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Et si on arrêtait les Gender reveal parties, ou le culte gênant du sexisme avant la naissance

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Et si on arrêtait les Gender reveal parties, ou le culte gênant du sexisme avant la naissance ? - Getty

Depuis plusieurs années maintenant, les "gender reveal parties" (à savoir les fêtes où les couples révèlent le sexe de leur futur bébé) sont de partout sur les réseaux sociaux. Il y a quelques jours l’une d’entre elles a suscité - à juste titre - l’indignation des internautes. L’occasion de revenir sur ce phénomène de société, aussi malaisant que sexiste et archaïque.

Il y a encore quelques années, les parents se faisaient une joie de découvrir le sexe de leur futur bébé avec une traditionnelle échographie. Les plus originaux d’entre eux préféraient garder la surprise en attendant le jour de la naissance. Aujourd’hui encore, certains font ces choix. Mais ils semblent être en minorité face à l’avalanche d’un véritable phénomène de société : les "gender reveal parties". Ces fêtes au cours desquelles le sexe du futur bébé est dévoilé devant un parterre d’invités (ou pas), à travers des fumigènes, confettis ou ballons de baudruches en rose ou bleu. Et tout cela, on le doit à une femme : Jenna Karvunidis. En 2008, cette Américaine, alors enceinte de son premier enfant, organise une fête pour annoncer le sexe de son bébé en coupant dans un gâteau rempli de glaçage rose. Après avoir décrit l’évènement dans son blog, son message est devenu viral. Sauf que 14 ans plus tard, Jenna Karvunidis, elle-même, commence à se demander si elle n’aurait pas crée un monstre de société. Et on la comprend.

Quand les "gender reveal parties" virent au fiasco

Tout droit venues des Etats-Unis - où tout est prétexte à faire des "parties" qui en jettent - les "gender reveal" ont très vite gagné toutes nos sociétés occidentales. Peu importe l’endroit ou la classe sociale, les futurs parents ne boudent pas leur plaisir à l’idée d’organiser ces fêtes de révélation du sexe de leur bébé, quelques mois avant sa naissance. En fait, c’est presque devenu un passage obligatoire. Les stars ne dérogent évidemment pas à la règle, et se prêtent même au jeu avec originalité.

Car le phénomène a pris une telle ampleur à l’ère de la toute-puissance des réseaux sociaux qu’il faut absolument se démarquer des autres. En octobre 2018, Antoine Griezmann et sa femme Erika ont ainsi choisi de rester dans la thématique du foot pour dévoiler le sexe de leur petit dernier. Un an plus tard, c’est Matt Pokora et Christina Milian qui sautaient de joie au milieu d’un nuage bleu pour leur gender reveal party. Sans oublier le monde de la télé-réalité, avec des candidats français stars des réseaux sociaux qui tiennent tous à révéler le sexe de bébé en sortant l’artillerie lourde.

L’arrivée d’un bébé, c’est toujours une bonne nouvelle pour celles et ceux qui désirent fonder une famille. On ne peut pas vraiment en dire autant d’une "gender reveal party". Depuis quelques années, on observe de plus en plus de dérapages dans la course à l’originalité, certains plus graves que d’autres. En septembre 2020, un immense incendie s’est propagé dans le nord de la Californie. Parties du comté de San Bernardino, les flammes dévastatrices ont fait 25 morts dont un pompier. Une tragédie causée par un engin pyrotechnique générateur de fumée utilisé pour… une "gender reveal party".

Vidéo. Un feu de forêt provoqué par une fête de révélation du sexe d'un bébé en Californie

Pas de quoi rendre fière Jenna Karvunidis, confrontée malgré elle aux dérives de son propre concept : "Je ressens des choses très diverses au sujet de cette étrange contribution au monde de la culture" déplorait-elle en 2019 dans un long message sur Facebook. Car en plus de provoquer des drames jusqu’alors insoupçonnés, ces petites fêtes sont - disons-le une bonne fois pour toutes - vraiment problématiques.

Quand le sexisme est normalisé

Pour Jenna Karvunidis et son mari, cette toute première "gender reveal party" en 2008 n’avait pas du tout la même symbolique que celles qui ont suivi, et survenait comme une bouffée d’espoir après plusieurs fausses couches. "Je l’ai fait parce que nous ne vivions pas en 2019 et nous ne savions pas ce que nous savons maintenant – le fait qu’assigner un genre à la naissance prive les enfants de leur potentiel et de certains talents qui n’ont rien à voir avec ce que nous avons entre les jambes" écrivait-elle en 2019. Et on a bien envie de lui dire : MERCI de pointer du doigt LE plus gros problème de ces évènements mignons en apparence.

