Faire 50-50 au sein du couple, est-ce vraiment équitable ? "Théoriquement, c'est égalitaire, mais dans les faits, ça ne l'est pas"
La journée internationale des droits des femmes, qui se déroule ce mercredi 8 mars 2023, est l'occasion de constater que l'égalité homme-femme est toujours loin d'être au rendez-vous. Pire, cette volonté d'égalité est même devenue un prétexte pour beaucoup d'hommes, qui estiment qu'ils n'ont pas à payer davantage que les femmes qu'ils fréquentent, au nom de l'égalité. Sauf que cette pratique est tout sauf égalitaire.
"On fait moitié-moitié sur l'addition ?" Cette phrase, toutes les femmes hétérosexuelles l'ont entendue au moins une fois de la part de leur compagnon, ou d'un simple rendez-vous amoureux. Au nom du féminisme et de l'égalité homme-femme, nombreux sont les hommes qui ont renoncé au principe de galanterie, et ne veulent plus payer plus que leur part. Au sein des couples, c'est souvent la même chose. Si l'idée de payer les dépenses au prorata de ce que l'on gagne commence à se faire un chemin dans notre société, en particulier lors de grosses différences de salaire, on constate vite que bon nombre de dépenses ne sont pas prises en compte dans le calcul.
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"On gagne la même chose, alors on fait 50-50" : vraiment ?
Dans le cadre de cette enquête, Maxime et Julie ont accepté de nous ouvrir leurs finances. Tous deux âgés de 31 ans et parents d'un petit garçon âgé de deux ans, ils ont tous les deux le même salaire, à peu de chose près. "Maxime gagne 2934 euros brut par mois, et je suis à 3000 et des poussières. Résultat, pour nous, c'est logique de faire 50-50 sur les grosses dépenses." Les grosses dépenses en question sont les suivantes : le loyer, les factures (électricité, gaz, Internet et services de streaming), les frais de santé et de garde de leur enfant et les courses alimentaires. "Pour le reste, on met 200 euros de côté chacun dans notre compte épargne commun, et on garde le reste pour le dépenser comme on veut."
Pour Maxime, cette répartition des charges est "logique". "On gagne la même chose, donc on partage toutes les dépenses communes. A l'époque où je gagnais un peu moins, c'était au prorata. Même chose pendant son congé maternité, où elle touchait un peu moins d'argent. Du coup, je pense qu'on dépense globalement la même chose tous les mois." Vraiment ? Pourtant, quand on regarde le détail des dépenses mensuelles du couple, on constate un certain nombre de disparités. Chacun possède sa propre voiture, mais Julie dépense en moyenne 100 euros de plus que son conjoint en essence. "La voiture de Max n'a que deux places, du coup on utilise la mienne pour se déplacer avec notre fils. C'est moi qui l'emmène à la crèche, la garderie ou chez ma mère, et c'est ma voiture qu'on prend quand on sort, donc je fais le plein plus souvent." Et compte tenu de l'inflation du prix de l'essence, cela commence à peser dans le budget de la jeune maman.
Des dépenses oubliées dans la répartition des dépenses
Pour Lucile Quillet, journaliste, autrice de l'essai "Le prix à payer : Ce que le couple hétéro coûte aux femmes" et membre de l'observatoire économique de la fondation des femmes, ce n'est pas anodin. "Les frais d'essence de madame sont plus élevés, sauf que l'enfant, c'est aussi l'enfant de monsieur. C'est là où on voit que le fait de faire 50-50 n'est pas toujours égalitaire, quand il y a des inégalités en termes de temps passé à faire des tâches domestiques ou parentales." Elle précise en effet : "Vous pouvez faire 50-50 sur le loyer, mais la personne qui va aller faire les courses, les trajets, les rendez-vous, va non seulement renier sur son temps de travail et donc bloquer ses perspectives de promotion, mais en prime, en termes de coût immédiat, si chacun paye pour son plein d'essence, la personne qui fait ces déplacements ont plus de frais. Là, à revenus équivalents, vu que c'est madame qui fait tous les trajets pour leur enfant, et qui paye sa propre essence, elle subit beaucoup plus l'inflation que lui, au nom de l'organisation familiale et d'une répartition genrée."
