Ces gens qui paient pour avoir de l'affection
Comment obtenir des câlins lorsque l'on est célibataire ? Que faire de nos besoins d'affection quand personne dans notre vie ne nous prend dans ses bras ? Au lieu de subir les affres du manque, ces témoins ont décidé de payer les services d'une câlinothérapeute.
Si beaucoup osent aujourd'hui parler de leurs frustrations sexuelles, peu d'individus assument être en manque de tendresse. Certains pourtant le sont depuis toujours, leurs (parfois nombreuses) tentatives pour être nourris d'affection ayant échoué. C'est le cas de Pierre*, un trentenaire échaudé par ses expériences avec la gent féminine : "Je ne n’ai pas eu beaucoup de succès avec les femmes, j’ai une certaine timidité, un manque de confiance en moi et j’ai eu des déceptions et blessures". Un soir de Saint-Valentin, ce célibataire décide de rompre sa solitude en s'inscrivant à un événement "câlins" de groupe (Cuddle Party) organisé par sa câlinothérapeute Alie Valérie Hébert-Gentile. Malgré son grand besoin d'affection, Pierre a bien du mal à se laisser aller : "J’ai vécu plusieurs malaises par rapport au toucher, donc au fil du temps j’ai développé un inconfort avec le fait d’être touché et de toucher, sauf si c’est consenti et que je ne suis pas stressé".
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En raison des mesures sanitaires, ces séances collectives se sont transformées en séances individuelles, dans le cabinet de la câlinothérapeute. Pour continuer à s'occuper de ses clients en toute sécurité, la spécialiste a bricolé de grandes membranes de plastique avec des manches. En plus de prodiguer de l'affection, elle travaille justement beaucoup sur le consentement. "Certains clients viennent se servir des câlins pour apprendre cette notion. Ce sont des personnes qui n'ont jamais appris à dire non, se sont laissé faire voire abuser toute leur vie. Ils veulent réapprendre à communiquer leurs limites et leurs besoins", explique-t-elle. D'autres viennent bien sûr avant tout combler le grand vide d'affection de leur vie. Grâce aux bras qui les enlacent, mais pas systématiquement.
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Des effets après 20 secondes, même avec un inconnu
"Dans ma pratique, un "câlin" est n'importe quel contact physique platonique", précise Alie. "Cela recouvre même le fait de flatter l'épaule du bout des doigts ou encore de s'asseoir l'un à côté de l'autre avec les épaules ou les pieds qui se touchent". Chaque client a ses préférences, qui dépendent aussi du niveau d'intimité qu'il se sent capable de partager. "J'aime quand on se tient dans les bras face à face tout simplement", explique Thibaut, un autre consultant. "Avant la covid-19, je faisais la position de la cuillère, en alternance d'un coté et puis de l'autre. Mais j'aime également lorsque je suis sur le dos et que la câlinothérapeute pose sa tête sur mon torse. Le tout allongé, car cela me permet une plus grande concentration sur la sensation de bien-être".
Les bienfaits des câlins sur l'être humain ne sont plus à prouver. Outre le bénéfice psychologique d'une présence chaleureuse et rassurante, l'étreinte permet après 20 secondes la sécrétion d'ocytocine, l'hormone du bonheur, mais aussi d'endorphine et de dopamine. "Elles boostent l'immunité, aident contre la douleur, sont bonnes pour le système cardiovasculaire, la pression artérielle, la fréquence respiratoire et la pulsation, l'estime de soi, le stress, le sommeil etc", énumère la câlinothérapeute suisse Katia Siciliano. Pas étonnant que la Journée internationale des câlins ait lieu le 21 janvier, en plein milieu de l'hiver, moment où le moral et la santé ont tendance à flancher.
Le besoin d'affection, un besoin primaire
Depuis qu'il a commencé ses séances, Thibaut* ressent tous ces bénéfices, mais bien plus encore. L'homme se souvient de l'énorme flot d'émotions qu'il a ressenti la première fois : "Quand tu n'as pas reçu d'attention depuis un certain temps, cela peut être très intense, et parfois les larmes coulent. Des larmes de joie". Mais outre la satisfaction immédiate, il évoque "celle qui s'installe dans le temps" : "le développement d'un sentiment de sécurité et de paix avec soi-même, qui permet de relativiser les défis de la vie". Cette expérience lui sert aussi pour les relations humaines, grâce à l'apprentissage de l'expression de ses besoins et de ses choix. Oser dire non à une proposition qui ne respecte pas ses limites, mais aussi apprendre qu'il est possible de dire "oui et juste après finalement non", lui est utile dans bien des domaines de sa vie.
Rien donc qui ne lui ferait regretter sa démarche, même si cette dernière n'est pas toujours facile à assumer. Payer pour de l'affection est perçu souvent comme "triste", "anormal", "honteux", par ceux qui estiment qu'il faudrait taire ce besoin jugé "infantile", ou le satisfaire gratuitement. Alors certaines personnes préfèrent le cacher sous une quête d'expériences sexuelles, mieux admises voire banalisées. "Beaucoup se tournent vers les prostitués, car c'était la seule façon de trouver quelqu'un facilement, sans être obligés de draguer pour avoir un contact physique. Mais ils ne sont souvent pas plus heureux après, car ce n'était pas de sexe dont ils avaient besoin, mais d'intimité et d'affection", explique la câlinothérapeute Alie.
Pour cette dernière, bien des personnes ne dissocient en réalité pas les besoins d'affection des besoins sexuels. "Beaucoup ont des relations sexuelles à droite et à gauche juste pour avoir les 'câlins de l'après', mais ne veulent pas se l'avouer". Alors considérer le besoin de tendresse comme un besoin légitime à lui seul pourrait faire évoluer les mentalités. Se donner le droit de le confier à un inconnu aussi, même s'il faut pour cela ouvrir son porte-monnaie. "Payer pour des câlins, c'est le même principe que payer pour une femme de ménage ou aller au restaurant. Ou que d'utiliser un fauteuil roulant quand on a de la peine à marcher. Quand tu ne peux pas faire quelque chose par toi-même, tu dois pouvoir payer quelqu'un pour le faire à ta place. Il faudrait rendre cela normal dans la société...".
*Les prénoms des témoins ont été modifiés
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