Le 14 avril dernier, un internaute a posté sur son compte Twitter une vidéo d’une énième gender reveal. On y voit une mère de famille enceinte, près de ses deux filles et de son mari. Ce dernier, lorsque des confettis roses lui tombent dessus, ne tente même pas de cacher son agacement et quitte les lieux en arborant une mine dépitée. Pour lui, visiblement, le fait d’avoir une troisième fille au lieu d’un garçon ne mérite pas d’être célébré. Sans parler de ses aînées, qui se souviendront très certainement de ce moment où leur papa chéri semblait abattu à l’idée de ne pas avoir de fiston. Souriez, vous êtes filmées. Relayée en masse sur Twitter, cette vidéo a très vite soulevé l’indignation des internautes.

Il n’y a rien de mal à vouloir un garçon. Mais cette colère qui ressort de nombreuses vidéos comme celle-ci montre un sexisme décomplexé qui ne dit pas son nom. Et c’est encore plus malaisant quand on tente de faire passer ça pour une réaction normale, voire marrante. "On n'a encore jamais vu de gender reveal qui exprimait la déception d’avoir un fils. Jamais", a très justement écrit une autre internaute sur Twitter. Car malheureusement, il n’est pas rare de tomber sur de telles scènes sur les réseaux sociaux, où des futurs papas s’énervent/pleurent/quittent leur propre fête parce qu’ils viennent d’apprendre qu’ils auront… une fille. Comme s’il s’agissait d’un malheur, une malédiction. Comme si, finalement, ça ne valait plus le coup de devenir père.

Derrière ces réactions se cachent une ribambelle de codes patriarcaux. Avant même leur naissance, les petites filles sont stigmatisées. Ça ne vous rappelle pas quelque chose ? Soudain, on a un peu l’impression de se retrouver dans une série historique sur Netflix où rois et guerriers espèrent que leurs femmes mettront au monde des garçons pour "assurer leur descendance", et, le cas échéant, tremblent à l’idée de tomber en disgrâce aux yeux de leurs pairs. Aujourd’hui, derrière le folklore des "gender reveal parties", c’est cette crainte misogyne qui se rejoue, encore et encore. Et on aimerait bien que ce ne soit que de la fiction.

Des stéréotypes de genre avant la naissance

Les "gender reveal parties" s’accompagnent souvent de phrases et d’idées hyper stéréotypées. Un monde à part où les codes de genre continuent de persister, en opposition totale aux avancées sociologiques. Ça commence évidemment par les couleurs : bleu pour un garçon, rose pour une fille. Et puis il y a tout l’attirail de décoration, les paillettes pour les fillettes et les ballons de foot pour les petits garçons. Avant même qu’ils naissent, les futurs parents projettent sur leurs enfants tout un tas de stéréotypes. Beaucoup espèrent avoir le fameux "choix du roi" : un garçon en premier, une fille en deuxième, pour que celle-ci soit "protégée" par son grand frère. Comme si l’inverse était impensable, impossible.

En 2019, si Jenna Karvunidis s’est exprimée sur Facebook au sujet des dérives de sa propre invention, c’est aussi pour alerter les consciences. Aujourd’hui maman de trois enfants, l’Américaine a ainsi expliqué que son premier enfant, "le premier bébé au monde qui a fait l’objet d’une gender reveal party", commençait à s’identifier comme non-binaire. "Je suis ravie que ces fêtes aient apporté de la joie à quelques personnes, mais cette joie s’est construite sur le dos des personnes non binaires et trans, écrit-elle. Même si un problème ne nous affecte pas personnellement, nous devrions tous avoir suffisamment d’humanité pour réaliser qu’un tel acte qui nous apporte de la joie, peut créer du tort aux personnes marginalisées."

Vidéo. "En étant non-binaire, on a l'impression de devoir se justifier de sa propre identité. C'est déshumanisant"

Évidemment, les réseaux sociaux jouent un rôle important dans cette normalisation du sexisme et des stéréotypes, puisqu’il semble désormais impossible d’organiser une "gender reveal party" sans la partager sur Internet. L’air de rien, ces petites vidéos continuent de véhiculer des messages archaïques cachés derrière une abondance d’artifices et des codes 2.0. Organiser une gender reveal pour partager ce moment de bonheur n’est évidemment pas un problème. Ce qui l’est, c’est tout ce qui peut se cacher derrière cette révélation, et les idées désuètes que l’on projette sur son bébé, avant même sa naissance.

Quant à celles et ceux qui nient encore le sexisme, voire le concept même d’une société patriarcale : pas besoin de grands discours. Il vous suffit de regarder l’une de ces vidéos où le futur papa tombe en larmes sous des confettis roses pour comprendre qu’aujourd’hui encore, certains pensent qu’avoir une fille n’est pas une bonne nouvelle.

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