Avortement illégal : "Si quelqu'un apprend que je me suis fait avorter, je risque la peine de mort"

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Le droit à l'avortement est menacé aux Etats-Unis. (Photo by Nicolas Liponne/NurPhoto via Getty Images)

Aux Etats-Unis, le droit à l'avortement est en danger. La Cour suprême des Etats-Unis s'apprêterait à annuler l'arrêt Roe v. Wade de 1973 dans lequel elle a reconnu le droit à l'avortement dans tout le pays. Un retour de 50 ans en arrière qui va compliquer l'accès à l'IVG dans bon nombre d'états. Mais surtout, cette décision mettrais en danger la vie de milliers de femmes chaque année, les forçant à avorter dans de dangereuses conditions.

Le droit à l'avortement est acquis en France comme dans de nombreux pays, mais ce droit peut être révoqué à tout moment, sans que les citoyens ne puissent faire grande-chose si ce n'est crier leur désapprobation. Après la Pologne, qui a fortement réduit l'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), c'est au tour des Etats-Unis de s'y attaquer. Selon les informations du magazine américain Politico, qui a réussi à se procurer une copie inédite d’un brouillon du projet de décision : la Cour suprême des Etats-Unis s'apprête à annuler l'arrêt Roe v. Wade de 1973 dans lequel elle a reconnu le droit à l'avortement dans tout le pays.

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Concrètement, cela signifie que chaque état qui compose les Etats-Unis d'Amérique pourra avoir ses propres règles en matière d'accès à l'IVG. Certains sont très ouverts, d'autres interdisent presque la pratique. Ces derniers affichent ainsi une volonté de contrôler le corps des femmes et des personnes pouvant tomber enceintes et de leur imposer un choix qui va à l'encontre de leurs envies. Mais ce qu'il faudrait prendre en compte, c'est qu'aucune interdiction n'a jamais empêché personne d'avorter si les concerné·e·s le voulaient vraiment. La seule chose qui change, c'est la mise en danger et les conditions dans lesquelles la procédure est réalisée.

"Ma gynéco a pratiqué l'intervention en cachette, à ses risques et périls"

"On ne peut pas bannir les avortements, on ne peut que bannir les avortements sécurisés." Cette phrase circule beaucoup sur les réseaux sociaux, et est particulièrement représentative de la situation. Car même dans des pays où les interruptions volontaires de grossesse sont interdites ou presque, elles sont toujours pratiquées. Les personnes qui les pratiquent comme celles qui les subissent, en revanche, se mettent considérablement en danger. Zofia*, 27 ans, vit en Pologne et il y a quelques semaines, elle s'est fait avorter, en dépit de l'interdiction votée en 2020.

"J'ai toujours eu des cycles menstruels difficiles à suivre, et malheureusement, j'ai réalisé assez tardivement que j'étais enceinte", raconte la jeune femme. "Plus tôt, j'aurais pu facilement me procurer le nécessaire pour une IVG médicamenteuse, on trouve ça assez facilement sur le marché noir. Mais je n'ai pas voulu prendre le risque." Zofia a de la chance : elle a une gynécologue de confiance. "Elle m'a proposé de pratiquer mon avortement, tout en sachant que c'était illégal et qu'elle risquait la prison si qui que ce soit l'apprenait. Elle m'a aussi dit qu'en cas de complication, elle ne pourrait rien faire pour m'aider car cela reviendrait à des aveux complets. J'ai accepté. Deux jours plus tard, en pleine nuit, on s'est retrouvées à son cabinet." Quelques semaines plus tard, Zofia est soulagée : tout va bien, elle n'a pas eu de problème pendant la procédure, et elle estime que le danger est passé. Mais toutes n'ont pas cette chance. Au cours des derniers mois, plusieurs femmes sont décédées lors d'avortement illégaux ou à cause de grossesses à risque qui n'ont pas pu être interrompues. "En 2022, je trouve ça terrifiant de voir que nous ne pouvons toujours pas disposer de nos utérus comme nous le souhaitons."

