"J'ai peur qu'on me considère comme une Marie-couche-toi-là" : elles ont fait des enfants avec des hommes différents et attisent toutes les soupçons
Ces femmes ont eu des enfants avec plus de deux pères différents. Et si leurs (grandes) familles les comblent de bonheur, elles souffrent souvent de préjugés sur leurs maturités, leurs valeurs morales et leurs sexualités.
Elles voulaient une famille. La vie leur a offert une famille multi-recomposée, qui s'est faite, défaite puis prolongée. Les femmes qui ont fait des enfants avec plus de deux hommes se font encore rares, et n'en suscitent que plus la curiosité. La chanteuse Lio illustre parfaitement ce cas précis. Ses six enfants, ont été conçus avec quatre hommes. Et bien que cela puisse s'expliquer par son parcours amoureux accidenté , - elle a notamment été victime de violences conjugales avec le père de ses jumelles nées en 1999 -, les réactions à son sujet sont épidermiques.
"Elle a des heures de vol !"
Alors que certains expriment leur admiration d'être parvenue à porter et prolonger sa famille malgré l'adversité, d'autres émettent des jugements très sévères à son égard. Sous un article traitant de sa famille hors normes, les phrases assassines s'amoncellent : "Elle a la tête de l'emploi , elle a des heures de vols !, "Il n y a pas de quoi être fière", "Personnellement je ne m'en vanterais pas", "Y a que le train qui lui est pas passé dessus".
Très vite, les femmes concernées par cette situation sont renvoyées à leur sexualité, perçue comme débridée. Un raisonnement "hasardeux" selon le sociologue spécialisé dans l'étude des relations privées Gérard Neyrand, auteur de L'amour individualiste : "Ce n'est pas parce qu'on a eu trois enfants avec trois hommes différents que l'on est particulièrement porté sur la sexualité. On peut être au contraire très porté sur la sexualité en prenant une bonne contraception et avoir plein de relations avec des partenaires différents sans jamais avoir d'enfants", décrypte-t-il. "De plus, l'espace-temps entre chaque enfant peut être important, donc cela ne dit rien de la fréquences des rapports...".
Mère de 5 enfants de 3 pères différents, Lila a longtemps évité d'en parler dans sa vie privée comme au travail. "C'était comme un poids honteux. J'avais peur qu'on me considère comme une femme instable, une Marie-couche-toi-là, qu'on juge mes enfants en se disant 'les pauvres', ou qu'on pense que je n'étais pas un exemple", se souvient-elle.
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Un parcours jugé comme déviant
Cela ne l'a pas empêchée d'être touchée par des réflexions, pouvant provenir de sa sphère amicale. Un jour, une copine dresse une comparaison de leurs deux situations familiales : "Elle m'a dit : 'Tu vois, moi dans ma vie, j'ai été droite', comme si je ne l'étais pas ! Je me suis sentie tellement jugée. Et ça a toujours été par des femmes qui voulaient me faire comprendre qu'elles avaient fait un sans-fautes, contrairement à moi […] J'avais l'impression que je ne correspondais pas aux critères de la famille, me marier, avoir des enfants d'un seul homme, et en plus il y avait un papa noir et deux papas blancs !".
A l'ère où les unions se lient et se délient, et les modèles familiaux se diversifient, ces réactions peuvent surprendre. Mais pas le sociologue Gérard Neyrand, qui soulève un paradoxe : "On est dans une situation ambiguë, où la liberté des mœurs est beaucoup plus grande qu'autrefois et en même temps, le couple constitue encore une valeur très forte. L'exclusivité conjugale est même plus valorisée que dans les périodes antérieures". Mais le destin ne peut être entièrement maîtrisé. Pour Lila, avoir 5 enfants de 3 pères est le fruit d'aléas bien involontaires, tantôt heureux tantôt malheureux. Son premier fils est né alors qu'elle n'était âgée que de 16 ans. Malheureusement, le père de ce dernier n'a pas souhaité le reconnaître et Lila a dû affronter la situation sans le soutien de ses proches. Plus tard, elle rencontre un homme lors de ses études, avec qui elle a un second garçon. Malheureusement, cette relation ne fonctionne pas "à cause du choc des cultures". Au sortir de cette séparation, un coup de foudre l'attend au coin d'une rue. Avec cet homme prénommé Hugues, Lila aura trois enfants, avant de s'en séparer en 2019.
