maigrichonne fait sourire les gars du coin qui lui glissent, pour sa survie, ses premiers mots finnois : « chutes d'arbre », « à-coup à la tronçonneuse », « blessures impossibles à suturer ». Suspendu aux flocons de neige qui tombent comme des briques, happé par des situations déroutantes, le lecteur est vite intrigué par ce Koch de 19 ans, « écrivain en devenir », qui consigne dans sa chair l'expérience du danger, de la proximité des loups et des ours, de la « réelle solitude »… Au cours de cette échappée glaciale, il y a une courte scène, presque de cinéma tant elle irradie, où une jeune femme, Anna, le regarde et lui dit : « I will wait ». Grâce à un montage de ses éclats de mémoire incroyables, digne du septième art, Koch nous emporte au cœur de la fabrication du roman et de l'écrivain. Inspirant.
Sandrine Mariette
(© Presse)
« Je crois que c’est la femme de ma vie parce qu’elle m’aimerait même si je n’avais que des qualités. » Voici l'un des aphorismes pleins de charme et d'esprit de ce recueil au titre loufoque. En voilà un autre : « Comment profiter de la plage avec une mère agitée ? » Et un dernier : « Enfant, je fus trop bien élevé. Adulte, que m'en reste-t-il sinon de l'eczéma ? » Ancien élève de l'École nationale supérieure de la photographie d'Arles, Vincent Vigneron réussit un coup de maître : il emmène le lecteur de surprises en merveilles, détourne les formules pour fabriquer d'autres vérités, poétiques, comiques, mélancoliques ou métaphysiques : « Éros et Thanatos sont dans un bateau. Éros tombe à l'eau. » Jeu avec le sens et les sons, goût de la repartie et de la vitesse forment le style de Vigneron. D'ailleurs, qu'est-ce qu'un aphorisme ? Dans la postface, l'écrivain Clément Bénech cite la définition du Littré : « Sentence renfermant un grand sens en peu de mots. » Mais attention : l'auteur n'est jamais sentencieux ; Clément Bénech insiste : « Nous sommes ici par-delà le bien et le mal. » Il est alors question d'enfance, de travail et d'amour : « Je me glycine autour de tes grilles. »
Virginie Bloch-Lainé
(© Presse)
Son « Chant du poulet sous vide » était grisant, son « GPS » va enchanter la rentrée. « Courrier jamais arrivé : il postait ses lettres dans la poubelle à mégots depuis plus de dix ans. » Avant d'être au chômage, Ariane rédigeait des faits divers improbables dans des journaux, et partait à ses rendez-vous avec beaucoup d'avance pour pouvoir s'égarer sans arriver en retard. Jusqu'au jour où sa meilleure amie partage sa localisation pour la guider vers le lieu de ses fiançailles (Zone Belle-Fenestre, une adresse capable de mener quelqu'un à sa perte), avant de disparaître. Mais le point qui la représente sur le GPS du portable d'Ariane continue d'évoluer, incitant cette dernière à le suivre virtuellement et à mener l'enquête. Dans le GPS, il ne pleut pas, le problème du chômage ne se pose pas, pas plus que celui du réchauffement climatique. Ariane apprécie ce monde sans contraintes et sans choix, et ne vit bientôt plus que pour ce point rouge qui la conduit sur les lieux de leur passé commun. Qu'il s'agisse de disparaître avant son mariage – ce chemin qu'on espère long, semé d'enfants et de succès –, d'arpenter un territoire numérique ou de revisiter leur passé, il n'est question pour les antihéroïnes de Lucie Rico que de fuir le réel, nécessairement piégé, ou de tenter de le désamorcer. Dans ce deuxième roman ludique et mélancolique rédigé à la deuxième personne, Timelapse, Google Maps et Google Street View sont autant de moyens détournés d'explorer le territoire escarpé de l'amitié, ses croisements heureux, ses virages abrupts – d'en célébrer la beauté aussi, et la puissance créatrice, en même temps que destructrice. Car « GPS » est avant tout une ode drôle et sensible à l'art de la fuite et au pouvoir de la fiction, aux histoires que l'on se raconte dans l'espoir de donner un sens à nos vies, au risque, parfois, de se perdre.
