TABOU - Claire, 26 ans se livre sur son avortement : "En sortant de l’échographie, j’avais le sentiment d’être une personne dégueulasse qui allait tuer quelqu’un en bonne santé"

Claire* a 26 ans. Après être tombée accidentellement enceinte en décembre, elle choisit d’avorter en janvier 2023. La jeune femme a vécu l’évènement comme un traumatisme. La raison ? Un corps médical réfractaire et culpabilisant. Elle nous livre son témoignage.

Dans un rapport publié par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques la veille du 28 septembre, jour dédié à la lutte pour garantir le droit à l’avortement, la Drees constate une augmentation des recours à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) en France en 2022. L'an dernier, 234.300 IVG ont été enregistrées. Claire fait partie de ces femmes qui ont bénéficié du droit d’avorter en France. Son histoire aurait pu s’arrêter là. Mais l’avortement de Claire lui a laissé de lourdes séquelles. Après l’IVG, la jeune femme a connu un épisode dépressif, faute à un milieu médical très culpabilisant.

"Tu es sûre ? Tu sais, ce n’est pas facile d’avoir des enfants"

La loi Veil, votée en France en 1975, a cristallisé toutes les critiques au moment de son adoption. Presque 50 ans après, l’histoire de Claire nous apprend que la société française exige encore "des comptes" aux femmes qui choisissent de se faire avorter. Lorsqu’elle découvre qu’elle est enceinte en décembre 2022, la jeune femme contacte immédiatement sa médecin généraliste. "Tout de suite, ça a été 'ah bah c’est super. Félicitations. Tu vas devoir faire tel examen, à telle date tu auras cet autre examen à faire…'." Quand Claire la sonde sur la possibilité de ne pas poursuivre sa grossesse, la généraliste la met en garde : "Tu es sûre ? Tu sais, ce n’est pas facile d’avoir des enfants. Moi-même, j’ai eu beaucoup de mal."

Des remarques qui font plonger Claire dans l’angoisse. "Ça m’a mis le doute. Comme si l’option d’avorter n’était pas envisageable."

"Je me suis sentie comme une personne dégueulasse. Comme si j’allais tuer quelqu’un en bonne santé"

La jeune cadre doit se rendre chez la gynécologue pour déterminer à quel stade de la grossesse elle se trouve. À nouveau, elle se confronte à l’engouement du personnel médical. "À chaque fois, c’était des 'félicitations pour cet heureux évènement'. Moi, j’avais un ton dramatique. Je n’osais même pas demander les démarches à suivre pour réaliser l’IVG. Je savais qu’il ne me restait pas beaucoup de temps. J’ai donc regardé toute seule de mon côté sur Internet."

Claire opte pour une IVG médicamenteuse et se rend à l’hôpital pour subir l’échographie de "datation". Ce n’est pas la première pour la patiente. La première se déroule avec un homme "très content" de constater que le "bébé" est en bonne santé. Lors de la seconde échographie, la jeune femme se rend à l’hôpital pour une échographie dans le cadre d’une interruption volontaire de grossesse. La gynécologue lui fait écouter le coeur du foetus et "elle me dit : 'Vous êtes sûre ? Il est en bonne santé'. Je ne sais même pas si elle avait le droit de faire ça."

Selon le Planning familial, contacté par nos soins, faire écouter le coeur du foetus lors d’une échographie dans le cadre d’une interruption volontaire de grossesse est totalement illégal. Cela constitue un délit d’entrave à l’avortement de la part d’un professionnel de santé, qui est "parfaitement informé et sait qu’il n’a pas le droit de le faire."

Claire ressort de cette échographie totalement ébranlée par les commentaires et avec le sentiment d’être "une personne dégueulasse qui allait tuer quelqu’un en bonne santé."

La jeune femme avorte par voie médicamenteuse chez elle, accompagnée d’une amie 'en cas de besoin'. Fragilisée, elle fait l’erreur, comme elle le souligne, de regarder ce qu’il y avait sur sa serviette après avoir pris les médicaments pour expulser le foetus. "Ça, ça m’a traumatisée." Elle ne ressent plus de douleurs physiques mais une atteinte morale qui s’étalera sur plusieurs mois. "Tu te sens vide et coupable" souligne-t-elle.

