Les mutilations génitales, aggravées par la crise climatique : "Dans les zones les plus touchées, les excisions ont augmenté de 30%"
Ce lundi 6 février 2023 est marqué par la journée internationale de la tolérance zéro à l'égard des mutilations génitales féminines. Des actes considérés comme une violation des droits humains à l'échelle internationale, mais qui continuent à perdurer à travers le monde, sous couvert de "tradition". Et alors que le dérèglement climatique est plus violent que jamais, les ONG dénoncent une augmentation drastique du nombre de mutilations dans les pays les plus touchés.
"J'ai subi une excision quand j'avais 8 ans, et aujourd'hui, j'ai plus peur que jamais pour les petites filles de mon village natal." Imany* a 28 ans et vit en France depuis de nombreuses années. Elle est originaire d'Ethiopie. A 18 ans, elle a fui son pays pour s'installer en France, dans l'espoir de fuir les maltraitances dont elle était victime. Des maltraitances qui ont commencé lorsqu'elle a été excisée et mariée de force alors qu'elle était encore enfant.
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Les mutilations sont encore une réalité
Selon les chiffres de l'UNICEF, 4 millions de petites filles sont exposées chaque année au risque de subir des mutilations génitales féminines, et pas moins de 200 millions de femmes et de filles encore en vie aujourd'hui ont été victimes de ce type de pratiques barbares. "L'Ethiopie fait partie des pays qui pratiquent le plus l'excision, et je n'ai pas fait exception", raconte Imany. "La mienne a été pratiquée par les anciennes du village, sur la table de la cuisine, et je me rappelle seulement de la douleur, du sang, de la fièvre et des mots de mes parents : 'On fait ça pour toi, pour que tu trouves un mari'."
Car c'est l'une des principales raisons pour lesquelles ces mutilations sont toujours pratiquées dans certaines communautés. Elles sont considérées comme un rituel culturel, un passage obligé pour ne pas que les filles soient mises à l'écart, et jugées inaptes au mariage. "À peine remise de l'opération, ma mère a fait mes valises, et m'a expliqué que j'allais m'installer avec un homme du village qui voulait m'épouser. Notre mariage forcé a eu lieu l'année de mes 10 ans. Il a commencé à me violer quand j'en avais 12. Je suis tombée enceinte à 14 ans, mais j'ai perdu le bébé. C'est à ce moment-là que je me suis dit qu'il fallait que je parte. J'ai commencé à économiser chaque centime pour assurer ma fuite."
Une situation qui ne fait que s'aggraver
Aujourd'hui, ce sont encore 31 pays répartis sur trois continents qui pratiquent régulièrement les différentes formes de mutilations génitales (une ablation totale ou partielle du clitoris (clitoridectomie), une ablation totale ou partielle du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans ablation des grandes lèvres (excision), un rétrécissement de l’orifice vaginal par ablation et accolement des petites lèvres et/ou des grandes lèvres, avec ou sans ablation du clitoris (infibulation)). L'UNICEF précise que "la moitié des victimes de l’excision vivent en Égypte, en Éthiopie et en Indonésie."
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En 2020, l'UNFPA (Fonds des Nations unies pour la population) dénonçait l'impact du Covid-19 et de la fermeture des écoles, qui avaient entraîné "la perturbation des programmes visant à protéger les filles contre cette pratique nocive." Avec un message d'alerte : "Des victimes supplémentaires risquent d’être recensées au cours de la prochaine décennie". Car selon l'ONG Vision du Monde, la crise climatique va elle aussi avoir un impact dramatique sur la situation. "Dans les zones les plus touchées par le changement climatique, les mutilations génitales féminines ont augmenté de presque 30%", dénonce Camille Romain des Boscs, directrice de l'ONG.
Un lien insidieux entre mutilations génitales et dérèglement climatique
Si le rapport entre dérèglement climatique et mutilations génitales n'est pas évident, la spécialiste explique qu'il relève d'une triste logique. "Il faut avoir en tête l'enchaînement de causalités. Les dérèglements climatiques extrêmes, dont la sécheresse, ont accéléré ce phénomène des mariages précoces et des mutilations génitales qui y sont associées. Et ce parce que la situation, notamment au Kenya, est dramatique. C'est la pire sécheresse qu'il y a eue depuis 40 ans, et ça entraîne une grande précarité auprès des familles, qui sont privées de moyen de subsistance. Cette précarité va donc pousser les familles à se séparer d'une bouche à nourrir en passant par le mariage précoce. Or, dans la corne de l'Afrique, les mariages forcés sont associés aux mutilations génitales, qui vont donc augmenter."
