Secrets de famille - Vincent : "Mon père le faisait à ma mère quand j'étais couché. J'ai honte de l'avoir aimé"

À la mort de son père, Vincent a voulu être aux côtés de sa mère pour surmonter le deuil en famille. Il découvre que sa maman devient une nouvelle femme, comme libérée d'une emprise qu'il ne parvenait pas à qualifier. Il raconte le secret douloureux qui a empoisonné sa mère des années durant.

Secrets de famille - Vincent :
Secrets de famille - Vincent : "Mon père le faisait à ma mère quand j'étais couché. J'ai honte de l'avoir aimé". Crédit : Getty

Vincent apprend le secret de sa famille au moment du décès de son père : "J’ai toujours pensé que j’avais une famille sans histoire. Mes parents ont toujours tout fait pour que je puisse avoir une belle vie même s'ils ne roulaient pas sur l’or quand j’étais petit. Ils m’ont permis de faire des études. Ils m’ont donné de l’argent pour que je puisse m’installer seul dans une grande ville et commencer ma carrière. On ne parlait pas de tout chez moi. C’était même assez froid pendant les repas de famille. Mais j’ai toujours mis ça sur le compte de l’éducation de mes parents et sur le fait que c’est difficile de ressentir la vie et la chaleur humaine quand on est seulement trois adultes autour de la table. Mon père m’a longtemps caché qu’il était malade. Officiellement pour ne pas m’inquiéter et me déranger mais je pense qu’en fait il avait aussi honte d’être diminué. Je me suis douté qu’il avait fait peser ça sur ma mère et c’est pour ça que j’ai voulu être très présent quand elle s’est retrouvée seule. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle me raconte ce qu’elle a voulu me raconter."

Après le décès de son père, Vincent décide de passer quelques semaines chez sa mère : "Elle avait besoin d’être entourée et nous n’avons pas beaucoup de famille. Elle avait aussi besoin qu’on l’aide avec les démarches. Ce n’était pas une demande de sa part mais je savais que ma présence allait être nécessaire. J’ai toujours connu mes parents ensemble donc je me disais aussi, naïvement, que la solitude allait être difficile pour elle. Je me disais que ça allait peut-être nous rapprocher de partager cette période ensemble. Et je crois aussi que, dans le fond, je croyais que mon deuil allait être plus facile en étant proche d’elle. Mais très vite, je me suis rendu compte qu’elle ne réagissait pas comme je l’aurais pensé. Elle était triste, c’est sûr. Mais elle avait aussi l’air de vouloir reprendre sa vie en main. Elle n’était pas déprimée et elle parlait de projets, des choses qu’elle ne pouvait pas faire avec mon père parce qu’il "ne voulait pas". Je n’ai rien dit sur le coup parce que j’ai pensé à chaque fois que chacun réagit à la perte d’une manière différente mais ça m’a quand même étonné."

Et puis un jour, la mère de Vincent lui raconte toute la vérité : "Un soir, on dînait ensemble, et elle s’est mise à tout déballer. Elle m’a dit que parce que j’étais adulte et que mon père n’était plus là, elle pouvait me dire toute la vérité. En fait, mes parents n’étaient pas un couple heureux. Mon père battait ma mère. Elle n’avait pas la liberté de faire ce qu’elle voulait avec lui. Elle avait dû arrêter de voir des amies qui comptaient pour elle. Elle avait dû n’avoir qu’un seul enfant parce qu’il n’en voulait pas deux et alors qu’elle avait toujours rêvé d’une grande famille. Il a battu ma mère pendant des années sans que je me rende compte de rien. Il le faisait même quand j’habitais avec eux. Mais il le faisait quand j’étais couché et il s’arrangeait toujours pour que ça ne me réveille pas. Ma mère m’a parlé de tenues d’été qu’elle n’avait pas pu porter parce qu’elle avait des marques. Des nuits où elle ne dormait pas parce qu’elle avait trop mal. Du fait que c’était devenu une habitude pour elle de partager sa vie avec un homme qui la traitait comme ça. La seule chose dont elle était fière, selon elle, c’est qu’elle avait toujours réussi à me protéger de la réalité et que je n’ai jamais eu à souffrir de cette violence. Elle a tout balancé très vite, un peu pèle-mêle. Moi j’étais sous le choc. Je ne savais même pas quoi dire. Mon premier réflexe, et j’en ai honte maintenant, c’est d’avoir pensé qu’elle mentait. Mais j’ai vu dans quel état ça la mettait de dire tout ça et la peur et l’espoir qu’il y avait dans ses yeux après. Elle voulait que je lui dise que je l’avais bien entendu et que je la croyais. C’est ce que j’ai fait. C’est quelques jours après que j’ai vraiment réalisé."

Vincent voit, en effet, sa mère changer du tout au tout : "C’est comme si elle était devenue une autre femme. Après avoir parlé, même si ça n’était qu’à moi, elle a complètement changé d’attitude. Son corps s’est déplié. Je l’ai trouvé grande. Elle souriait plus aussi. C’est devenu une autre femme. Une femme beaucoup plus chaleureuse aussi. Elle n’avait plus peur. Elle n’avait plus honte. La honte, elle est venue de mon côté. J’ai eu honte de n’avoir rien vu. Je ne suis même pas sûr que c’était si discret que ça. J’ai eu honte de m’être dit pendant des années que mes parents étaient juste des gens peu chaleureux alors qu’en fait ma mère était dans une relation toxique. J’ai eu honte d’avoir aimé mon père aussi. J’ai commencé une thérapie peu de temps après, dans laquelle je suis encore aujourd’hui. Et j’aime ma mère autant que je peux. Enfin, j’aime désormais la femme qu’est vraiment ma mère. La famille est plus réduite que jamais mais je peux enfin dire qu’il y a vraiment de l’amour et du respect."

Certaines familles cachent des secrets qui peuvent avoir des conséquences sur plusieurs générations. Quels sont ces secrets ? Comment refont-ils surface ? Et enfin, quelles sont les conséquences que cela peut avoir sur les personnes qui les découvrent ? La série "Secrets de famille" revient sur cet épineux sujet du mensonge et de dissimulation au sein même des foyers.

Si vous aussi vous voulez raconter vos histoires exceptionnelles, vous pouvez envoyer un message à cette adresse : lucilebellan@gmail.com.