TDAH et diagnostic tardif : "Si j'avais été accompagnée plus tôt, ma vie aurait probablement été bien différente"

Le TDAH est particulièrement difficile à diagnostiquer chez les jeunes femmes. © Getty Images
Le TDAH est particulièrement difficile à diagnostiquer chez les jeunes femmes. © Getty Images

Inattention, hyperactivité, impulsivité : voici les trois principales manifestations du trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité, aussi connu sous l'acronyme TDAH ou TDA/H. Ce trouble neurologique qui apparaît souvent dès l'enfance n'est pas toujours facile à repérer, bien au contraire, et en particulier chez les femmes. Résultat, certaines personnes doivent attendre l'âge adulte pour obtenir un diagnostic et un traitement, qui peuvent les pousser à revoir bien des aspects de leur vie.

"Toute ma vie, on m'a répété que je n'étais pas organisée, tête en l'air, inattentive. On m'a dit d'arrêter d'avoir la bougeotte, de me calmer, de me concentrer. Il a fallu atteindre mes 30 ans pour que je me décide enfin à aller chez une spécialiste. Le résultat est sans appel : je souffre d'un TDAH (trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité, ndlr), et ma psy est formelle : les signes étaient là depuis l'enfance." Ce témoignage, c'est celui de Léa, 32 ans, et diagnostiquée depuis un peu plus de deux ans. Cette trentenaire n'est pas la seule à avoir longtemps souffert d'un trouble du neurodéveloppement non diagnostiqué. Et le TDAH, plus particulièrement, se retrouve au cœur des attentions depuis quelques années.

Le TDAH, c'est quoi ?

Selon le DSM-5, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, et des troubles psychiatriques de l'Association Américaine de Psychiatrie, le TDAH concerne les personnes qui "présentent une combinaison de symptômes d'inattention, d'hyperactivité et d'impulsivité, ce qui conduit à trois présentations différentes : inattention prédominante, hyperactivité et impulsivité prédominante, ou présentation combinée du TDAH". Phénomène connu chez l'enfant, où il reste encore aujourd'hui difficile à déterminer, ce trouble est particulièrement difficile à diagnostiquer, ainsi que l'explique Maëva Roulin, psychologue clinicienne et autrice de l'ouvrage "Diagnostic des troubles du neurodéveloppement chez l'adulte" paru le 7 octobre 2021 aux éditions Mardaga. "Le TDAH est un trouble qui est souvent méconnu et, malheureusement, mal diagnostiqué. Il est souvent associé à d'autres troubles psychiatriques, dont la fréquence varie en fonction du sexe, de l'âge et de la présentation du TDAH." Ce qui explique pourquoi certaines personnes ne se font parfois diagnostiquer qu'à l'âge adulte. "Ce n’est pas tant que les personnes font le choix délibéré d’attendre", précise la spécialiste. Ces personnes n'ont tout simplement pas eu d'autre choix.

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C'est notamment le cas de Fanny, 30 ans, et diagnostiquée très récemment : "En écoutant deux amis parler de leur trouble, je me suis beaucoup reconnue, et ça m'a choquée. Je pensais que tout le monde était comme ça. J'ai voulu en savoir plus et comprendre ce que j'avais, si j'avais ça aussi, s'il y avait des solutions pour m'aider au quotidien." Le résultat est sans appel : non seulement la jeune femme souffre bel et bien d'un TDAH, mais en plus, elle avait pris inconsciemment l'habitude de dissimuler ses difficultés aux yeux des autres : "Ma neurospy m'a expliqué que j'avais surcompensé, d'où le fait que mon trouble de l'attention était invisible à l'époque. Et qu'aujourd'hui avec mon manque d'estime de moi et mon hypersensibilité, ça forme un cercle vicieux qui me met des bâtons dans les roues. Je ne suis pas encore à l'aise avec tous ces termes, je ne comprends pas encore tout, mais je sais que ce diagnostic m'aide à moins culpabiliser." Delia a en revanche souvent eu des doutes pendant sa jeunesse : "Je me suis toujours posé des questions, ayant assez tôt compris que je ne fonctionnais pas comme mes camarades de classe, dès le début du collège je pense. J'ai commencé à penser au TDAH vers 30 ans, quand j'ai vu une vidéo qui en parlait en vulgarisant les connaissances scientifiques sur le sujet. J'ai reconnu presque tous les symptômes évoqués." Durant son enfance, elle avait été diagnostiquée "probablement légèrement hyperactive", mais pas assez pour nécessiter une prise en charge. "Ma mère ne m'en a jamais parlé avant que j'évoque mon premier rendez-vous pour le diagnostic. Si j'avais été accompagnée plus tôt, ma vie aurait probablement été bien différente."

