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“On avait cinq minutes pour mettre les corps dans des sacs en plastique” : une jeune aide-soignante témoigne de l’enfer du Covid-19

“On avait cinq minutes pour mettre les corps mettre dans des sacs en plastique” : une jeune aide-soignante témoigne de l’enfer du Covid-19

Il y a six ans, Sara a fait le choix de devenir aide-soignante pour s'occuper des malades, les accompagner dans leur fin de vie et leur permettre de retrouver “une dignité". Mais depuis plusieurs mois, la jeune femme n’a qu’une envie : quitter son métier. Pourquoi ? Parce que le Covid-19 est arrivé en France. Mauvaises conditions de travail, surcharge et manque d’informations… À bout, elle fait un burn-out.

"Je n’ai pas fait ce métier pour ça !" Quand elle a choisi de devenir aide-soignante, Sara** voulait aider les patients, "leur redonner une dignité". Mais quand le Covid-19 est arrivé dans les hôpitaux français, la jeune femme a été confrontée à une toute autre réalité du métier. Si au cours de sa formation, elle a appris à soigner des blessures de guerre, à affronter un attentat ou encore les victimes d’une catastrophe naturelle, ni elle ni ses collègues n’étaient prêts à affronter une pandémie. Très vite, ce qui ne devait être qu’une grippe s’est transformée en véritable cauchemar. C’est du jour au lendemain "sur le tas" qu’il a fallu composer avec un virus dont personne ne savait rien. “Au début, on pensait qu’il se transmettait sur les chaussures. Alors on s’est fait des sur-chaussures en sac poubelles. Puis, on nous a dit que c’était dans l’air”, se souvient-elle. Face au manque de connaissance et aux mesures drastiques prises par le gouvernement, comme le premier confinement instauré au mois de mars 2020, ses patients prennent peur. Certains de leurs proches vont même jusqu’à "voler" du matériel comme “des blouses, des masques et des tubes de gel hydroalcoolique” sur son lieu de travail.

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“On voyait le monde autour de nous tomber et c'était effrayant”

"À l’hôpital, on était en pénurie de matériel. Les gens confinés étaient mieux protégés que nous qui étions face au coronavirus tous les jours", déplore-t-elle. Son service devient une unité Covid-19. Elle voit les malades non-porteurs du virus quitter son établissement du sud de la France pour libérer des lits. Les journées sont longues et rythmées par les nouveaux arrivants : “Il y avait des jours où je n’avais même pas le temps de manger ou de boire un verre d’eau. Nos emplois du temps étaient incertains. On pouvait être appelés à n’importe quel moment pendant nos jours de repos”. Malgré la pression et la fatigue qui commence à s’accumuler, il faut composer avec le manque de moyen. Elle voit les médecins faire des choix entre les patients. “Des jeunes dans des cas dramatiques arrivaient à l'hôpital alors que des personnes âgées contaminées allaient très bien”. Elle commence à prendre peur. Pas pour elle, mais pour ses proches. “On voyait le monde autour de nous tomber et c'était effrayant”. Si elle a pour habitude d’affronter la mort, cette fois-ci elle a pris un autre visage.

Plus le temps de dire “au revoir” ou de s’occuper “correctement” des patients. “On savait quand les malades allaient perdre la vie, alors on prévenait leurs familles qui n’avaient pas le droit de venir les voir. Une fois qu’ils étaient morts, pas le temps de leur passer - au moins - un gant d’eau sur le visage. On avait cinq minutes pour les mettre dans des sacs en plastique et on voyait les brancards passer, des équipes masquées de la tête aux pieds venir les chercher. On ne savait même pas qui était la personne qui venait chercher un corps”. Des images traumatisantes qui la font penser : “Je n’ai pas fait ce métier pour ça !” “Je me souviens avoir dit à ma tante : ‘Quand la crise est finie, je dois changer de métier’”. En attendant ce jour, Sara vit en fonction de la pandémie.

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Elle attrape le variant le jour de où elle se fait vacciner

“D’aller au travail en temps de covid, manger covid, parler covid, soigner covid… le soir en rentrant chez moi, il y avait du covid partout à la télé. Mes amis m’appelaient pour savoir comment ça se passait à l'hôpital...". Petit à petit, la jeune femme perd pied jusqu’à commettre “une erreur médical” sur un patient. “Et c’est là que j’ai fait un burn-out”. “J’ai sombré. J’étais fatiguée, j’étais épuisée. Je ne dormais quasiment plus”. Pendant près d’un mois, elle est sous antidépresseurs et commence une thérapie. “C’est là que je me suis vraiment rendu compte que le covid m’avait terrorisée”. Peu à peu s’installe la peur de sortir et son retour au travail est marqué par des crises d’angoisse qu’elle tente - tant bien que mal - de gérer. Fin janvier 2021, elle est contaminée par le variant anglais… le jour où elle se fait vacciner “juste après les vacances de Noël”. “Je me suis vue partir presque mourir. Ça a été très compliqué. À ce moment-là, j’aurais préféré avoir n’importe quelle autre maladie au monde à la place, mais le pire c’est l’après. J’étais essoufflée pour un rien. Porter un masque, c’était dur. J’avais l’impression de ne pas pouvoir respirer. Encore aujourd’hui, j’en garde des séquelles".

Pour Sara, le monde hospitalier est victime d'un "véritable" manque de considération : “Pendant des années, on nous a oubliés. Alors quand les Français se sont mis à nous applaudir, on s’est dit qu’en fait ils ne se rendaient pas compte de la réalité de notre métier, de pourquoi on ne cesse de réclamer plus de moyens depuis tout ce temps”. Si elle a choisi son métier en connaissance de cause, elle estime que personne n’était prêt “à tout ça”. Alors qu’Emmanuel Macron doit prendre la parole le mercredi 31 mars 2021, elle se dit mitigée. D’un côté, la soignante a envie que le gouvernement annonce un nouveau confinement "dans tout le pays" pour que les hôpitaux puissent “souffler”. De l’autre, la jeune femme connaît les dégâts du confinement et comprend bien qu’il sera difficile à respecter.

Sara* : le prénom de la jeune femme a été changé par souci d'anonymat.

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