Rita Moreno, première actrice latina à avoir remporté un Oscar... et toujours cantonnée aux mêmes rôles
Elle a 90 ans et est de retour dans le film qui l’a propulsée sur le devant de la scène, "West Side Story", cette fois de Steven Spielberg. Rita Moreno est une pionnière. En 1962, elle est devenue la première actrice latina à remporter un Oscar, puis, dans la foulée, un Emmy, Grammy et Tony Award. Pourtant, son chemin a été semé d’embûches.
En 1962, Rita Moreno, 31 ans, monte, tremblante, sur la scène de la 34ème cérémonie des Oscars pour recevoir son prix de la meilleure actrice dans un second rôle. C’est la consécration : son interprétation du personnage d’Anita dans "West Side Story", le drame musical de Jerome Robbins et Robert Wise avec Natalie Wood, lui vaut les honneurs. C’est la première fois qu’une actrice latina remporte un Oscar. Et pourtant, sur scène, Rita Moreno signe l’un des discours de les plus courts de l’histoire. "Je n'arrive pas à y croire ! Bon dieu! Je vous laisse avec ça" lâche-t-elle. Sept petites secondes en tout que l’actrice aujourd’hui âgée de 90 ans a tenu à expliquer au New York Times : "Je me souviens avoir pensé très clairement: ‘Ne remercie personne. Ils ne t’ont pas donné le rôle en guise de faveur. Ils ont été obligés de te le donner parce que tu as fait la meilleure audition.’ Je n'avais plus rien à dire une fois que j'ai décidé que je n'allais pas dire merci." Ce tempérament de feu, Rita Moreno a très vite compris qu’il lui faudrait ne jamais le lâcher.
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Les débuts d’une star
Née à Porto Rico en 1931, Rosa Dolores Alverío, de son vrai nom, a grandi dans une ferme de l’île caribéenne. À ses 5 ans, elle s’envole avec sa mère pour New York où elle se met très vite à suivre des cours de danse. Ses origines lui permettent de mettre un pied dans l’univers du cinéma lorsqu’elle n’a que 11 ans. À cette période, elle prête sa voix à des versions espagnoles de films américains. Deux ans plus tard, elle fait ses débuts à Broadway et incarne le personnage d’Angelina dans le show "Skydrift". Les agents hollywoodiens s’intéressent peu à peu à cette fillette pétillante et incroyablement douée pour la danse et le théâtre. Les portes du cinéma s’ouvrent alors à Rosa, qui devient Rita Moreno. Après un premier rôle dans le film "So Young, So Bad", elle signe un contrat de 7 ans avec les célèbres studios de la Metro-Goldwyn-Mayer. Les rôles s’enchainent à la vitesse de l’éclair. Problème : ils se ressemblent tous.
"Je n’étais vue que d’une certaine façon, et je devais toujours m’exprimer avec un accent, a confié l’actrice en 2017 au Times. Je ne pouvais même pas auditionner pour un rôle qui n’était pas celui d’une fille indigène." Les studios enferment peu à peu Rita Moreno dans des rôles "ethniques" et/ou hypersexualisés. À tour de films, elle joue une Hawaïenne, Amérindienne, Egyptienne, Philippine ou encore Birmane. "Je me sentais vraiment démunie. Je lisais un script, me disais que je pourrais tellement jouer ce rôle. Et mon agent répondait : ‘Ils ne te veulent pas’. C’était déchirant." En 1961, on lui propose d’incarner Anita dans l'adaptation cinématographique de la comédie musicale "West Side Story". Ce rôle va être décisif.
"Ce qui était important à propos d'Anita pour moi - et qui l'est toujours - c'est que ça a été la seule fois où j'ai représenté les Hispaniques d'une manière digne et positive" se souvient-elle aujourd’hui. Pourtant, Rita Moreno a failli décliner cette offre qui a changé sa carrière. La raison ? Un couplet de la chanson "America" dans lequel elle devait chanter : "Puerto Rico. You ugly island, island of tropic diseases." À comprendre : "Puerto Rico. Toi l’île laide, île des maladies tropicales." Le comble pour cette Portoricaine de naissance : "Ça m'est soudainement venu à l'esprit : ‘Oh mon Dieu, je ne peux pas chanter ça, je ne peux pas faire ça à mon peuple.’" Heureusement, les paroles ont été changées et la prestation de Rita Moreno lui a valu un Oscar.
