Mon éducation corporelle : comment j'ai cessé de me soucier des critères de beauté

Accepter son corps tel qu'il est représente un passage obligé pour tout le monde, mais la quête de l'acceptation personnelle peut-être légèrement plus complexe quand vous vivez entre deux mondes qui imposent chacun leurs propres idéaux.

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Des filles en file indienne. (Photo : Getty Images)

J'étais une simple étudiante dans une école publique du Bronx avant d'intégrer une école privée pour filles dans l'Upper East Side en cinquième. Le quartier dans lequel j'ai grandi était principalement constitué d'immigrants venus des Caraïbes et de leurs jeunes enfants nés aux Etats-Unis. J'ai reçu différents messages à propos de l'allure que devait avoir mon corps lorsque j'étais adolescente et que mon corps évoluait. À l'approche de la puberté, mon corps s'est mis à changer. Je me souviens avoir commencé à effectuer des abdos latéraux après avoir entendu ma mère dire qu'une belle taille était importante. J'observais sa magnifique silhouette et je voulais lui ressembler, je passais donc quelques minutes tous les jours en face du miroir à essayer de transformer ma taille qui commençait à peine à se former. Inutile de préciser que mes muscles obliques n'avaient pas encore fait leur apparition.

Je savais très bien à quoi correspondait un « beau » corps dans ma communauté lorsque j'ai intégré mon collège dans le Bronx. L'école que je fréquentais accueillait des jeunes de tous les milieux et de toutes les ethnicités, mais les standards de beauté étaient fortement influencés par les cultures noires et latinos multiethniques très présentes à l'école. J'étais en sixième quand le tube Thong Song de Sisqo est sorti en 1999 et cette chanson m'a aidé à comprendre qu'avoir de grosses fesses était tendance. Enfin, c'était déjà un critère de beauté dans ma culture. En grandissant, ma communauté m'a ainsi fait comprendre que les femmes étaient supposées être fortes (mais pas « grosses ») et pulpeuses : de grosses cuisses, une taille fine, une grosse poitrine ferme, un ventre plat et un derrière rond et haut, un peu comme une bulle.

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Merci d'avoir contribué à ma confusion, Sisqo. (Photo : Bunnosaur)

Ça ressemble pas mal aux critères de beauté populaires aujourd'hui, maintenant que l'Amérique a accepté des critères autrefois considérés comme « très spécifiques ». On peut en partie attribuer cela au succès de Jennifer Lopez au début des années 90 et à la popularité actuelle des femmes caucasiennes voluptueuses comme Kim Kardashian. Pourtant, ce type de corps n'était pas vraiment une source d'inspiration pour mes camarades à l'école privée.

J'ai toujours été petite, je suis née petite, en fait. J'ai entendu beaucoup de commentaires à propos de ma taille tout au long de mon enfance. « Tes mains sont toutes petites », me disaient mes camarades. « Oh, tes pieds sont si petits, tu as encore tes pieds de bébé », disait ma mère. J'étais toujours une des plus petites de ma classe. Je récupérais souvent les fringues de ma cousine qui avait deux ans de moins que moi et qui devait régulièrement acheter de nouveaux vêtements car elle grandissait trop vite. Mais, je ne m'étais jamais considérée comme grosse avant d'intégrer mon école privée.

Il m'était impossible d'ignorer les nombreuses différences culturelles entre mes camarades et moi, en plus du fait que je venais d'un quartier de classe moyenne inférieure et que j'intégrais une école où les parents d'élèves possédaient plusieurs maisons et étaient richissimes. Dans mon quartier, les filles de mon âge écoutaient du Lil’ Bow Wow alors que mes camarades étaient in love avec Aaron Carter dans l'Upper East Side (quand j'y repense, nous avions toutes de très mauvais goûts musicaux). Mais la manière dont mes camarades faisaient une fixation sur leur corps m'a vraiment choquée.

Ces filles voulaient des cuisses plus fines au lieu de cuisses plus épaisses. Elles voulaient de petits seins au lieu d'une grosse poitrine. D'accord, J.Lo avait des formes mais la silhouette filiforme de Mary-Kate et Ashley Olsen était tendance. Après tout, les filles plus voluptueuses ne pouvaient pas recréer ce look avec plusieurs couches de vêtements qui ondulent. J'ai d'abord décidé de ne pas me plier aux standards corporels imposés par mes camarades à l'école privée, en vain bien sûr. J'ai rapidement compris que les problèmes d'image de mes camarades m'influençaient également. J'ai également compris l'impact que cet environnement avait sur moi en rencontrant un jour une ancienne camarade de classe de mon école publique en 5ème. Elle m'a donné une petite tape sur la cuisse qui dépassait sous ma jupe d'uniforme. « Tu t'épaissis, Ji ! », m'avait-t-elle dit en souriant. Je n'ai rien dit et j'ai passé le reste de la journée à me demander si j'étais grosse ou pas, au lieu de prendre cette réflexion comme un compliment.

