TABOU - Elles ne veulent sortir qu'avec des hommes plus riches : "S'il n'a pas un bon salaire, c'est qu'il n'a pas d'ambition"
Le sujet de l'argent au sein du couple est toujours un grand tabou, en France comme ailleurs dans le monde. Le stéréotype sexiste veut que, dans les couples hétérosexuels, les hommes gagnent mieux leur vie que leur partenaire. Et bon nombre de femmes continuent à s'y conforter, pour différentes raisons.
Dans la dernière saison de l'émission "Love is Blind", sur Netflix, Stacy a surpris bon nombre d'internautes en expliquant ne pas vouloir réduire son train de vie pour un homme, et vouloir impérativement sortir avec quelqu'un qui avait un salaire suffisamment élevé pour pouvoir lui assurer un véritable confort financier. Une attitude qui lui a valu bon nombre de critiques et de moqueries. Pourtant, de nombreuses femmes possèdent la même attitude, et l'assument pleinement, quitte à être traitées de femmes vénales.
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"S'il n'a pas un bon salaire, c'est qu'il n'a pas d'ambition"
Originaire du Portugal, Sofia est femme de ménage à Genève. Et elle n'envisage en aucun cas de sortir avec un homme qui gagnerait moins bien sa vie qu'elle. "J'arrive à être très indépendante, et je veux un mec qui puisse me suivre dans le style de vie que j'ai", explique-t-elle. "Si un homme n'a pas un bon travail avec un bon salaire, ou qu'il n'a pas sa propre entreprise, c'est qu'il n'a pas d'ambition. A quoi ça sert d'être une femme indépendante si c'est pour se mettre en couple avec un homme qui n'apporte rien ?"
La trentenaire, qui a migré et "tout laissé" derrière elle pour améliorer sa vie l'affirme : "Je n'aime pas les gens qui ont très peu mais restent dans leur zone de confort." Si son futur partenaire venait à se retrouver au chômage, elle précise qu'elle serait évidemment là pour lui, mais à une condition : "Je ne me mets pas avec des feignants, donc il faut que la situation soit temporaire."
"A 30 ans, un mec qui vit dans un studio, c'est honteux"
A 27 ans, Héloïse, infirmière en région lyonnaise, ne se voit pas non plus sortir avec un homme qui gagnerait moins d'argent qu'elle. "Je fais un métier difficile et pas toujours bien payé, et je veux être avec quelqu'un qui puisse me chouchouter. Je ne veux pas avoir à faire constamment des heures supplémentaires pour m'assurer un certain train de vie, et c'est forcément beaucoup plus simple si je sors avec quelqu'un qui a un salaire confortable. S'il gagne plus que moi, c'est encore mieux, car je n'aurais pas à culpabiliser de le laisser payer au restaurant, ou de vouloir avoir de belles choses."
La jeune femme, qui fait principalement ses rencontres amoureuses via des applications de rencontre, l'affirme : "En ligne, c'est assez facile de voir qui gagne bien sa vie. Je ne pose pas directement la question du salaire, mais en me renseignant sur le métier de la personne, je peux me faire une idée de son train de vie. Pareil au moment de la rencontre. J'ai déjà refusé des rencards dans des endroits que je jugeais miteux, et refusé d'aller plus loin avec des mecs qui vivaient dans des studios. A 30 ans, c'est ok de ne pas être propriétaire, mais ne pas vivre dans au moins un deux pièces, c'est honteux, selon moi."
Un point de vue classiste que la jeune femme assume totalement. "Je suis un transfuge de classe. La première personne dans ma famille à faire des études, à avoir un job qui paye plus que le SMIC. J'estime que je mérite au moins quelqu'un qui soit aussi sorti de la pauvreté. Sinon, j'aurais l'impression de faire un retour en arrière."
"Les losers qui se sentent en danger parce qu'ils gagnent moins que moi, c'est fini"
L'argument avancé par Lucile pour attendre un certain train de vie de la part de ses partenaires est quelque peu différent. Par le passé, cette trentenaire qui travaille dans la finance s'est en effet vu reprocher son salaire élevé par ses partenaires. "Je ne compte plus le nombre de mecs, des losers, vraiment, qui se sentaient en danger avec une femme qui gagnait mieux sa vie qu'eux. Des hommes qui n'assumaient pas que je paye au resto, me reprochaient ma façon de dépenser mon argent... Alors maintenant, c'est fini."
La jeune femme n'a désormais plus peur de poser la question du salaire lorsqu'elle rencontre des hommes. "Je pense qu'il est grand temps de briser le tabou autour des finances. Et bizarrement, ça passe toujours mieux quand c'est une femme qui gagne bien sa vie qui pose la question : "Et toi, c'est quoi ton salaire brut annuel ?", que quand c'est une nana précaire", regrette-t-elle.
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Vouloir impérativement sortir avec un homme plus riche, est-ce une bonne idée ?