Avril Ventura
(© Presse)
Avec son dernier roman, Stéphanie Carlier signe une ode enchanteresse à la littérature et aux vies minuscules. « Clara, coiffeuse en Saône-et-Loire, découvre Marcel Proust et sa vie en est transformée. » Qu'il est périlleux, le thème de ce roman… La France dite « d'en bas » s'ouvrant à la grande littérature, aïe ! On imagine un auteur avançant sur une corde tendue au-dessus du précipice. Mais Stéphane Carlier est un équilibriste qui tient sa perche d'une plume ferme, et son livre est tout simplement délicieux. Ça se passe à Dijon, chez Cindy Coiffure, le salon de madame Habib, accro au parfum Shalimar, au bronzage à l'année et aux clips d'oreilles. Ses employées, Nolwenn et Clara, passent leurs journées à appliquer des couleurs à des dames sans âge (le « blond Bernadette Chirac » est très demandé). On écoute Radio Nostalgie, on commente « Gala », les années passent, jusqu'au jour où un client oublie « Du côté de chez Swann » sur son siège. Clara, qui lit plutôt Musso ou Pancol, mettra cinq mois avant d'ouvrir ce gros livre de poche, et presque autant avant d'en arriver à bout. À la dernière page, le monde a changé : exit, JB, son beau pompier qu'elle ne se décidait pas à épouser, oubliée, son ambition d'ouvrir une onglerie, le temps perdu est derrière elle. Et la vie qu'elle s'apprête à inventer est une merveille de poésie, dont nous ne « divulgâcherons » rien, pardi ! Un roman virtuose, qui donne autant envie de (re)lire Proust que d'applaudir le talent singulier de Stéphane Carlier.
Alix Girod de L’Ain
(© Presse)
Les éditions Seghers poursuivent leur révolution. Après avoir opéré une mue graphique, la maison ripoline ses classiques pour les enfants en relançant quatre titres de poésie sous des couvertures gourmandes, imaginées par Vahram Muratyan (décidément le nouvel artiste orchestre du livre). Le résultat est splendide, notre coup de cœur va aux « Sirandanes », des drôles de devinettes de l'île Maurice, rassemblées et traduites par J.M.G. Le Clézio et son épouse Jémia.
Olivia de Lamberterie
(© Presse)
Julian et sa femme Victoria sont valeureux, ils ont mal commencé dans la vie. Julian a le cœur lourd d'une « tristesse originelle », il s'en sort en étant « absolument alcoolique », marié à une femme d'une « beauté ineffable ». Ils sont les parents de la vaillante Maria, double de l'autrice. Elle raconte leurs secrets et leurs malheurs avec fougue, elle attrape même le burlesque de leur tragique existence. « Les gens de Bilbao naissent où ils veulent » décrit ce trio insolite et boiteux depuis ses origines jusqu'à sa fin, car il y a une fin. Victoria est femme de ménage, Julian, gardien du théâtre de La Michodière, à Paris. Mais ils viennent d'ailleurs : Julian est un « fils de pute » au sens propre. Sa mère, une prostituée à Bilbao, l'a confié aux jésuites à sa naissance. Même début pour Victoria : née en Galice, elle fut abandonnée par sa mère qui « avait demandé un fils, un vrai, un fort. Pas ça ». Julian et Victoria aiment leur fille plus que tout. Maria est une curiosité pour ses camarades de classe, tous issus de parents plus aisés. Maria Larrea, dont c'est le premier roman, est une scénariste et réalisatrice formée à la Femis. La tendresse de son regard fait de ce texte une pépite. La description des vacances d'été à Bilbao est merveilleuse : Julian se prend pour « une vedette de cinéma. […] On vivait là comme des riches mais tout le quartier se foutait discrètement de notre gueule, nous étions les pijos, les bourgeois, franchutes, les Français ». Dans son dernier tiers, le livre devient une enquête : un tirage de cartes révèle à Maria que ses origines ne sont pas celles qu'elle imagine. Et elle n'est pas la seule à en être bouleversée. Une autrice est née.
Virginie Bloch-Lainé
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Quels sont les romans qu’ils faut absolument dévorer ? La réponse avec le top dix de la rédaction.Le mois de septembre s’installe. Après avoir dévoré tous les livres qui vous ont accompagné, cet été, dans votre valise, il est grand temps de faire le plein de nouveautés. Vous avez déjà pioché dans notre sélection des meilleurs livres de la rentrée littéraire 2022, et vous souhaitez davantage d’idées ? Nous avons ce qu’il vous faut.Une sélection éclectiqueRomans, récits poignants, autobiographiques… : il y en a pour tous les goûts. Découvrez, sans plus tarder, notre top 10 du mois de septembre qui vous aidera à passer le cap de la rentrée, sans cafarder.