Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines : "L'excision dont j'ai été victime a cassé le lien avec ma mère"
Ces femmes victimes d'excision ont accepté de nous raconter leur histoire, et nous dire ce qui les a particulièrement traumatisées dans cet acte de mutilation. Elles évoquent la douleur insupportable, mais aussi l'amère “complicité” de femmes de leur entourage proche.
La vie d'Isatou*, jeune femme originaire de Gambie, bascule à l'âge de 10 ans. Un matin, sa mère la laisse seule avec sa tante qui dit vouloir l'emmener au marché. Isatou a l'habitude de porter des jeans, mais sa tante la presse d'enfiler un pagne, avant de l'emmener dans une maison qu'elle ne connait pas : “Elle m'a dit qu'on allait passer voir une villa que ma mère voulait acheter, et on est entrées dans une villa avec piscine”. Le contexte aurait pu la faire rêver, si sa tante ne lui avait pas immédiatement demandé de se déshabiller. Pour la laver avec de l'eau bénite, lui a-t-elle expliqué. “Je me suis exécutée et là, j'ai vu plusieurs femmes arriver. Elles m'ont attrapé les jambes et les mains, j'ai remarqué qu'il y avait une lame de rasoir, une boite de tomate concentrée, un fil et un tissu, et j'ai senti le danger”. Isatou a le réflexe de protéger son sexe. En vain. Les quatre femmes, très organisées, l'excisent. “Je saignais beaucoup et priais ce jour-là pour mourir. Elles m'ont attaché un fil, m'ont mis un tissu avec de la tomate concentrée (ndlr : pour diminuer l'écoulement du sang) dessus et m'ont forcée à marcher en me menaçant : si je répétais ce qu'il venait de se passer, elles me tueraient et tueraient ma famille”.
Les personnes qui excisent sont souvent des femmes
Concernant actuellement 200 millions de filles et de femmes principalement en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique latine et en Asie, l'excision a notamment pour but d'empêcher l'orgasme féminin considéré comme impur. Dans certaines cultures, elle est aussi à tort considérée comme une pratique hygiéniste, ou favorisant la fécondité. Paradoxalement, les exciseuses sont souvent des femmes. “Il peut s'agir d'accoucheuses traditionnelles, ou de femmes qui ont reçu ce ‘savoir-faire’ à travers leur mère, comme une tante, une grand-mère, une voisine etc...”, explique Kakpotia Marie-Claire Moraldo, fondatrice de l'association les Orchidées Rouges.
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En Côte d'Ivoire, Sita* a elle été excisée à 17 ans. “Toutes les filles de ma famille l’ont été vers l'âge de 10/12 ans. Alors je pensais que je n'allais pas y passer du tout. Je ne m'inquiétais de rien”. Jusqu'à ce que sa famille décide de la marier à un homme plus âgé, qui exigea qu'elle soit excisée. Un matin de janvier, sa grand-mère vient la réveiller à 4h30 et lui demande de la suivre. Elles se rendent dans une maison où d'autres femmes attendaient. Intimidée par ces dernières et rassurée par la présence de sa grand-mère, Sita obéit lorsqu'on lui demande de se déshabiller et de s'asseoir. “Le piège se referme alors brusquement. Une dame se positionne derrière moi et place ses bras sous mes aisselles pour m'attraper, une autre se tient debout pour faire pression sur mes épaules. D'autres encore tiennent ma jambe droite et ma jambe gauche pour les bloquer. J'étais totalement immobilisée”, se souvient-elle. Le pire est à venir : l'exciseuse s'accroupit face à elle, stimule son clitoris et coupe les petites lèvres, jusqu'en bas. “C'était atroce, j'essayais de me débattre, de me lever de toutes mes forces mais je ne pouvais rien. Alors j'ai décidé de m'abandonner jusqu'à ce qu'elles terminent”.
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Une infinité de souffrances morales et physiques
Ce traumatisme inqualifiable condamne la plupart du temps les victimes à une grande souffrance morale.” Les femmes excisées peuvent se sentir incomplètes, souffrir de manque de confiance en soi, de dépression, de problèmes de sommeil, cauchemars etc”, explique Kakpotia Marie-Claire Moraldo. Sans oublier les séquelles physiques, qui peuvent lourdement les handicaper, comme des problèmes gynécologiques, urinaires, sexuels etc. “Elles peuvent avoir des kystes autour de leur vulve, ou des règles si douloureuses qu'elles ne peuvent plus marcher. Il arrive qu'elles aient des douleurs pendant les rapports sexuels, ou pas de désir. Quant à celles qui ont subi l'infibulation (ndlr : rétrécissement de l’orifice vaginal par ablation et accolement des petites lèvres et/ou des grandes lèvres), elles peuvent difficilement avoir des rapports sexuels. Et si elles tombent enceintes, elles doivent passer par la chirurgie réparatrice pour accoucher par voie basse”.
Pour se réapproprier son corps, Marie-Claire, qui a elle-même été victime d'excision à l'âge de 9 ans, a opté pour l'opération. “J'avais besoin de récupérer le bout de moi qu'on m'a enlevé, j'avais la sensation de ne pas être une vraie femme, alors je suis allée me faire opérer à Paris”. Mais toutes n'auront pas besoin de passer par là pour aller mieux. Aux Orchidées Rouges, les femmes sont ainsi encouragées à se reconstruire de façon plus globale. “Elles peuvent bénéficier d'un suivi avec des psychologues, des thérapeutes psychosociaux, gynécologues, sexologues, des professionnels du bien-être et de l'estime de soi (yoga, sophrologie, art thérapie etc), ainsi que des travailleurs sociaux, des juristes etc”.
Un acte qui peut être vécu comme une trahison
D'autres comme Sita, choisissent de se réparer seule. Suite au traumatisme, cette dernière a développé une hépatite B chronique, mais a décidé de vivre avec cette maladie et les stigmates de son histoire. Malgré tout, près de vingt ans plus tard, la trentenaire avoue que “le sentiment d'avoir un handicap est toujours bien présent en [elle]”. Quand on lui demande ce qui a été le plus dur à vivre, Sita ne parle pourtant pas de cette douleur physique. Mais plutôt de la complicité de sa grand-mère, qu'elle a vécue comme une véritable trahison. “Je m'entendais très bien avec elle, je ne me suis méfiée de rien... J'ai été déçue”, admet celle qui a pourtant décidé de pardonner. “Je mets cela sur le compte de l'ignorance. Elle aussi a eu des regrets et j'ai été la dernière personne de ma famille que l'on a excisée, car elle m'a promis de ne plus jamais le refaire”.
Isatou, elle, en a longtemps voulu à sa mère, qui était au courant de tout. “Je ne comprenais pas comment elle a pu les laisser me faire du mal. Pour moi, la mère doit protéger son enfant, pas le mettre en danger. Plusieurs femmes meurent dans le monde à cause de ces pratiques barbares !”. Si elle tâche de lui pardonner, entre elles, la confiance semble rompue. D'autant plus qu'Isatou ne se sent pas entendue dans ses souffrances : “Je lui ai déjà dit que cela m’avait énormément affectée et que je voulais me faire opérer pour une reconstruction. Elle était en rage et m’a accusée de vouloir redevenir sale. Je n’ai pas dormi de la nuit tellement cela m'a fait mal..”.
*Ces prénoms ont été modifiés
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