Des diagnostics plus tardifs chez les femmes

Si la plupart des témoignages de diagnostics tardifs proviennent de femmes ou de personnes non-binaires, c'est parce que ces dernier·es sont plus difficiles à diagnostiquer que les hommes cisgenres. Selon Maëva Roulin, le ratio chez les enfants est généralement d'une fille pour quatre garçons à une fille pour neuf garçons. En revanche, à l'âge adulte, l'écart se réduit drastiquement pour représenter une femme pour 1,6 homme. "Cela suggère une augmentation du diagnostic du TDAH chez les femmes âgées de 19 ans et plus. L'existence de différences entre les sexes dans le diagnostic du TDAH est bien documentée, avec des preuves suggérant que le TDAH est encore un trouble caché chez les filles et les femmes."

En cause ? Un biais d'orientation sexiste ancré dans l'éducation des filles, poussées à être plus calmes, plus discrètes que les garçons. "Les filles atteintes de TDAH peuvent présenter un comportement moins disruptif, de l'hyperactivité et de l'impulsivité et donc attirer moins l'attention des parents et des enseignants. Les filles avec un TDAH sont souvent mal comprises et stigmatisées, étant donné les attentes sociétales à l'égard du comportement féminin. Les problèmes d'extériorisation, présents dès le plus jeune âge chez de nombreux garçons avec TDAH, sont moins probables ou apparaissent plus tard chez les filles", explique la spécialiste, qui précise : "Il est bien connu que les hommes sont surreprésentés dans les comportements socialement problématiques qui ont été liés à l'impulsivité, comme le comportement agressif. Les problèmes d'intériorisation tels que la dépression et l'anxiété sont prédominants, et masquent souvent la présence du TDAH chez les filles et les femmes."

Un biais sexiste qui peut avoir des conséquences à long terme, ainsi que l'évoque la psychologue clinicienne : "Des preuves confirment que les filles atteintes de TDAH sont 5,4 fois plus susceptibles de recevoir un diagnostic de dépression majeure et trois fois plus susceptibles d'être traitées pour une dépression avant leur diagnostic de TDAH. Ces problèmes peuvent être considérés comme primaires, ce qui conduit à la méconnaissance du trouble neurodéveloppemental sous-jacent." "Je suis suivie par une psychologue depuis 5 ans", confirme Léa. "Je souffre d'un trouble anxieux, et d'épisodes dépressifs réguliers. Et quand j'ai confié à ma psy que j'avais commencé un parcours de diagnostic pour le TDAH, elle m'a littéralement répondu : "Ah mais vous n'aviez jamais été diagnostiquée ? Ça me paraissait pourtant évident !"

Syndrome de l'imposteur et soulagement

Le diagnostic du TDAH est d'autant plus difficile à obtenir que chez certaines personnes, et particulièrement chez les femmes, il s'accompagne d'un syndrome de l'imposteur assez important. C'est précisément ce qu'a pu constater Fanny : "Peut-être aussi que j'ai mis du temps à me sentir assez légitime pour chercher un diagnostic, et admettre que je ne suis peut-être pas juste une conne incapable de rester concentrée 2 minutes, que ce n'est pas 100% de ma faute." Même son de cloche chez Léa : "Je me suis longtemps sentie nulle, incompétente, incapable. Je ne comprenais pas ce qui clochait chez moi, et j'avais cette sensation de ne pas être normale qui me minait le moral. Mon diagnostic a été un soulagement, et la thérapie comportementale entreprise en parallèle mon traitement médicamenteux m'a aidée à reprendre un meilleur contrôle sur bien des aspects de ma vie."