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Un régime riche en glucides ne sonne pas si mal que ça même si l'idée m'aurait horrifiée au lycée. (Photo : Thank God for Gravity)

J'ai compris que je vivais entre deux mondes au collège et au lycée. Je ressentais vraiment la pression d'être mince dans mon lycée majoritairement blanc. J'ai même décidé de suivre un régime que j'avais inventé, le régime « 5 par jour », qui consistait à manger 5 aliments par jour ou 5 « points » par jour. Les points étaient définis de manière arbitraire et je ne sais toujours pas comment j'attribuais une valeur à certains aliments et repas. Au petit-déjeuner, je mangeais une orange (1) et une salade (qui ne comptait que pour 1 car je considérais que la laitue était principalement constituée d'eau) et le repas du diner préparé par ma mère comptait pour trois. J'avais faim. J'avais faim et j'étais énervée. Mais je ne perdais pas de poids. J'ai laissé tomber le régime et je me suis alors mise à réaliser 100 abdos trois soirs par semaine afin d'avoir un beau ventre plat. Ça n'a jamais été le cas.

C'est en première que j'ai réalisé que je n'étais peut-être pas aussi « grosse » que ça. En tout cas pas assez grosse pour que les jeunes hommes qui m'intéressaient (et qui étaient généralement des jeunes hommes de couleur) ne soient dégoutés par mon corps flasque. Ils se moquaient que mes cuisses se touchent ou que mon ventre ne soit pas parfaitement plat. Et ils ne voyaient clairement aucun inconvénient à ce que j'ai un derrière volumineux, et moi non plus. Pourtant, je ne me sentais jamais aussi élancée et mince que les autres filles de ma classe, malgré les commentaires positifs que je recevais de la part du sexe opposé. Je continuais ainsi de rêver de cuisses plus fines, d'un ventre plus plat et de bras moins flasques et plus musclés.

J'étais vraiment perdue, coincée entre deux mondes, souhaitant respecter l'idéal acceptable dans l'environnement de mon école privée au milieu de ces jeunes filles riches majoritairement blanches, tout en continuant de séduire les jeunes hommes noirs et de couleur que je fréquentais. J'ai commencé à lâcher un peu la pression concernant mon corps en terminant le lycée et en rentrant à l'université, même si je gardais les doubles standards bien en tête.

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Les frites comptaient peut-être pour 5 points sur mon échelle de points au lycée. (Photo : Getty Images)

J'ai arrêté d'essayer de satisfaire les deux standards en troisième année de licence. Je venais de revenir à mon université dans l'Ohio après un semestre de rêve en Jamaïque. Il faisait froid et gris. Je venais de me faire opérer de l'appendicite. Le soleil était parti, fini les mecs mignons avec des lunettes de soleil et des bras musclés. Je rêvais de mon séjour à Kingston, même si c'était parfois dangereux. Je suis tombée en dépression et j'ai perdu plusieurs kilos, sûrement à cause de ma petite opération aussi. Je n'avais pas été aussi mince depuis le collège. Mon derrière n'était plus aussi large, mon ventre était moins visible et mes cuisses plus petites. Plusieurs amis à l'école ont remarqué que j'avais perdu du poids. « T'es trop maigrichonne, ma belle. Mange du riz et des haricots ».

Ce commentaire ne m'a pas blessée du tout. Il a plutôt fait remonter les mêmes sentiments de confusion dont j'avais souffert étant ado. Mais c'est à ce moment précis que j'ai décidé que j'étais trop vieille pour que de telles réflexions me perturbent ou me dépriment. Pourquoi se soucier de ce que pensent les autres ? Et pourquoi passer autant de temps à essayer de satisfaire les différentes opinions des autres sur mon apparence physique, au lieu de me contenter de définir ce que JE souhaite ?

Les standards imposés par la société sont généralement inaccessibles par nature, qu'il s'agisse d'être mince ou voluptueuse. L'important est de créer son propre idéal et de ne pas se soucier de l'avis des autres, au lieu de courir après un idéal qui ne plaira de toute façon jamais à tout le monde.

Jihan Forbes
Rédactrice adjointe