La jeune femme nous confie de ne pas s’être sentie coupable de son acte, mais avoir eu le sentiment qu’on la montrait du doigt. "Même si on est en 2023, dans une société où la parole est assez libérée à ce sujet, il y a quand même des choses qui te rappellent que l’avortement, ce n’est pas bien, que tu tues quand même quelqu’un."

Vidéo. "Même si c'est un droit en France, il y en a toujours pour te rappeler que "l'avortement c'est pas bien"

Lors de l'adoption de la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l'avortement, de nombreuses associations féministes ont milité pour l'abolition de la clause de conscience des médecins pouvant refuser de pratiquer l'avortement.

En effet, un article du journal Le Monde, rappelle que dans la loi Veil votée en 1975, il existe une "clause de conscience accordant la possibilité aux médecins de refuser de pratiquer un avortement." Les gynécologues et obstétriciens peuvent refuser de pratiquer un avortement mais, en vertu du code de la santé publique, ils sont dans l’obligation "d’informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention."

Le 1er février 2023, le Sénat a voté en faveur de l’inscription dans la Constitution de la "liberté de la femme" de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Les associations féministes et le planning familial en ont profité pour exiger la suppression de la clause de conscience accordée aux médecins.

Face à l’opposition de l’ordre des médecins, ainsi que du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, les députés ont retiré cette disposition lors de la deuxième lecture du texte à l’Assemblée nationale, alors qu’elle était initialement prévue dans la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement.

Cette clause de conscience pourrait, comme le précise le Planning familial, dont les propos sont rapportés par le journal Le Monde, "participer ‘à une "moralisation" indue de l’avortement", alors que l’IVG devrait être "considérée comme n’importe quel acte médical faisant partie de la vie de milliers de femmes."

"On ne le dit jamais mais il y a beaucoup de femmes qui pensent ça"

Après avoir avorté en janvier 2023, Claire s’enfonce dans un état dépressif. Elle perd l’appétit, perd du poids, devient agressive et culpabilise. "On nous accable. Même si c’est un droit en France, on dirait que c’est tabou, que ça n’est pas normal. La plupart de mes copines qui l’ont vécu n’en parle jamais. Tu ne le mentionnes pas car tu sais qu’il y a une personne sur deux qui va te juger.".

Claire se sent rongée par les remords, avec un sentiment de devoir subir une "sanction divine". "On ne le dit jamais mais je sais qu’il y a beaucoup de femmes qui pensent ça. La plupart de mes copines qui ont avorté pensent qu’elles n’auront peut-être plus d’enfants. Comme si il y avait une sanction. Comme si le destin ou le karma allaient nous rattraper."

Pour s’en sortir, elle fait le déni de l’avortement. "Je sais qu’à un moment je parlais avec une copine et c’est revenu sur la table. Je me suis dit 'ah oui, c’est vrai que j’ai avorté'." Aujourd’hui, Claire estime aller beaucoup mieux, grâce notamment au soutien de son copain. Son seul regret, c’est l’attitude du personnel médical : "Si les praticiens qui m’ont suivie s’étaient comportés de manière à me faire comprendre que j’avais deux options possibles (poursuivre ou interrompre la grossesse; ndlr), je pense que j’aurais été plus à l’aise avec ma décision et que cet état dépressif aurait duré moins longtemps, que j’aurais eu moins de culpabilité."

Vidéo. "Si le corps médical s'était comporté normalement, je n'aurais peut-être pas eu ce sentiment de culpabilité"

"Il ne faut pas en avoir honte"

Claire souhaite adresser un message "aux jeunes filles qui se font avorter" et les encourage à se départir du sentiment de la honte. "Si tu as le droit de le faire jusqu’à ce délai, c’est parce que le cerveau n’est pas formé et ce n’est pas encore un être comme défini dans la loi. Si on a le droit de le faire, c’est que c’est légitime."

Rappelons qu’en France, en vertu de la loi du 2 mars 2022, l’avortement peut être pratiqué jusqu’à la fin de la 14e semaine de grossesse - soit 16 semaines après le 1er jour des dernières règles.

Vidéo. Découvrez le témoignage complet de Claire - "Je me suis sentie comme une personne dégueulasse"

*Par souci de confidentialité, le prénom a été modifié. Claire* a souhaité témoigner anonymement pour préserver sa famille.

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