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Pour l'experte, la notion d'égalité économique est à revoir. "En termes d'argent, si on veut faire une vraie bonne comptabilité, il faut penser au temps que chacun passe à faire les tâches domestiques et parentales, car s'il y en a un qui fait un surplus, ça bénéficie à l'autre. Et puis, il faut aussi penser à l'argent qu'on n'aura pas. Si vous rogniez sur votre temps de travail, si vous faites des compromis sur votre carrière au nom de l'organisation familiale, c'est de l'argent que vous aurez en moins. Et ça, ça compte." Il en va de même pour les dépenses en matière d'esthétique faites par Julie : "Coiffeur tous les trois mois, épilation toutes les trois semaines... Ça doit me coûter 80 euros par mois", estime la jeune femme. Des dépenses qu'elle ne partage pas avec son partenaire, au grand dam de Lucile Quillet : "La charge esthétique fait aussi partie des dépenses auxquelles on ne pense pas, parce qu'on considère qu'on a la liberté de se maquiller, de s'épiler. Que c'est du choix et que personne ne nous force à le faire. Sauf qu'au final, on sait très bien qu'aujourd'hui, que ce soit dans le couple ou la société, si vous n'êtes pas apprêtée, vous allez subir des conséquences assez fortes, notamment au travail. Et ce sont des dépenses qui peuvent être très onéreuses, mais qu'on ne comptabilise pas."
La question de la charge contraceptive
Dans le détail des dépenses avancé par la mère de famille, un autre point fait débat : elle est la seule à payer tout ce qui se rapporte à la contraception. "La Sécu et ma mutuelle me remboursent une partie de ma pilule et de mes rendez-vous chez le gynéco, mais le mien fait des dépassements d'honoraires, donc il me reste une somme à dépenser. Il faut compter environ 27 euros de pilule et de médicaments anti-douleurs pour mes règles par mois à ma charge, 90 euros de gynéco non-remboursés, les analyses et le suivi..." Une somme qui grimpe, selon ses estimations, à près de 600 euros par an.
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"Ce n'est pas négligeable", pointe Lucile Quillet. "Dans un couple qui estime tout payer à 50-50, je trouve ça fou que la contraception ne soit pas vue comme une dépense commune, alors que ça bénéficie aux deux personnes. Mais c'est vrai que dès qu'on parle de contraception, on se dit que c'est un devoir des femmes et qu'il ne faut surtout pas que l'on mette son nez là-dedans. Mais là, il ne s'agit pas d'avoir du pouvoir ou de l'ingérence, c'est juste rembourser, participer à une dépense qui concerne le couple." L'experte va même plus loin : "On pourrait même se dire qu'ils devraient tout payer parce qu'ils n'ont pas à subir les contraintes et les conséquences de la contraception. Car au-delà du prix des rendez-vous chez le gynéco et du coût de la contraception, on sait qu'il y a certaines méthodes qui peuvent avoir un impact sur la santé physique et mentale des femmes, ce qui implique davantage de suivi médical."
Un avis partagé par Héloïse Bolle, fondatrice d'Oseille et compagnie, conseillère en gestion de patrimoine et autrice des livres "Les bons comptes font les bons amants" (Cherche midi éditeur) et "Aux thunes citoyennes !", avec Insaff El Hassini (Alisio), qui estime que "toutes ces dépenses contraintes qui reviennent généralement aux femmes sont des dépenses qui pourraient, théoriquement, être partagées au sein du couple puisqu'elles impactent l'homme comme la femme. En particulier lorsqu'il y a une volonté de gérer les dépenses à 50/50. Malheureusement, c'est rare, et il n'est pas toujours évident de mettre le sujet sur la table. La logique voudrait pourtant que ces charges puissent être partagées puisque tout le monde en profite."
