Journée mondiale Alzheimer - Ils sont en couple avec une personne malade : "C'est difficile de voir l'amour de sa vie disparaître petit à petit"
La maladie d'Alzheimer touche près de 900 000 personnes en France, selon l'Institut Pasteur. Cette maladie neurodégénérative est dite "d'évolution progressive" : elle affecte la mémoire et les fonctions cognitives, et n'a, à l'heure actuelle, pas de remède. Et pour les proches des personnes touchées, cette forme de démence peut être particulièrement douloureuse.
Il y a quelques années, dans un épisode de "Grey's Anatomy", le docteur Richard Webber voyait sa femme, atteinte de la maladie d'Alzheimer, tomber amoureuse d'un autre, après avoir oublié qu'ils étaient en couple à cause de la maladie. Une pirouette scénaristique ? "Pas forcément", affirme Fatoumata, aide-soignante en maison de retraite, qui travaille dans une unité Alzheimer. Depuis plus de dix ans, la quadragénaire officie au quotidien en compagnie de personnes qui souffrent de différents types de démence. Et, elle l'avoue : "Parfois, je ne sais pas si c'est plus difficile à vivre pour la personne qui en souffre, ou pour son entourage."
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Des conséquences méconnues de la maladie
La maladie d'Alzheimer, à laquelle est consacrée une journée mondiale chaque année, le 21 septembre, est "une maladie neurodégénérative d'évolution progressive. Elle affecte principalement la mémoire, mais également d'autres fonctions cognitives, liées à la connaissance et mettant en jeu la mémoire, le langage, le raisonnement, l'apprentissage", rappelle l'Institut Pasteur.
"Quand on parle d'Alzheimer, les gens pensent immédiatement que les personnes perdent un peu la boule, qu'elles oublient progressivement. C'est ce qu'on voit beaucoup dans les films, les séries. La réalité est un peu différente", estime Fatoumata, qui affirme : "À ce niveau, je pense que "Grey's Anatomy" a bien fait ses devoirs, car on voit vraiment toutes les facettes de la maladie : la colère des patients, qui sont perdus face à leur mémoire défaillante, les moments de lucidité, qui donnent souvent de faux espoirs d'amélioration, et les moments où ça empire."
Au cours de sa carrière, l'aide-soignante a vu des choses qui peuvent paraître étonnantes. "J'ai connu des personnes immigrées qui avaient oublié qu'elles avaient appris le français. Elles comprenaient, mais répondaient dans leur langue maternelle. D'autres ne se reconnaissaient plus dans le miroir. Cela peut créer de véritables angoisses, et même faire remonter du stress post-traumatique car elles revivent des événements passés parfois depuis des décennies."
"Cela a remis en question notre désir d'avoir des enfants"
On croit souvent à tort que la maladie d'Alzheimer ne concerne que les personnes âgées. Pourtant, il existe une forme précoce de la pathologie, rare, mais dont les premiers symptômes peuvent apparaître dès l'âge de 30 ans. Marco, lui, a 47 ans. Cela fait cinq ans qu'il a été diagnostiqué d'un Alzheimer précoce. "Pour l'instant, cela ne m'empêche pas de fonctionner, même de travailler, même si j'ai été obligé de mettre en place des mesures pour que la maladie n'impacte pas mon emploi. Je sais que dans quelques années, la situation sera différente, mais pour l'instant, travailler m'aide à aller de l'avant, à ne pas avoir l'impression d'être un poids pour ma famille."
Solveig, 41 ans, partage sa vie depuis 17 ans. Ils sont mariés, et envisageaient de fonder une famille lorsque le diagnostic est tombé. "Cela a remis en question notre désir d'avoir des enfants. Je sais que mon avenir va être celui d'une aidante, et ajouter un enfant en bas âge dans l'équation aurait été trop compliqué. Marco est l'amour de ma vie, et je veux pouvoir me consacrer à lui à 200%." Depuis cinq ans, le couple partage sa vie en deux. "D'un côté, on travaille à fond pour mettre un maximum d'argent de côté pour l'avenir", explique le quadragénaire. "Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir travailler, et selon mon état, Solveig va peut-être devoir réduire ses propres horaires. Et les structures qui prennent en charge les personnes qui souffrent d'Alzheimer peuvent coûter très cher, alors on anticipe." De l'autre, ils voyagent. "On se crée des souvenirs, on profite du temps ensemble, on vit des expériences. Des choses auxquelles je pourrais me raccrocher dans les moments difficiles", souffle Solveig, la gorge nouée.
À l'heure actuelle, la maladie de Marco n'a pas encore trop progressé. "Il a des pertes de mémoire régulières, mais il est encore lui-même. C'est juste extrêmement frustrant pour lui. On a tous les deux conscience que ça va empirer, et on se prépare pour ça. J'espère juste être assez forte pour le soutenir, même quand il ne sera plus tout à fait là."
"Les bons jours, ma femme me reconnaît. Les mauvais..."
À 78 ans, Jeanne souffre quant à elle d'une maladie d'Alzheimer bien plus avancée, qui l'a empêchée de répondre à nos questions. "À ce stade, elle n'a même plus conscience qu'elle perd la mémoire", affirme Richard, son mari depuis 55 ans. L'homme, âgé de 80 ans, ne vit plus avec son épouse, désormais installée dans une maison de retraite : "Mon âge ne me permet pas de pouvoir m'occuper d'elle à plein temps, et avant que sa maladie ne soit trop avancée, nous nous étions mis d'accord pour ne pas demander d'aide à nos enfants", explique l'octogénaire.
Lui, continue à rendre visite à la femme de sa vie tous les jours, ou presque. "J'ai la chance de vivre à quelques centaines de mètres de la maison de retraite, alors je vais passer l'après-midi avec elle tous les jours, même si elle n'en a pas toujours conscience." En effet, il le confie avec tristesse : "Les bons jours, ma femme me reconnaît, même si elle trouve que j'ai vieilli. Les mauvais jours, elle me prend pour un vieux monsieur très poli, et pense que c'est elle qui me tient compagnie. Elle n'a pas conscience de son âge, ni de sa maladie. Je ne la reprends pas."
Jeanne a expérimenté les premiers symptômes d'Alzheimer à la fin de la soixantaine, avec des pertes de mémoire de plus en plus récurrentes. "Elle travaillait dans le domaine médical, c'est elle qui a vu les signes en premier, ironiquement", confie son mari. "Cela nous a permis de réfléchir aux dispositions à prendre pendant qu'elle était encore lucide. Vendre la maison, louer un appartement, se mettre d'accord sur la façon dont elle serait accompagnée, aussi bien par moi que par les équipes médicales et par nos enfants." Une approche très pragmatique qui a rassuré Richard : "Grand benêt que je suis, je n'avais pas pensé à tout ça. Elle a toujours été mon roc, et l'a prouvé une fois de plus en prenant les devants. Aujourd'hui, c'est à mon tour de l'accompagner du mieux que je peux, au moins en lui tenant compagnie, en la rassurant." "C'est difficile de voir l'amour de sa vie disparaître petit à petit", souffle-t-il avec émotion. "Mais je suis un vieux monsieur qui profite de sa femme jusqu'aux derniers jours, en ayant la certitude que je la retrouverai dans une autre vie."
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