Journée internationale des droits des femmes - Ma mère, mon héroïne : "Si je me sens libre, c'est grâce à elle"
Parce que le féminisme n’est pas qu’une affaire de jeunes générations, parce que la transmission est essentielle, Yahoo a choisi de donner la parole à quatre jeunes femmes pour parler de leur maman, en ce 8 mars 2022, journée internationale des droits des femmes.
En 2006, à 39 ans, ma mère nous a annoncé, à mes soeurs et moi, qu'elle reprenait ses études. J'avais 12 ans, et avant ça, je n’avais jamais pris la mesure de sa frustration professionnelle. Quand elle a rencontré mon père au début des années 90, elle était à la fin de son cursus universitaire. Puis elle est devenue maman de trois filles et a choisi de ne pas mener à bien son mémoire de sociologie pour vaquer de petit boulot en petit boulot, avant de devenir aide-soignante. Ce jour de 2006, elle a pris la décision de répondre à ses envies. Les trois années suivantes ont été particulièrement difficiles pour elle. Face aux mots parfois désapprobateurs de celles et ceux qui la jugeaient ("Quoi ?! Tu reprends tes études ?? Et tes filles, tu vas les laisser à ton mari ?!"), jamais elle n’a courbé l’échine. Nous l'observions, amusées, quoiqu'un peu interloquées, faire ses devoirs dans un petit placard aménagé spécialement pour elle à la maison. Son diplôme en poche en 2009, elle a décidé quelques années plus tard d'aller plus loin pour obtenir un autre diplôme. Retour sur les bancs de l’école pour ma maman, pendant que je passais mon bac.
C'est grâce à elle que j'ai compris qu'en tant que femme je pourrais changer de voie, que rien n’est figé. Que je suis libre d'être qui je suis, et de faire ce que j'ai envie de réaliser. Son ambition et sa détermination s’ajoutent à ce désir féroce de ne dépendre de personne. "Tu peux devenir qui tu veux ma fille". Ses mots résonnent encore. Voilà pourquoi, en ce 8 mars 2022, journée de la lutte pour les droits des femmes, il me semblait important de donner la parole à celles qui, comme moi, ont eu la chance de tirer des leçons de vie du chemin de leur maman. Parce que le féminisme c’est aussi des gestes, des mots et des décisions qui nous marquent et nous construisent.
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"Ton corps t’appartient"
Maïlis, 24 ans : "Ma mère ne m’a jamais dit qu’elle était féministe, jusqu’à ce que je lui pose la question. Je me souviens de phrases qu’elle nous a toujours répétées quand nous étions petites avec ma sœur. Quand elles nous changeaient, elle nous expliquait ce qu’elle faisait, en nous disant : ‘Ton corps t’appartient, et il n’y a que toi qui dois décider si quelqu’un d’autre peut le toucher ou non.’ Ça nous a bien forgées. C’est quelque chose qui est très clair dans nos têtes aujourd’hui. Ça aurait pu nous mettre une petite pression dans le rapport aux autres, mais ce n’est pas du tout le cas.
Quand mon père et elle ont divorcé, sa manière de voir la vie a complètement changé. Elle nous a répété de toujours travailler, qu’il fallait que l'on soit indépendantes financièrement, que l'on ne dépende jamais d’un homme. Pour moi, c’est résolument féministe comme affirmation. L’histoire familiale nous a prouvé qu’elle avait raison. Comme dans n’importe quel divorce, ça a couté de l’argent, et on peut se retrouver plus facilement dans la précarité quand on est une femme, parce que l’on perd un pouvoir d’achat que l’on avait quand on était mariée. Tous ces chamboulements-là l’ont sans doute fait plus réfléchir, elle était beaucoup plus insistante sur ces sujets. Elle nous a appris que le mariage n’est absolument pas une obligation, et peut apporter beaucoup de complications aussi. La voir évoluer après le divorce, et moi évoluer aussi puisque j’étais ado, ça m’a beaucoup aidée et m’a fait comprendre des choses plus rapidement que d’autres enfants.