S'il existe de nombreux arguments pour lesquels des femmes voudraient sortir avec des hommes plus riches, Léa Lejeune, journaliste économique et cofondatrice de Plan Cash, la plateforme d'éducation féministe qui parle d'argent aux femmes, tire la sonnette d'alarme face à certains d'entre eux. "Pour moi, quand on souhaite une société plus féministe, et donc plus égalitariste, on ne souhaite pas se mettre dans une relation de dépendance à notre futur partenaire", affirme-t-elle. "Je fais la différence entre une femme qui veut un certain niveau de revenus, parce qu'elle ne veut pas quelqu'un qui galère financièrement, ou qui a du mal à rester stable dans un emploi. Je peux comprendre que quand on est dans un projet de fonder une famille ou d'avoir des enfants, deux salaires très faibles, ça reste un revenu très faible. Donc je peux comprendre qu'on veuille un certain niveau de revenus. Par contre, le fait de vouloir absolument quelqu'un qui gagne mieux sa vie que nous, pour moi, c'est du sexisme intériorisé."
Une perpétuation du stéréotype sexiste selon lequel l'homme devrait être le "pourvoyeur de ressources", qui nuit à la sécurité financière des femmes : "Cela les place dans un rapport de dépendance. C'est-à-dire qu'on va construire un budget de couple avec l'idée que monsieur gagne plus que madame, et donc que madame doit lui être redevable. Et c'est dans ces couples-là, surtout où il y a un grand écart de salaire, que les femmes vont être tentées de s'arrêter de travailler plus longtemps lors d'une grossesse, et où elles vont même potentiellement se dire qu'elles peuvent se permettre de gagner moins parce que l'homme pourvoyeur de ressources assure la majorité des revenus."
Léa Lejeune précise : "Ça va participer à donner l'impression que le travail de madame est moins important que le travail de monsieur. C'est-à-dire que quand elle aura des opportunités de promotion, c'est quelque chose dont on va discuter dans le couple, et c'est quelque chose dont elle pourra être découragée de le faire, même inconsciemment, parce qu'on ne peut pas se permettre d'avoir deux personnes qui ont des gros horaires de travail quand une personne avait majoritairement la charge de la maison et des enfants. Toutes les décisions d'évolution professionnelles et financières du couple vont se faire en fonction du salaire le plus élevé."
Des dangers sur le long terme
Au-delà du discours féministe, Léa Lejeune rappelle que le fait d'avoir un salaire inférieur à son partenaire peut entraîner des disparités au sein du couple, et ce, sur le long terme. À commencer par les allocations, par exemple. "Il y a plusieurs aides financières qui sont conjugalisées, et pour une femme qui serait précaire et qui toucherait la CAF, quand elle se met en concubinage avec un homme qui a un salaire plus élevé, elle perd ses aides, et va baisser de niveau de vie d'un point de vue indépendant."
Pour la cofondatrice de Plan Cash : "Tous ces choix de vie, que ce soit arrêter de travailler pour un enfant, refuser une promotion, changer de travail pour avoir plus de temps pour les enfants, et donc passer à côté d'un poste avec des horaires un peu plus chronophages : toutes ces décisions vont impacter les finances dans le couple, mais surtout les inégalités de finances dans le couple, et aussi les gains. Tout l'argent que madame va gagner en moins parce que monsieur le gagne en plus, même s'ils restent ensemble, ça va se ressentir à la retraite, parce qu'elle aura moins cotisé, pendant moins longtemps. Ce qui recrée une situation de dépendance, et en cas de décès de son conjoint, madame va perdre en pouvoir d'achat parce qu'elle aura passé toute sa vie à faire ses choix en fonction de monsieur. Pour moi, c'est un sexisme intériorisé qui est dangereux à plusieurs niveaux parce que certaines femmes ne se rendent pas compte des implications financières que ça peut avoir à l'échelle d'une vie."
Quid des femmes qui ont malgré tout un salaire confortable ? "C'est la même chose", affirme l'experte. "On n'y pense pas souvent, mais c'est sur les femmes cadres que la baisse de revenus et la baisse de promotion à partir du premier enfant, se ressent le plus. Une femme cadre qui va bien gagner sa vie, et qui veut absolument se mettre avec quelqu'un qui gagne beaucoup plus, non seulement c'est dommage parce que c'est sexiste, c'est stéréotypé et c'est faire fi de plein d'autres qualités outre qu'un gros salaire, mais en plus, elle se met dans une position où son boulot sera secondaire au couple, et que quand il y aura des choix ou des arbitrages à faire, ça sera en dépit de sa propre carrière."
En revanche, la journaliste économique estime que l'argument de fuir les hommes qui seraient impressionnés de façon négative par une femme qui gagne bien sa vie est nettement plus valable : "L'argument de ne pas vouloir d'un homme qui gagnerait moins parce que ces derniers se sentent mis en danger par une femme qui gagne mieux sa vie qu'eux, je le comprends. C'est un argument valide et féministe, parce qu'il se base sur une expérience qui n'est pas agréable, et qui remet en question les stéréotypes de genre dans le couple."
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