Faire moitié-moitié, un système équitable seulement à court terme
On le constate facilement : à salaire égal, le fait de faire 50-50 sur les dépenses liées au couple ne fonctionne que si tout est pris en compte. Dans le cas de Maxime et Julie, entre l'essence, la contraception et la charge esthétique, la jeune femme dépense chaque mois au moins 250 euros de plus que son partenaire dans des charges qui devraient être communes. Soit près de 8% de son salaire brut. "Dans ce genre de schéma où tout le monde a le même salaire, théoriquement, le fait de faire moitié-moitié sur les factures et le loyer est égalitaire. Mais dans les faits, ça ne l'est pas puisque les femmes portent la charge financière liée à l'esthétique et à la contraception en plus. Le résultat, c'est qu'il leur reste moins d'argent pour les dépenses plaisir et pour l'épargne", constate Héloïse Bolle. "Si elles veulent épargner le même montant que leur compagnon, elles pourront consacrer moins d’argent aux sorties, cadeaux, et autres dépenses plaisir. Mais le fait de ne pas épargner est toujours handicapant, notamment en cas de séparation. Et même dans les couples où tout va bien, il est important d'avoir une épargne de précaution." Même constat de la part de Lucile Quillet, qui tient à rappeler un fait : "Il faudrait que les hommes réalisent qu'ils n'auraient pas les carrières qu'ils ont sans le travail gratuit des femmes, parce qu'ils devraient gérer leur famille beaucoup plus. Le travail gratuit des femmes génère de la valeur pour les hommes, parce que ça leur génère du temps et des opportunités. Mais ce travail gratuit n'apporte pas de revenus, et même si monsieur dépense plus pour la famille, c'est une vision très court-termiste, car lui va pouvoir capitaliser sur son travail rémunéré, tandis qu'on ne capitalise pas sur le travail gratuit. Il aura des cotisations chômage, des cotisations retraite, ce qui ne sera pas le cas d'une femme qui diminue ses revenus et son activité au nom de la famille."
Pour cela, il est essentiel d'avoir une vision à long terme, quitte à envisager l'éventualité d'une rupture : "Aujourd'hui, on sait qu'un couple sur deux se sépare, et je pense que ça pourrait être vu comme un acte d'amour d'envisager cette possibilité, et de reconnaître le travail gratuit de l'autre, de ne pas profiter de la situation. Quand on est ensemble, on partage tout. Mais quand on se sépare, on ne partage pas les cotisations chômage et retraite, et on réalise donc que les ajustements faits par les femmes au nom de la famille, elles les payent. D'ailleurs, ce n'est pas qu'une question d'ordre privé : le fait de se reposer sur le travail gratuit des femmes est aussi une défaillance de l'état", conclut-elle en évoquant le manque de places en crèche, ou encore les faibles prestations compensatoires et pensions alimentaires versées aux mères en cas de séparation.
L'importance de l'épargne personnelle
Face à ces constatations, une question se pose : comment arriver à davantage d'égalité dans un système où les femmes sont toujours défavorisées, que ce soit en termes de salaires, de dépenses ou de travail gratuit pour leur famille ? Aux Etats-Unis, de plus en plus de femmes demandent désormais à leurs conjoints de les rémunérer pendant leur grossesse, de manière à compenser les sommes perdues lors de leur maternité, mais aussi les cotisations retraites dont elles ne pourront pas bénéficier. Ce qui devrait parler aux femmes françaises, particulièrement handicapées par la réforme des retraites que le gouvernement souhaite mettre en place. "Le fait d'être rémunéré par son conjoint quand on est enceinte ou qu'il y a un enfant à garder, je trouve ça assez logique car le temps bloqué par la famille est beaucoup plus conséquent pour les femmes que pour les hommes", explique Lucile Quillet. "On dit souvent que la grossesse n'est pas une maladie, mais c'est parfois très handicapant, et ça a un impact professionnel. Je trouve donc ça normal d'être solidaires économiquement au sein d'un couple pour compenser les pertes d'opportunités et les pertes de revenus que cela peut générer. Faire sa part en tant que parent, c'est normal, mais dès qu'il y a un surplus, c'est considéré comme un travail invisible, qui bénéficie à la personne qui ne le fait pas."
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Héloïse Bolle, elle, rappelle l'importance de l'épargne personnelle : "Il faut prendre conscience que, de toute façon, les femmes sont plus défavorisées financièrement que les hommes. Aussi, la parade en attendant que les inégalités se réduisent, est d'épargner plus, quitte à faire quelques sacrifices. Et ça, c'est plus facile pour les personnes aisées que pour les personnes qui ont des revenus plus faibles. A ce niveau-là, ce sont encore une fois les femmes les plus précaires qui se retrouvent malheureusement les plus pénalisées, et qui subissent l'inflation de plein fouet. La précaution à prendre est toujours d'épargner suffisamment pour se créer un vrai filet de sécurité financière. Cela demande des sacrifices sur le court terme, mais cela prépare une vraie liberté financière sur le long terme, et pour une femme, c'est très important."
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