Chômage partiel et culpabilité : "J'ai bossé quelques semaines à peine en un an, ça me rend dingue"

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L'année 2020 a été celle d'une situation sans précédent. La Covid-19 s'est répandue à travers le monde comme une traînée de poudre, forçant les gouvernements à prendre des décisions pour tenter de juguler la crise sanitaire. Parmi ces décisions, la fermeture de nombreux services : cinémas, musées, théâtres, bars, restaurants... Une situation à l'origine temporaire, qui est pourtant toujours d'actualité plus de dix mois plus tard, et qui devient une vraie source de culpabilité pour les principaux concernés.

Voilà maintenant plus d'un an que le monde lutte contre le coronavirus. Et dans moins de deux mois, les Français fêteront un triste anniversaire : celui du début du premier confinement de 2020. En mars dernier, et pendant près de deux mois, les rues se sont vidées. Télétravail obligatoire dans la mesure du possible, écoles, commerces, restaurants et lieux culturels fermés... L'objectif : juguler au maximum l'épidémie, de façon à soulager les hôpitaux, qui étaient difficilement en mesure d'accueillir le flux de patients. À l'époque, les Français pensaient avoir vécu une situation inédite, dont ils pourraient rire quelques mois plus tard. Grossière erreur : à l'automne, la France a été placée sous le coup d'un couvre-feu, puis d'un reconfinement, suivi par un nouveau couvre-feu dont les règles sont devenues plus sévères.

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Depuis maintenant plusieurs mois, les lieux culturels et les restaurants et bars, qui avaient pu rouvrir durant l'été avec des mesures très strictes, ont de nouveau fermé leurs portes, pour une durée indéterminée. Selon une information du Point, les restaurants pourraient bien garder porte close jusqu'au début du mois d'avril, les bars ne pas rouvrir avant le mois de juin, et aucune information n'a été officiellement communiquée concernant les lieux culturels, qu'il s'agisse des cinémas, des théâtres ou des musées. Même le parc d'attractions Disneyland Paris, qui avait pu rouvrir pendant les vacances de Noël, a annoncé qu'il resterait fermé jusqu'au début du mois d'avril. Bref, la situation ne semble pas sur le point de s'améliorer.

"Employé dans un ciné, je ne fais rien depuis des mois"

Pour les propriétaires de ces établissements qui ne peuvent plus recevoir de public, c'est l'enfer. Beaucoup crient haut et fort qu'ils risquent de mettre la clé sous la porte si la situation ne s'améliore pas très vite. D'autres ont déjà déposé le bilan. Leurs employés, eux, sont pour l'instant relativement protégés par le chômage partiel, qui a été mis en place depuis maintenant plusieurs mois. Mais outre l'inquiétude concernant leur avenir et une éventuelle date de reprise des activités, ils luttent contre deux phénomènes : l'ennui, et la culpabilité.

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C'est notamment le cas de Cyrielle, projectionniste dans un petit cinéma situé dans les Yvelines. Entre les deux confinements et le fait que les salles de ciné aient été fermées pendant plusieurs mois maintenant, la jeune francilienne de 28 ans ne sait plus quoi faire de ces journées. "Au début, je ne vais pas vous mentir, je me suis dit : ‘Trop bien, quelques semaines de repos et un salaire qui tombe quand même à la fin du mois, je ne vais pas cracher dessus’. Mais avec la situation qui se prolonge, je culpabilise à mort d'être payée à ne rien faire. Je sais à quel point je suis chanceuse d'avoir un toit, un salaire et un job qui m'attend, je pense à toutes les personnes pour qui ce n'est pas le cas. Et ça renforce ma culpabilité. J'ai l'impression de ne plus rien apporter à la société, et ça ne fait pas partie de mes valeurs."

"Mes potes pensent que je ne branle rien, et que j'ai de la chance"

Julien est dans une situation similaire. Serveur dans un bar du 20e arrondissement, il touche grâce au chômage partiel un petit salaire qui lui permet de vivre, mais tout juste. "Quand on est serveur, ce sont les pourboires qui font toute la différence. Sur les bonnes périodes, je touche plus comme ça qu'avec mon salaire, donc là, c'est un peu la galère. Franchement, je comprends les patrons qui rouvrent leurs établissements en cachette, rideaux fermés, parce que ça devient intenable pour pas mal de monde. J'en suis réduit à demander de l'aide à mes parents, à mes potes... Franchement à 35 ans, j'ai honte mais je n'ai pas le choix." Le jeune homme a un ami qui fait quelques soirées par semaine dans un resto clandestin. Et il l'avoue avec une pointe de honte : il l'envie. "Déjà, il a de quoi s'occuper. Et en plus, il se fait une masse de t*une. Dans les restos clandestins, les gens donnent de méga pourboires parce qu'ils ont conscience que les travailleurs prennent des risques. Du coup, j'essaye de négocier pour qu'il me recommande à son patron, pour bosser un peu au black."

Agent de sécurité dans un musée, Moussa a également vu ses horaires drastiquement réduits, et par conséquent, il passe nettement plus de temps chez lui. "J'ai commencé ce job cet été, après une longue période de chômage, après le premier confinement. Bilan ? J'ai bossé à peine quelques semaines en un an, ça me rend dingue. Mes potes pensent que je ne br*nle rien, que j'ai de la chance, que je suis payé à ne rien faire. Ils ne se rendent pas compte à quel point non seulement j'ai honte de passer mes journées dans mon canapé, mais en plus à quel point je dépéris. Je ne vois personne, je ne travaille pas. Je compte les minutes, et ma santé mentale se dégrade de jour en jour."

Une volonté de s'occuper et de prendre soin des autres

Pour palier à son ennui et à son impression de "ne plus servir à rien", selon ses propres mots, Cyrielle fait toutes sortes de petites choses pour dépanner les gens de son entourage. "Je sais que le gouvernement a mis en place un site pour les initiatives citoyennes pendant la Covid, mais je ne veux pas passer par là tant je suis en colère contre les mesures. Du coup, je fais les choses à ma manière. Je fais les courses pour plusieurs personnes de mon immeuble qui ne peuvent pas y aller en semaine avec le couvre-feu, j'ai improvisé des maraudes dans mon quartier pour apporter à manger à des sans-abris... Je ne fais pas ça pour être payée, mais pour avoir l'impression de ‘justifier’ le fait d'être payée pour ne rien faire."

D'autres ont eu une sorte de déclic grâce à la situation : "J'ai repris mes études à distance", clame fièrement Juliette. Employée dans un cinéma qui n'a pas rouvert ses portes depuis plusieurs semaines, elle estime que la situation pourrait durer, voire se reproduire à l'avenir. "Je n'ai pas envie de prendre le risque de me taper des fermetures de plusieurs semaines et du chômage partiel tous les ans pour une durée indéterminée, alors je prends les devants. Je viens de commencer une formation de développeuse web à distance, et d'ici six mois, j'espère avoir suffisamment de nouvelles capacités pour me lancer à mon compte. Je veux aider les petits artistes, artisans, producteurs et autres en leur créant des sites internet efficaces et à bas prix. Des trucs pour gérer le click & collect, les ventes en ligne... On est plein à être en galère à cause de la crise sanitaire, alors autant faire quelque chose pour soutenir la communauté, non ?"

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