Je sais tout ce que dois à ma mère, elle m’a vraiment élevée. C’est mon héroïne, mais c’est aussi un modèle, à suivre, et à ne pas suivre. Quelqu’un avec qui je peux parler de femme à femme. On a des échanges hyper intéressants sur le féminisme. Elle me demande souvent de lui expliquer certains mouvements, et on échange aussi sur ce qu’elle a pu vivre, notamment lors de l’épidémie de Sida et tout le travail d’Act Up. On n’a pas vraiment de sujets tabous même si je ne parle pas forcément de ma sexualité et de ma vie amoureuse avec elle. Mais on parle sans problème de la sexualité en général et toutes les luttes féministes qui s’y raccrochent. C’est son vécu qui m’a permis de grandir. C’est une héroïne, mais une héroïne sensible, que j’ai vu pleurer. Et pour moi, c’est ça les super-héros, ceux qui n’ont pas peur de pleurer."
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"Le prince charmant n’existe pas"
Mélanie, 31 ans : "J’ai hérité du côté débrouillard et indépendant de ma mère. Dès que j’ai été en âge de regarder des Disney où des princes viennent sauver des princesses alors qu’elles dorment, elle me disait : 'Le prince charmant n’existe pas. Avant de te poser avec un garçon, apprend à bien le connaitre, passe du temps avec lui parce que tu peux avoir des mauvaises surprises si tu ne prends pas ce temps-là. Mais l’amour parfait, comme dans les films, ce n’est qu’une illusion, ce n’est pas ça la vraie vie." Ce qui est marrant, c’est qu’elle ne s’est pas rendu compte de l’impact que ça a eu sur moi. Quand je lui rappelle ces phrases qu’elle me disait, elle ne s’en souvient pas.
Avec elle, j’ai appris à faire attention aux mecs que je laisse entrer dans ma vie. L’éducation qu’elle m’a donnée m’a rendue très méfiante, mais pour moi ce n’est pas du tout un problème, au contraire ! Je suis très contente d’être méfiante, ça m’a évité de ne pas tomber dans plein de pièges, de m’éloigner de certaines personnes qui n’étaient pas bonnes pour moi. Avec ma mère, on n’a pas besoin de se parler, on a la même logique, les mêmes analyses, on se comprend. J’ai hérité de sa répartie sans qu’elle ne s’en rende compte. De son côté très curieux et fouineur, et plus encore de son côté jemenfoutiste. On se rejoint beaucoup là-dessus. On n’a pas besoin de se parler.
Elle ne se rend pas compte de ce qu’elle m’a transmis. Aujourd’hui, elle trouve que je veux toujours tout faire toute seule. Quand j’ai emménagé dans mon nouvel appart, elle a été surprise de savoir que j’avais branché ma machine à laver moi-même, comme elle l’a souvent fait. C’est marrant et étonnant, parce qu’au fond, elle ne réalise pas que ce coté très indépendant et débrouillard, je le tiens d’elle."
"Elle m’a encouragée à porter plainte"
Alice, 26 ans : "Je suis l’aînée d’une fratrie de trois enfants, mais aussi la seule fille. Depuis toute petite, j’ai toujours été libre. Je n’ai pas eu d’éducation vraiment genrée : je jouais avec les jouets que je voulais. À l’adolescence, et même avant, j’ai toujours eu des conversations sur l’appropriation de son corps avec ma mère. Il y a souvent des parents qui demandent à leurs enfants de ‘faire un bisou’ quand on rencontre des gens pour la première fois, ou même des membres de la famille. Ma mère m’a toujours dit que si je n’avais pas envie d’en faire, j’avais le droit. C’est aussi elle qui m’a encouragée à déposer une plainte pour agression sexuelle, il y a deux ans et demi. J’étais au cinéma et un gars m’a pelotée. Je ne savais pas quoi faire. Ma mère m’a dit : 'Il faut que tu portes plainte, pour que ça cesse. Même si on ne retrouve pas la personne, même si tu n’en ressens peut-être pas le besoin. Toi, tu as su t’exprimer, lui dire de partir. Mais il ne faut pas que ça se reproduise sur d’autres personnes, peut-être des femmes plus jeunes qui n’auraient pas le courage de dire stop.' J’ai suivi ses conseils.
