Victimes de violences conjugales , elles ont cherché des excuses à leur agresseur : "C'est la société qui nous pousse à penser qu'on mérite les coups"
S'il y a bien un point commun à toutes les victimes de violences, c'est qu'on leur pose toujours la même question, de façon ouverte ou insidieuse : "Qu'est-ce que tu as fait pour mériter ça ?" Si les violences patriarcales sont aujourd'hui une évidence pour les féministes, ce n'est pas le cas aux yeux de tout le monde. Et malheureusement, cette défiance a une conséquence : avant de chercher à se protéger, les victimes – majoritairement les femmes – vont chercher des excuses à leur bourreau.
"C'est ce qu'on appelle le serpent qui se mord la queue. Quand une femme est victime de violences conjugales, si elle cherche à partir, on va lui demander si elle est sûre d'elle, si elle a pesé le pour et le contre, réfléchi aux impacts. On va la pousser à se demander "Pourquoi moi ?" Et quand on met du temps à partir, on va nous demander pourquoi on a accepté ça si longtemps. J'ai l'impression qu'on ne peut jamais gagner." Le témoignage de Caroline*, 38 ans, est amer. Cette mère de deux enfants, qui a été victime de violences conjugales à deux reprises, a aujourd'hui l'impression qu'à force de remettre en cause la parole des femmes, ces dernières se retrouvent bloquées de tous les côtés, lorsqu'elles se retrouvent dans des situations de violences.
Vidéo. Cindy Bruna : "Le pire c'était toutes les autres violences que j'ai subies avec ma soeur et ma mère"
Violences conjugales et relations toxiques : un engrenage
Caroline parle de serpent qui se mord la queue car, elle s'est beaucoup retrouvée dans le récent témoignage de Barbara Pravi, qui parle quant à elle plutôt d'engrenage. Dans une interview accordée à Konbini, la chanteuse, qui a représenté la France à l'Eurovision, raconte les violences conjugales dont elle a été victime dès l'adolescence, lors de sa première relation amoureuse : "On est arrivés chez lui, et il a commencé à m'insulter parce que j'avais dansé avec ce mec. J'allais partir, quand il m'a mise par terre, il s'est mis sur moi, et il a commencé à me frapper. (...) Je me souviens de m'être dit que j'étais une merde, de me demander ce que j'avais fait pour qu'il se passe ça. (...) J'ai voulu me faire pardonner. Je suis revenue le lendemain avec des tulipes jaunes pour m'excuser, j'étais persuadée que c'était ça l'amour."
Non seulement la chanteuse a présenté ses excuses à celui qui l'avait frappée, mais en plus, elle trouvait ça normal. Ce qui en dit long sur le poids qui pèse sur les victimes de violences conjugales. En particulier lorsqu'elles sont jeunes. "Ces mécanismes-là, c'est beaucoup plus dur d'en sortir", affirme Barbara Pravi face aux caméras, avant d'exprimer autant de colère que de regrets : "C'est quand même fou parce que tu essayes de protéger l'autre. Tu es prête à protéger un mec qui te pousse, qui te balance des trucs dans la tronche, mais tu n'arrives pas à te protéger toi."
"On a l'impression de tout jeter à la poubelle"
Le témoignage de Barbara Pravi résonne chez bien des victimes de violences conjugales. Pour Caroline, il a même fait office de libération. "C'est horrible, mais c'est presque rassurant de voir que l'on suit toutes les mêmes schémas", confit-elle. "Ça aide à se sentir moins seule." Pour la mère célibataire, cette manie de chercher des excuses à ses agresseurs s'est faite de deux façons différentes. "La première, c'était de vouloir absolument rejeter la faute sur moi. Dans ma tête, mon premier mari me frappait parce que je ne le mettais pas en confiance et que je le rendais jaloux. Qu'il avait été traumatisé par les infidélités de son ex. On ne peut pas en vouloir à un homme traumatisé, après tout ! Je m'excusais et je m'écrasais. Je m'excusais presque d'exister et de lui faire du mal en le poussant à me faire du mal."