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"Si je rentre chez moi, je serai tuée pour avoir avorté"

La Pologne n'est pas le seul pays où l'avortement est illégal. En Iran, il est considéré comme un acte criminel, et même dans certains cas comme un homicide. Toutes les personnes impliquées dans une interruption volontaire de grossesse risquent la prison, sans oublier "le prix du sang", une somme à payer pour avoir la vie sauve. Une situation qui a poussé Marjan*, 19 ans, à prendre la fuite lorsqu'elle a découvert qu'elle était enceinte. "Dans mon pays, une femme qui a des rapports sexuels hors mariage est considérée comme une moins que rien", raconte la jeune femme installée depuis peu aux Pays-Bas. "J'espérais pouvoir cacher à mes parents que j'avais perdu ma virginité, mais quand j'ai découvert que j'étais enceinte, j'ai su qu'il fallait que je parte pour sauver ma vie."

Alors que l'homme avec qui elle a eu des rapports sexuels a refusé de lui apporter de l'aide, Marjan a reçu le soutien de son grand frère. "C'est un rebelle, il n'est plus en contact avec ma famille car il est en désaccord avec eux sur toutes sortes de valeur. J'ai pris le risque de lui faire confiance, et c'est lui qui m'a mise en contact avec une association aux Pays-Bas, qui aide les femmes dans ma condition. En quelques semaines, il m'a obtenu un passeport et un billet d'avion. J'ai fait mes bagages, j'ai laissé une lettre à mes parents, et je suis partie." Très émue, la jeune femme sait qu'elle ne reverra probablement jamais sa famille : "Je suis toujours en contact avec ma mère, en cachette, mais mon père et mes frères m'ont reniée quand ils ont appris ma fuite, et encore pire, mon avortement. Ils ont dit que si je rentrais un jour à la maison, ils me tueraient. Que c'était le prix de la honte. Mon grand frère va essayer de me rejoindre aux Pays-Bas, et en attendant, des personnes m'ont prise en charge sur place. J'ai la chance de parler anglais, et je veux travailler avec ces gens qui m'ont sauvé la vie pour aider des femmes en danger comme moi."

"Je m'en suis sortie. Pas mon amie"

La Pologne, l'Iran, peut-être bientôt les Etats-Unis... La liste des pays où l'avortement est interdit est de plus en plus longue, et cette situation inquiète énormément Françoise. A 82 ans, cette féministe toujours engagée dans les luttes pour les droits des femmes a subi un avortement illégal en 1968, à l'aube de ses 18 ans. "C'était quelques années avant la loi Veil de 1971", se souvient-elle. A mon époque, avoir un enfant à 18 ans n'avait rien de choquant pour une femme, mais ce n'était pas mon rêve, ça ne l'a jamais été. Alors quand je suis tombée enceinte, je me suis mise en quête d'une faiseuse d'ange, comme on les appelait à l'époque."

Deux amies à elle lui recommandent "une femme de confiance", qui pratique des avortements en cachette dans une chambre de bonne de la capitale contre 1 000 francs. La somme rassemblée, Françoise se rend chez l'avorteuse, et cette dernière lui explique la procédure. "Elle m'a fait un ancêtre de curetage avec les moyens du bord. Je me rappelle avoir saigné abondamment, d'en avoir mis partout dans les escaliers de l'immeuble en partant. Inquiète, mes amies ont fini par m'emmener à l'hôpital : je faisais une hémorragie. Dans mon malheur, j'ai eu de la chance : je m'en suis sortie. Moins de six mois plus tard, l'une de mes sauveuses a dû à son tour subir un avortement. Elle a succombé à une infection quelques jours plus tard." C'est en souvenir de cette compagne que Françoise se bat aujourd'hui en faveur du droit à l'IVG. "J'ai 82 ans, je devrais me reposer, mais le combat des femmes ne sera jamais fini. Tant que des hommes seront au pouvoir, nous n'aurons pas totalement le droit de disposer de notre corps. Ce qui se passe aux Etats-Unis pourrait très bien se passer en France."

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