Victimes de leur succès, les marchés de Noël alsaciens cherchent à juguler le surtourisme hivernal
"Allez, au suivant !", aboie une vendeuse du marché en me glissant dans la main un verre de vin chaud parfumé à la cannelle et en me faisant signe d'avancer.
Derrière moi, une file d'attente de vingt minutes s'est formée, et je comprends que la fameuse hospitalité alsacienne n'a pas droit de cité sur le marché de Noël surchargé de Strasbourg.
Dans cette ville et sa région, le mois de décembre est la période la plus touristique de l'année, avec plus de cinq millions de nuitées enregistrées au cours des cinq dernières semaines de 2023.
Le Pays de Noël souffre de la pression des visiteurs
L'Alsace se définit en effet comme le "pays de Noël". L'office du tourisme de la région écrit que les villes locales se transforment en "tableaux vivants", où les étals des marchés vendent du pain d'épices et du vin chaud sur fond de "rires d'enfants adorateurs" et de chants de Noël "enchanteurs".
Pour de nombreux habitants, cependant, cette magie de Noël s'est transformée en malédiction : les villes et les villages sont envahis par des foules compactes et bruyantes, sans parler des embouteillages aux alentours.
"Il y a des moments où l'on ne peut pas se déplacer dans la foule des marchés de Noël", explique Daniel Ehret, guide conférencier et Alsacien.
"Il y a de longues files d'attente partout. J'ai même vu des bagarres dans les files d'attente des toilettes".
Daniel Ehret se souvient d'un incident pénible impliquant une femme âgée qui, incapable d'atteindre les toilettes à temps, a eu un accident. "C'est un exemple extrême des scènes de surtourisme auxquelles nous assistons, mais ce qui est clair, c'est que nous avons poussé ces marchés à leur limite", déclare-t-il.
Des mesures pour contrôler les flux sur les marchés alsaciens
Depuis plusieurs années, les habitants s'inquiètent de cette surpopulation, qui rend difficile le stationnement, la circulation et même le sommeil, car les marchés de Noël sont souvent suivis de fêtes nocturnes bruyantes.
Plusieurs villages et villes ont pris des initiatives pour limiter cette affluence : Strasbourg a ainsi reconfiguré son gigantesque marché de Noël en quinze sections plus petites réparties dans la ville.
La commune de Kayserberg a limité la taille de ses marchés, tandis que la ville de Colmar a publié un calendrier semblable à ceux des parcs d'attractions.
"Les gens peuvent voir quand le marché sera calme et choisir de venir à ces moments-là", explique Éric Straumann, le maire de Colmar.
"Jusqu'à présent, nous avons constaté une légère augmentation de la fréquentation pendant les heures creuses, ce qui signifie qu'il y a eu une légère désaffection des visiteurs", ajoute-t-il.
Colmar propose également des bus pour les villages voisins et leurs petits marchés de Noël, bien que ces lieux ressentent également la pression de la surpopulation.
Noël est "une période stressante pour les habitants"
Le village de Riquewihr sort tout droit d'un livre de contes de fées, avec ses maisons colorées à colombages entourées de collines couvertes de vignes.
Mais au mois de décembre, les 1 050 résidents annuels sont envahis par quelque 450 000 visiteurs.
"C'est une période stressante pour les habitants", explique le maire Daniel Klack. "La période de Noël exige beaucoup de patience."
Pour résoudre ce problème, la commune a limité la taille du marché à 43 stands répartis dans le village. La mairie a également installé un parking à quelques kilomètres de là, avec des navettes qui amènent les visiteurs vers le centre.
Un système similaire fonctionne dans la ville voisine de Kayserberg. Christophe Bergamini, directeur de l'office de tourisme de la vallée de Kayserberg, note que les visiteurs essaient toujours de se rapprocher le plus possible de la ville et garent souvent leur voiture le long de la route principale. "Cela crée du trafic et des problèmes de sécurité, car de nombreux piétons marchent sur cette route très fréquentée", explique M. Bergamini.
Néanmoins, M. Bergamini hésite à utiliser le terme surtoursime.
"Ce que nous avons à Kayserberg, ce sont des moments de forte affluence", dit-il. "Surtout le samedi après-midi et à la tombée de la nuit, lorsque les gens viennent voir les illuminations de Noël... mais cela n'a rien à voir avec la situation de Barcelone ou de Dubrovnik", affirme-t-il.
Un impact sur la vie des Alsaciens
Cette surpopulation pendant les mois d'hiver affecte sans aucun doute la qualité de vie des habitants, comme l'explique Daniel Ehret. Le conférencier alsacien estime que cela a déjà eu une incidence sur son choix de résidence.
"Lorsque j'ai acheté une maison, je savais que je devais éviter le centre de villages comme Riquewihr", explique-t-il. "Et je ne suis pas le seul. Les gens se demandent si cela vaut la peine de vivre dans ces beaux centres-villes".
Pour M. Ehret, la situation atteint rapidement ses limites, et il estime que des mesures plus extrêmes seront nécessaires.
"À un moment donné, les villes ne pourront plus absorber de touristes. Elles devront alors en limiter le nombre, comme Venise", ajoute-t-il en faisant référence au projet de la ville italienne de faire payer un droit d'entrée pour limiter le nombre de visiteurs.
L'instauration d'un droit d'entrée pour les marchés a été discutée dans de nombreuses villes, mais les décideurs locaux sont récalcitrants.
C'est une "fausse bonne idée", selon le maire de Strasbourg, Eric Straumann, qui explique que cela créerait un goulot d'étranglement aux différentes entrées de la ville, entraînant de grandes files d'attente qui seraient gênantes pour les habitants comme pour les visiteurs.
Il est également difficile de fermer toutes les entrées des centres historiques, comme le fait remarquer M. Bergamini. Le maire de Riquewihr est du même avis : faire payer l'entrée "n'est pas vraiment dans l'esprit de l'événement. Le marché ressemblerait alors à un parc d'attractions".
Une chose est sûre : le problème de la surpopulation n'est pas près de disparaître.
La plupart des marchés de Noël alsaciens ne font plus de campagne publicitaire, mais leur notoriété continue d'attirer des visiteurs de France et de l'étranger.
Quelles que soient les mesures prises pour lutter contre l'affluence, les maires s'accordent sur un point : depuis le début de l'année, la fréquentation n'a jamais été aussi élevée.