Journée internationale des droits des femmes : souvent méconnue, la solidarité fiscale peut plonger de nombreuses femmes dans la précarité
Concept souvent méconnu du grand public, la solidarité fiscale est pourtant l'une des raisons des mariages et des pacs qui finissent mal. Une violence économique qui pèse principalement sur les femmes, puisqu'elles sont concernées par plus de 90% des cas de dette fiscale. Mais comment y échapper ? Témoignages et éléments de réponse.
À l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, intéressons-nous au concept de la solidarité fiscale, qui constitue souvent une zone d'ombre au sein des couples. La solidarité fiscale peut constituer un problème car souvent, elle précarise les femmes au sein d'une société hétérocentrée dans laquelle les finances sont encore gérées par les figures masculines.
La question de l'argent au sein du couple n'est pas toujours facile à aborder. Pourtant, les femmes ont tout intérêt à s'intéresser de près à leurs finances, comme à celles de leur partenaire. Pour cause, elles sont les premières victimes de ce que l'on appelle la solidarité fiscale en cas de séparation.
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Qu'est-ce que la solidarité fiscale ?
Léa Lejeune, journaliste économique et cofondatrice de Plan Cash, la plateforme d'éducation féministe qui parle d'argent aux femmes, a récemment mis au point une formation qui traite justement de ce concept. "La solidarité fiscale, c'est l'idée que l'épouse ou l'époux est redevable des dettes contractées par son partenaire pendant le mariage. Principalement l'épouse, d'ailleurs, puisque ce sont les femmes qui sont majoritairement concernées", explique-t-elle.
D'ailleurs, les couples mariés ne sont pas les seuls concernés : les couples pacsés le sont également, rappelle l'experte. "La solidarité fiscale s'applique aussi au pacs, dont il faut faire très attention. Le pacs ne donne pas que des avantages, il crée vraiment une union entre les deux partenaires, ainsi qu'une déclaration d'impôts commune. Et c'est à partir de cette déclaration d'impôts commune que va être décidée la solidarité fiscale."
"Ça pose souci s'il y a une mauvaise gestion de l'argent au sein du couple, mais aussi au moment du divorce, parce que la femme divorcée peut être poursuivie par l'administration fiscale, qui essaye de lui réclamer la dette que doit son ex-conjoint sur les années où ils étaient encore mariés. Cela peut se produire si l'ex-conjoint ne paye pas, paye en retard, n'a pas les moyens de payer, etc."
Une situation à laquelle Colette*, 62 ans, se retrouve actuellement confrontée. "Il y a cinq ans, j'ai quitté mon mari après plus de 30 ans de mariage, en découvrant qu'il était infidèle. J'ai découvert qu'il était également endetté de plusieurs dizaines de milliers d'euros. Vu que c'est lui qui gérait les comptes, je ne l'avais jamais su, d'autant qu'il était plutôt généreux, dépensier", se lamente-t-elle. Malheureusement, son partenaire est aujourd'hui installé à l'étranger, injoignable. "Il a disparu dans la nature, et c'est moi qui paye les pots cassés. C'est la double peine", confie avec émotion la sexagénaire, qui a dû vendre sa maison, héritée de ses parents, pour rembourser les dettes de son ex-mari.
Un contrat de mariage permet-il de se protéger de la dette fiscale ?
"Le code général des impôts stipule que les femmes séparées sont solidaires des dettes fiscales créées par leurs ex-conjoints, même si elles ne sont pas à l’origine de ces dettes et qu’elles n’ont pas bénéficié de ces revenus", rappelle le Collectif des femmes divorcées victimes de la solidarité fiscale. Et Colette est loin d'être la seule concernée, puisque le collectif précise : "Dans 90% des cas, ce sont les ex-femmes qui se retrouvent à payer seule la dette fiscale de leur ex-conjoint, la solidarité s'appliquant pendant l'instance de divorce, après le divorce et en cas de rupture de la vie commune."
Certaines personnes pourraient croire qu'un contrat de mariage ou de pacs suffit à s'en protéger, mais ce n'est pas le cas. "Le contrat de mariage, toutes ces formes de contrats lors d'un mariage ou d'un pacs, que l'on peut faire chez le notaire, n'ont pas d'effet direct sur la solidarité fiscale", précise Léa Lejeune. "Ils ont un effet sur la séparation du patrimoine, la façon dont on construit sa richesse durant le mariage, la pension de réversion ou l'héritage après le décès d'un conjoint, etc. Mais il n'y a pas vraiment d'éléments pour éviter la solidarité fiscale."
D'ailleurs, le site du Service Public le rappelle : "En France, si vous êtes marié ou pacsé, vous devez tous les deux régler les dettes fiscales de votre couple, y compris après votre séparation. C'est la solidarité fiscale qui vous engage lorsque vous êtes imposés en commun."
Solidarité fiscale : comment se protéger des dettes d'un conjoint ?
Le site du gouvernement précise : "Toutefois, un dispositif de décharge (Allègement ou suppression d'une obligation fiscale accordé par les services des impôts sur demande d'un contribuable) est prévu dans certains cas de graves difficultés financières." Pour cela, il faut faire une demande auprès de l'administration fiscale, qui examinera alors votre capacité de remboursement en fonction de vos ressources et de votre patrimoine. "Quand elle est accordée, la décharge porte sur les éléments suivants : une partie de l'impôt dû, et tout ou partie des intérêts de retard et des pénalités."
Jusqu’en 2021, la capacité de remboursement du demandeur ou de la demandeuse était évaluée par l'administration fiscale sur une durée de 10 années, c’est-à-dire que la décharge n’était pas accordée à l’ex-conjoint qui pouvait rembourser la dette en 10 ans. Un nombre d'années diminué à 3 ans dans la loi de finances pour 2022.
L'autre solution, recommandée par Léa Lejeune, est d'anticiper. "Chez Plan Cash, on propose des formations sur la gestion de l'argent dans le couple, et sur tous ces statuts maritaux, mais surtout de comment aborder la question de l'argent dans le couple, de comment bien distinguer tous les cas particuliers, et de comment mettre en place un "money date", où l'on pose vraiment ces questions-là. Encore une fois, comme on ne peut pas forcément se prémunir de la solidarité fiscale, il est essentiel d'être hyper conscient de la gestion financière de son compte en banque qu'a son conjoint au quotidien." Et de préciser : "Dès que l'on prend conscience de la situation économique dangereuse de son partenaire, il faut divorcer ou rompre le pacs le plus vite possible pour ne pas être trop tenue par la solidarité fiscale."
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