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Au-delà des dégâts sur l'estime de soi, un diagnostic tardif peut avoir de nombreuses conséquences, rappelle Maëva Roulin : "Le TDAH entraîne des coûts personnels et financiers élevés non seulement pour les personnes concernées, mais aussi pour leurs familles, leurs amis et leurs employeurs. Le chevauchement des symptômes entre le TDAH et d'autres troubles psychiatriques constitue un défi pour les cliniciens, mais l'absence d'identification de la présence du TDAH peut influencer négativement la trajectoire des troubles psychiatriques ou neurologiques comorbides et augmenter le fardeau personnel et socio-économique. Le fardeau socio-économique du TDAH est important à souligner afin de mieux comprendre l'importance de son identification pour prévenir les résultats négatifs sur la santé et réduire les coûts socio-économiques qu'une personne avec un TDAH non diagnostiqué et non traité peut imposer à notre société. Il est maintenant clair que le TDAH impose un fardeau social et économique substantiel, non seulement sur le système de santé mais aussi sur ceux de la justice et de l'éducation." En effet : "Le TDAH est associé à une détérioration de la santé physique. Les adultes avec TDAH non diagnostiqués peuvent développer plusieurs mécanismes d'adaptation et de compensation sans être conscients de leurs dysfonctionnements. Il est important de rappeler qu’un bon nombre des conséquences et des coûts sociaux d'un TDAH non traité pourraient être évités si ce trouble était correctement identifié. Il existe suffisamment de preuves montrant que les médicaments contre le TDAH présentent des tailles d'effet robustes dans la réduction des symptômes."

TDAH et réseaux sociaux

Si le TDAH est au centre de nombreuses conversations ces derniers mois, c'est notamment parce que les vidéos qui l'évoquent sur YouTube, Instagram et TikTok sont nombreuses, et ont même poussé certaines personnes à chercher un diagnostic. De nombreux spécialistes incitent toutefois à la méfiance, en particulier si ces contenus ne sont pas créés par des professionnels de santé. Toutefois, elles ont une véritable utilité, selon Maëva Roulin. "L’information, si elle est qualitative, au travers des médias et réseaux sociaux, permet de faire connaître le TDAH et peut permettre aux personnes d’entamer ou de poursuivre une démarche diagnostique."

En cas de doute, la seule solution selon elle est d'échanger avec un spécialiste pour obtenir un diagnostic précis et l'accompagnement qui va avec. "L'évaluation du TDAH doit être considérée comme un processus multidimensionnel, qui n'a pas pour seul objectif d'identifier les principaux symptômes du trouble, mais qui représente un effort pour parvenir à une compréhension suffisante de l'individu et de son fonctionnement dans le contexte de la vie. Malheureusement, il n'existe actuellement aucun test génétique ou test unique permettant de diagnostiquer le TDAH. Grâce à une évaluation diagnostique minutieuse à l'aide d'outils spécifiques et d'un historique clinique et médical complet, il est possible de saisir la plupart des informations nécessaires pour fournir le diagnostic le plus précis et guider le choix du traitement, ce qui permet une approche plus personnalisée des soins au patient."

Pour venir en aide aux personnes souhaitant entreprendre un parcours de diagnostic, des associations telles que Concorde TDAH proposent de nombreuses aides. "Le diagnostic du TDAH à l'âge adulte est notre cheval de bataille", affirme Alexy, président·e de l'association. "C'est une association entièrement gérée par des personnes concernées. Le bureau et les bénévoles sont tous TDAH et la majeure partie a été diagnostiquée adulte. Notre activité principale c’est la pair-aidance et l’orientation vers des spécialistes pour les diagnostics adultes notamment avec notre carte de spécialistes."

"L’objectif défini par la Haute Autorité de Santé est "d’améliorer la filière de soin qui a besoin d’être clarifiée, structurée et harmonisée sur tout le territoire pour permettre une égalité des chances pour chaque patient", conclut la psychologue clinicienne. À suivre, donc.

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