"Toutes les personnes qui ont subi une excision ont conscience que la situation est dramatique", confirme Imany. "Même si je ne vis plus en Ethiopie, je sais que les filles de mon pays sont plus à risque que jamais. Elles sont souvent considérées comme un poids pour les familles pauvres, leur seule valeur est de pouvoir être mariée à un homme plus aisé, pour avoir une bouche de moins à nourrir, espérer une dot, ou même une aide financière de la part de leur nouveau beau-fils, et l'excision est considérée par de nombreux parents comme un prix faible à payer pour sortir de la misère." Pour lutter contre ce phénomène, de nombreuses associations et organisations non-gouvernementales se mobilisent, mais la tâche est dure : "Je travaille avec une association qui aide les ados à fuir leur foyer avant d'avoir à subir des mutilations génitales", explique Imany, précisant qu'il s'agit de la raison pour laquelle elle tient à préserver son anonymat. "Je sers d'agent de liaison grâce à mes liens avec le pays, mais aider les filles, souvent peu informées, n'est pas une chose facile. Ce n'est pas comme si les parents leur disaient ouvertement la date à laquelle elles vont se faire exciser, mentionnaient la douleur, ou les terribles conséquences." Et selon elle : "Plus le réchauffement climatique va s'aggraver, plus les femmes seront en danger."
Le travail essentiel des associations
De son côté, l'association Vision du Monde a mis en place plusieurs projets, qui travaillent sur les différentes causes des mutilations génitales. "Il y a plein de communautés qui n'ont pas conscience de l'impact que ça va avoir sur les jeunes filles, d'autant que le poids de la tradition est très important. Pour être considérées comme une bonne épouse, elles doivent être excisées. Il y a des croyances fortes qui pensent qu'en les privant du plaisir, les femmes seront plus chastes et plus fidèles. C'est pourquoi nous travaillons avec Vision du monde pour lutter contre ces croyances", explique Camille Romain des Boscs. "Kenya Big Dream est l'un des projets que nous avons mis en place. Dans un pays où les mutilations génitales sont très répandues, il illustre très bien notre approche qui se présente sur plusieurs volets. Car dans la perpétuation de cette tradition violente, il y a plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte. Il y a le poids de la tradition, mais aussi l'éducation des filles, puisque celles qui vont à l'école sont mariées plus tard et risquent moins l'excision. On va également travailler sur un point de vue économique, notamment avec la mise en place de groupes d'épargne et de crédit, pour ne plus que la précarité ne soit un facteur pour les familles. Mais nous allons également travailler avec les exciseuses, qui ont un statut social et des revenus grâce à cette pratique. Si ces exciseuses ont accès à d'autres métiers qui peuvent leur générer des sources de revenus, elles poseront leurs rasoirs. C'est une façon très efficace de transformer la tradition. D'autant que nous travaillons en parallèle avec les chefs religieux et nos équipes locales sur d'autres rites alternatifs, pour remplacer ce qui est considéré comme un rite de passage."
Un projet essentiel, mais qui a besoin d'être soutenu : "Soutenir les initiatives, ça passe d'abord par ne pas fermer les yeux sur ce qui se passe dans le monde", affirme Camille Romain des Boscs. "Puis, ça implique de soutenir financièrement les associations qui ont déjà des opérations éprouvées. Avec Kenya Big Dream, on a pu voir que notre approche fonctionnait, puisque, rien qu'en 2022, 805 enfants ont participé à des cérémonies de rites alternatifs, 314 hommes et femmes ont suivi notre formation Citizen Voice and Action pour plaider en faveur des services à l'enfance auprès du gouvernement, et 45 groupes d'épargne ont été mis en place, 2 300 membres ont pu être formés et en bénéficier, touchant ainsi plus de 7 500 enfants. Aujourd'hui, il ne reste plus qu'à dupliquer le processus pour toucher un maximum de monde. Les dons et les parrainages sont des actions concrètes pour nous aider à agir à cours et à long terme."
* Pour des raisons d'anonymat, le prénom a été changé.
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