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Je considère aussi qu’elle a fait beaucoup d’efforts et de sacrifices dans sa carrière et dans sa vie de femme pour mon père, qui était expatrié en Espagne. Elle était enseignante et a arrêté de travailler pour le suivre à Madrid. Ça a évidemment été le fruit de longs échanges entre eux, mais elle lui a dit que si elle le suivait, c’était à certaines conditions : elle a exigé de sa part qu’il n’y ait aucun reproche sur comment tenir une maison. En parallèle, elle voulait un bout de son salaire pour reprendre ses études et changer de direction de carrière. Pendant les 7 ans en Espagne, elle a suivi une formation. Elle a récemment démissionné de l’Éducation nationale, ce qui demande beaucoup de courage parce que ça lui garantissait un salaire, une sécurité d’emploi, et je sais que ça lui a fait très peur. Elle se demandait si, s’il arrivait un truc dans son couple, ça allait porter préjudice à sa carrière.
Et finalement, elle l’a fait. Elle m’a toujours dit qu’elle en était capable, qu’elle pourrait se retourner à n’importe quel moment. J’admire le fait qu’elle ait exigé, en suivant mon père, de continuer à avoir une vie sociale, professionnelle, que ce ne soit pas négociable. Ce n’était pas une femme au foyer en fait. C’était une femme en réorientation professionnelle. Récemment, elle m’a dit qu’elle avait toujours été féministe, mais que depuis que je le suis, que je l’exprime clairement, finalement… elle ne se trouve pas assez féministe. Elle voit que la nouvelle génération va plus loin."
"Un modèle de femme accomplie"
Léa, 26 ans : "Ma maman, et non pas 'ma mère' parce qu'elle déteste ces mots, a toujours été un modèle pour moi. Un modèle de maman, à la fois douce et toujours disponible, mais aussi intransigeante sur les règles et le respect. Elle nous a appris qu'être parent c'était n'avoir qu'une seule voix, et que pour ça, la communication et l'écoute de l'autre étaient indispensables. Elle nous a toujours montré que c'était aussi accepter de faire des erreurs et s'en excuser. Elle nous a permis de grandir dans un environnement protégé où nous savions que nos parents seraient là pour nous rattraper, peu importe les bêtises que nous ferions.
Directrice d'un établissement privé d'enseignement supérieur, elle est mon idéal de professionnalisme, parce qu'elle s'est battue contre le modèle qu'on lui imposait, et contre le sexisme qui existe dans son domaine. Elle a toujours mis un point d'honneur à écouter ses envies et à faire en sorte de s'épanouir, quitte à démissionner sans rien avoir après. Aujourd'hui elle dirige des équipes, toujours avec bienveillance et rigueur. Chacun peut venir la voir en lui disant 'je ne sais pas', ou 'j'ai besoin d'aide', et tous trouveront une oreille attentive et un temps dédié, même si elle n'a pas une minute pour elle...
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Ma maman est un modèle de femme accomplie, capable de se sortir seule de chaque situation et d'affronter toutes les difficultés. Et pourtant, elle a toujours su demander de l'aide aux personnes de confiance. Elle nous a toujours enseigné qu'il fallait essayer pour ne jamais avoir de regrets. Elle a su construire son couple, solide et fusionnel, mais n'a jamais négligé l'importance de rester un individu à part entière. Je suis surtout fière de ma maman, parce que malgré tout ce qu'elle a vécu, les obstacles, les désillusions, le mépris et les blessures, elle nous a appris à aimer, à faire confiance et à respecter. Elle nous a dit et répété que nous avions le droit d'exister pour ce que nous sommes, et que personne ne pouvait nous dicter notre conduite. Aujourd'hui, si je me sens libre et si je peux m'épanouir, c'est grâce à elle."
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