Refuser de se sacrifier pour entrer dans les normes
Lila le revendique : derrière ses deux dernières séparations, se cache aussi une volonté de ne pas se sacrifier pour préserver le modèle familial idéal. À chaque fois, le couple parental a fini par éteindre le couple amoureux, la rendant malheureuse, alors elle est partie "pour être une femme et ne plus être qu'une maman". Entre son statut de maman et celui de "maîtresse", Lila a refusé de choisir. Et c'est peut-être là, bien loin de l'image de la mère sacrificielle, que le bât blesse.
Capucine, elle, ne souhaitait pas sacrifier son désir d'enfants pour que sa famille reste dans les normes : déjà maman de deux garçons de deux pères dont elle a dû se séparer, elle est tombée amoureuse d'un troisième homme à 37 ans. "J'ai compris qu'à mes yeux, notre amour ne serait pas complet si nous ne faisions pas un enfant à nous. J'avais besoin de mettre au monde le fruit de notre amour, peu importe l'opinion des gens". Aujourd'hui maman de 4 enfants de trois pères différents, elle s'estime elle aussi plus jugée par les femmes que par les hommes. La faute aux contraintes intériorisées inconscientes selon le sociologue Gérard Neyrand. "Les femmes qui se sont conformées au modèle d'exclusion sexuelle et conjugale ne sont pas forcément satisfaites de leurs vies conjugales, mais, dans la mesure où elles ont surinvesti ce modèle, elles peuvent juger sévèrement la liberté d'autres femmes".
"Poser la question, c’est déjà émettre un jugement"
Mais il n'en reste que cette configuration peut aussi beaucoup inquiéter les hommes. Pour preuve, ce débat lancé sur le site Quora : "Peut-on espérer une histoire sérieuse avec une femme qui a 4 enfants de 4 pères différents ?". Sur le blog tplmoms.com, Cindy, maman de trois enfants nés de trois pères différents, raconte sa mauvaise expérience sur les sites de rencontre : "Une des questions les plus déplacées et intrusives qu’on puisse me poser, après Salut, ça va?, c’est de savoir si mes enfants sont du même père. Poser la question, c’est déjà émettre un jugement. Je me demande chaque fois en quoi la réponse, quelle qu’elle soit, puisse apporter une information pertinente à un inconnu". Est-ce leur instabilité présumée ou le caractère incontrôlable de leurs décisions qui effraient tant ? Ou peut-être la peur d'une organisation familiale trop complexe et contraignante ?
Entre les problèmes de pensions alimentaires, gardes alternées, de rancœurs etc., gérer les relations avec un ex, lorsque l'on a des enfants en commun, peuvent être sources de beaucoup de tracas. Alors quand il y en a deux ou plus, le casse-tête n'est en effet jamais loin... Mais là encore, impossible de généraliser. Si Capucine a peu de contacts avec les deux premiers papas qui font "le strict minimum", Lila a plus de chance : très vite, sa situation a été totalement acceptée par Hugues, qui "savait que tout était clair avec les autres papas". Et cela est même allé plus loin : avec les papas des aînés, ils ont organisé des repas, des barbecues, et même des vacances en commun. "Quand j'étais enceinte et que Hugues partait en mission, c'est Patrick (l'un des premiers papas) qui m'amenait faire les visites de grossesse", ajoute Lila… Une belle harmonie trouvée pour le bien des enfants : "Pour moi, mes cinq enfants sont liés et c'est moi qui lie tout ce beau monde-là par mon ventre. C'est essentiel que cela continue..."
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