Des rôles stéréotypés
Après être devenue la première actrice latina à remporter un Oscar, rien n’a vraiment changé pour Rita Moreno. Ses agents ont continué de lui proposer, inlassablement, les mêmes rôles stéréotypés de femmes "exotiques et latines", membres de gangs ou femmes au foyer. Pendant sept ans, elle délaisse donc les studios d’Hollywood pour se produire sur les planches. "L’oscar ? Ça n’a pas fait de moi une personne de valeur. Ça a juste fait de moi une personne chanceuse, cette fois-là" a-t-elle déclaré au Time. C’est dans les années 70 que Rita Moreno retrouve finalement le chemin d’Hollywood. Au fil des années, ses apparitions dans des films populaires et séries télévisées lui valent de nouvelles récompenses. Si bien qu’elle devient la première actrice latina à remporter les quatre principaux prix de divertissement outre-Atlantique : un Oscar, un Emmy, un Grammy et un Tony. Jackpot.
Pourtant, 60 ans après le sacre de Rita Moreno aux Oscars, les actrices latinas continuent d’être sous-représentées voire invisibilisées dans le cinéma américain. "Nous ne sommes pas représentées autant que nous devrions l'être (…) Je pense que nous devons faire mieux que ce que nous avons fait. La communauté noire a fabuleusement bien réussi et nous pouvons peut-être en tirer quelques leçons" a estimé Rita Moreno en 2021 dans une interview accordée à la chaine Youtube Backstage OL. Pour cette cérémonie des Oscars 2022, elles ne sont que deux actrices latinas à être nommées : Penelope Cruz pour son rôle dans "Parallel Mothers" de Pedro Almodovar, et Ariana Debose pour son rôle dans l’adaptation de "West Side Story" de Steven Spielberg, dans lequel on peut d’ailleurs retrouver Rita Moreno. Un problème de plus dans les rouages du cinéma américain, jugé encore trop peu inclusif. Le hashtag #OscarsSoWhite inonde d’ailleurs Twitter chaque année.
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Une sous-représentation criante
Avant de parler des cérémonies et récompenses, il faut prendre en considération les difficultés que rencontrent les acteurs et actrices racisé.e.s pour décrocher un rôle qui, 1. ne tomberait pas dans des clichés désuets, 2. n’aurait aucun lien avec leurs origines ethniques. Si elle a eu la chance de connaitre le succès avec "West Side Story", Rita Moreno a aussi subi les critiques au sujet de son rôle dans le film, qui dépeint des membres de la communauté hispanique comme des gangsters. En 1961, le casting de "West Side Story" était d’ailleurs en grande partie non latino. Certains acteurs portaient même du maquillage "sombre" et avaient adopté un accent pour "sembler plus hispanique". Rita Moreno a eu droit au même traitement… alors qu’elle est originaire de Porto Rico.
"Je me souviens d'avoir dit une fois à mon maquilleur : ‘Pourquoi dois-je porter un maquillage aussi sombre ? Je ne suis pas de cette couleur’, Et il m'a littéralement dit: ‘Quoi, tu es raciste?’ Il a vraiment dit ça et j'étais tellement étonnée que je me suis tue, parce que je ne savais pas quoi répondre à ça. C’était choquant" a-t-elle raconté dans les colonnes du Chicago Sun Times. 60 ans plus tard, dans la version 2022 de "West Side Story", Steven Spielberg s’est bien assuré que "chaque personnage hispanique est hispanique." Logique, diriez-vous. Pas pour tout le monde apparemment.
En 2019, une étude menée par le groupe de réflexion de l’université de Californie du Sud a minutieusement étudié les cent films américains qui ont réalisé le plus de recettes, entre 2007 et 2018. Et le constat est sans appel : seuls 3% de ces films mettaient à l’affiche un.e comédien.n.e d’origine latino-américaine. Chez les femmes, trois actrices se sont partagées la quasi totalité de ces rôles : Cameron Diaz, Jennifer Lopez et Jessica Alba. "Je pense qu'Hollywood a changé. Je pense qu'il y a encore des choses à régler. La représentation que les Hispaniques obtiennent est presque nulle. Il y a tellement de gens talentueux parmi les Hispaniques. Jennifer Lopez ne peut pas être la seule" déclarait d’ailleurs Rita Moreno en 2021. Par ailleurs, 47% des cas étudiés ne comptait aucun personnage latino-américain, quand 24% des cas le faisaient à grand renfort de stéréotypes, les dépeignant principalement comme des trafiquants de drogues, membres de gangs ou dans des emplois non qualifiés...
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