Puis, face aux violences qui s'enchaînent, la trentenaire a continué à chercher des excuses à son conjoint. "Je me disais : "A part les coups, c'est un mari et un père exemplaire". C'est con, hein ? J'en venais à minimiser les violences parce qu'il s'occupait bien de notre fils, qu'il avait un salaire, qu'il était gentil avec ma mère et avec mes amis." Pour Lila Adeniz, thérapeute de couple, cette façon de réagir n'est pas totalement surprenante : "Quand on a construit une relation avec quelqu'un, encore plus avec un mariage, on n'a pas envie de renoncer. Ou plutôt, les femmes n'ont pas envie de renoncer. Elles ont l'impression de jeter tous leurs efforts à la poubelle, et ça en dit long sur la charge mentale qu'elles s'imposent pour le bien-être du couple."
Vidéo. "Il veut encore ma mort" : victime de violences conjugales pendant 25 ans, Anne témoigne
"La société, la police : personne ne nous croit"
A 22 ans, Maëlle* a déjà été confrontée à des violences conjugales, de la part de son ex. "Evidemment, je lui ai cherché des excuses", regrette cette étudiante en droit. "C'est quand même fou : je suis féministe, je fais des études de droit, je connais mes droits et les conséquences des violences conjugales. Mais malgré tout ça, j'arrivais toujours à minimiser ce qu'il m'arrivait." La jeune femme dénonce un problème systémique : "La société, la police... Personne ne nous croit, alors forcément, on commence même à douter de nous-même, et c'est là qu'on commence à chercher des excuses à l'autre. Tout est fait pour nous pousser à penser qu'on a mérité les coups", analyse-t-elle.
Louise Delavier, responsable des programmes et de la communication pour l'association En Avant Toutes, n'est pas surprise par cette constatation : "On remarque que plus l'agresseur va être puissant, plus il va y avoir un traitement qui va être en défaveur de la victime, plus il va y avoir d'indulgence envers l'agresseur. C'est un problème qui est systémique, lié à des mécanismes de domination qui existent dans la société, et qui perpétuent ces violences-là. Ça va permettre aux agresseurs de continuer à faire ce qu'ils font, et à vivre en étant bien tranquilles, en dehors de l'agression. Et puisqu'ils sont puissants, ils ont plein de possibilités pour perpétrer ces mécanismes, être protégés et donc à ce qui ne leur arrive rien derrière."
"Pas facile d'accepter qu'on puisse être la victime"
Aujourd'hui, Maëlle veut devenir avocate spécialisée dans les affaires de violences faites aux femmes, pour pouvoir protéger là où elle ne l'a pas été. "C'est une forme de revanche pour moi, mais aussi quelque chose de très cathartique. Entre mes études et ma thérapie post-traumatique, j'ai beaucoup analysé ce qui m'était arrivé, et j'ai réalisé une chose : on trouve des excuses à nos agresseurs, parce que cela nous évite de nous placer dans un rôle de victime. Accepter qu'on puisse être la victime, c'est accepter une faiblesse, et ce n'est pas facile pour les femmes qui pensent être fortes."
Le fait d'avoir subi des violences conjugales ou sexuelles reste en effet un véritable tabou social, dont peu de personnes osent encore parler publiquement. Viola Davis l'avait elle-même dénoncé dans un discours : aujourd'hui, l'actrice ne veut plus se considérer comme une "victime", mais comme une "survivante".
* Pour des raisons d'anonymat, les prénoms ont été modifiés.
Rachel-Flore Pardo : "Les conséquences de ces violences peuvent être dramatiques et conduire à des dépressions très graves"
A lire aussi
>> Violences faites aux femmes : "Pour le grand public, il y a des bonnes et des mauvaises victimes"