La virginité, moquée, glorifiée et genrée : "Qu'une femme soit vierge ou non, elle sera toujours insultée pour sa sexualité"

La virginité, moquée, glorifiée et genrée : "Qu'une femme soit vierge ou non, elle sera toujours insultée pour sa sexualité"

C’est un sujet dont on parle peu et pourtant, il existe, tapi dans l’ombre : la virginité. En France, il n’existe pas de recensements précis sur les personnes vierges. Signe que le sujet est tabou. Sur Instagram, le compte Paye_ta_virginité dénonce les moqueries dont sont victimes les personnes vierges. Elza, l’utilisatrice à l’origine de cet @, publie des témoignages pour alerter sur un phénomène qui utilise les mêmes ressorts que le slutshaming.

En mars dernier, dans son allocution, le président Emmanuel Macron a émis sa volonté d’interdire les tests de virginité en France, dans une volonté de lutter contre ce qu'il appelle le “séparatisme religieux”. Dans certaines communautés, on impose aux femmes d'être vierges jusqu'au mariage et d’attester de leur pucelage avec un certificat. Ces tests sont encore pratiqués dans l’Hexagone.

“Marginal, taré”

Si la virginité est imposée pour des motifs religieux, elle est aussi raillée, en témoigne l’émergence de comptes Instagram qui dénoncent ce qu’on appelle le #virginshaming. La dystopie de notre société est à l’image du virginshaming. D’un côté, elle est glorifiée à l’extrême. De l’autre, elle est acculée dans la zone du “non-cool”. Dans son enquête “Je suis une femme vierge et alors ?”, le magazine Elle interroge la psychologue pour adolescents Béatrice Copper-Royer, qui explique : “La sexualité est devenue un domaine de plus où il faut être performant. Nous manquons totalement de liberté ! Il y a vingt-cinq ans, quand j’ai commencé à exercer, personne ne s’inquiétait d’être encore vierge à un certain âge. Aujourd’hui, on se sent marginal, presque taré. C’était un étendard, c’est devenu un fardeau.”

Si certaines études montrent que les Millennials perdent en moyenne leur virginité plus tard que leurs parents (19 ans pour les premiers, 17 pour les seconds), l’hypersexualisation de notre culture nous pousse parfois à stigmatiser celles et ceux qui appréhendent la sexualité différemment. Car oui, il est important de rappeler que la virginité doit être interprétée de plusieurs façons. Il existe différentes “catégories” de vierges. Il y a ceux qui le sont pour répondre aux exigences de leur confession. Puis, il y a les autres, qui pour moult raisons décident de ne pas assujettir leur sexualité aux diktats de la société. Un choix qui interpelle et qui peut être pointé du doigt.

Virginshaming et slutshaming, même combat

Sur Instagram, Paye_ta_virginité dénonce le virginshaming, une attitude visant à insulter les personnes vierges et qui selon Elza, la créatrice du compte, se manifeste de la façon suivante : “Beaucoup de personnes vierges vont soit être moqué·e·s en se faisant traiter de personnes coincé·e·s, de gamin·e·s, de personnes fades, inintéressantes. Ou elles vont être fétichisé·e·s : les vierges seraient plus dociles, plus ‘serrées’, des hommes désireraient ‘leur faire découvrir la sexualité’, dans le porno, la virginité est fétichisée également et la douleur qui pourrait accompagner celle-ci également.”

Beaucoup de personnes vierges vont soit être moqué·e·s en se faisant traiter de personnes coincé·e·s, de gamin·e·s, de personnes fades, inintéressantes. Ou elles vont être fétichisé·e·s

Elza compare ce comportement au slutshaming : “Le virginshaming pour moi c'est un peu similaire au slutshaming. On s'attaque à une personne (souvent des femmes ou autres minorités de genre) pour sa manière de vivre sa sexualité, de s'approprier son corps. Cela se manifeste par des moqueries, des insultes (coincé·e, sainte nitouche, puceau/pucelle, etc.), il y a parfois aussi une certaine glorification de la virginité qui peut mener à des dérives dangereuses pour le corps, la sexualité, et voire la vie de beaucoup de femmes.”

Il y a quelques mois, le magazine Elle avait enquêté sur le business de la virginité. Pour répondre aux exigences de leur confession, de nombreuses Françaises sont prêtes à payer des sommes importantes, voire à se déplacer dans d’autres pays, pour subir une hyménoplastie, une intervention chirurgicale pour retrouver un hymen “intact”.

Qu'une femme soit vierge ou non elle sera toujours insultée pour sa sexualité. Au contraire, un homme qui n'est pas puceau est puissant, un tombeur. Un mec qui n'est pas puceau c'est une bonne image qui l'attend, alors que quand c'est une femme elle ne sera pas forcément bien vue.”

Dans le même reportage, Myriam, une jeune femme de 29 ans subit une hyménoplastie pour que son mariage avec son fiancé soit maintenu. Myriam a perdu sa virginité à 21 ans. Son copain de l’époque l’avait ensuite larguée en prétextant que ses parents ne supporteraient pas que leur fils épouse une femme non-vierge...

Si l’on en croit les différents témoignages, les femmes semblent être les plus concernées par ce mythe de la virginité. C’est également l’avis d’Elza : “La virginité est un concept patriarcal donc même si un homme va se faire insulter de puceau, ça reste quand même un mythe utilisé pour objectifier la sexualité des femmes (et autres personnes assigné·e·s comme tel·le·s). Qu'une femme soit vierge ou non elle sera toujours insultée pour sa sexualité. Au contraire, un homme qui n'est pas puceau est puissant, c’est un tombeur. Un mec qui n'est pas puceau c'est une bonne image qui l'attend, alors que quand c'est une femme elle ne sera pas forcément bien vue.”

Qu’en est-il des virginshamers ? Sur base des témoignages qu’elle a recueillis, Elza pense avoir quelques idées sur les profils de ces “objecteurs de la bonne conscience”. “Ce sont à mon avis les mêmes personnes que les slutshamers. Mais on peut aussi faire du virginshaming en pensant être bienveillant·e·s. C'est principalement les hommes qui le font, même si beaucoup de femmes qui ont intériorisé le sexisme peuvent le faire également vis-à-vis de d’autres personnes.”

Les lesbiennes seraient vierges ?

Le mythe le plus récurrent concernant les vierges serait de considérer ces personnes comme n’ayant jamais eu de rapports sexuels. Cela renvoie alors à l’idée de cette personne chaste se refusant obstinément à goûter aux joies de la chair avant d’être sûre de tomber sur l’Amour de sa vie. Cette image totalement désuète se veut également excluante.

“On pense que la personne vierge n'a pas de sexualité, ne connait rien à celle-ci ou n'y pense pas. Une personne vierge est immature, docile, faible ou coincée. La virginité en elle-même est un mythe car si l'on pense à la masturbation en solo comme du sexe, la notion de virginité n'a aucun sens. Puisque l'on considère qu'une personne possédant une vulve n'est plus vierge lorsqu'elle se fait pénétrer par un pénis, on peut dire que c'est un concept phallocentré et hétérocentré puisqu'il ne prend pas en compte la sexualité des personnes lesbiennes.”

Si, sur Instagram, de plus en plus de comptes louent les mérites d’une sexualité positive, il est nécessaire d’insister sur l’importance du respect. Assumer sa sexualité est une chose. Respecter celles d’autrui en est une autre. Car, finalement, ce que l’on recherche un peu tous, c’est d’avoir des relations sexuelles (ou pas) en paix.

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