Un couple sur deux rêve de faire chambre à part : "Avant, je pleurais d'angoisse à cause de la fatigue"
Les couples qui font chambre à part ont longtemps été la cible de moqueries, de nombreuses personnes estimant que cela signifiait qu'il n'y avait plus d'amour dans leur relation. Pourtant, pour bien des amoureux, avoir chacun son lit dans des pièces séparées peut être salvateur. Et ce pour différentes raisons.
La chambre parentale, le lit conjugal, la couette commune... Le fait de dormir à deux quand on est en couple est largement considéré comme la norme, même si certaines religions interdisent aux partenaires de partager un lit commun avant le mariage. Pourtant, c'est aussi à cause (ou grâce) à la religion que le fait de dormir ensemble est rentré dans la norme. En effet, la conjugalité telle qu'est est connue aujourd'hui par les Français découle en grande partie de la morale catholique.
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Dormir à deux, à douze ou en solo
Au Moyen-Âge, les familles dormaient tous ensemble dans un grand lit, que ce soit pour des questions d'économies, pour préserver la chaleur ou tout simplement par habitude et par tradition. Mais, en 585, le second concile de Mâcon détermine que les couples mariés dans le respect de la foi catholique doivent dormir ensemble, sans personne d'autre, ainsi que l'expliquait Pascal Dibie, ethnologue, professeur à Paris-VII, et auteur de "L'Ethnologie de la chambre à coucher" dans son ouvrage. "Ce lit unique doit favoriser le frôlement des corps pendant le sommeil, et encourager l'acte de reproduction." A la différence, pour les protestants, dormir séparé est un choix amoureux, qui permet à chaque individu de rester "soi-même". Bref, toutes les religions ne sont pas d'accord sur le fait de partager un lit, même si en France, cela reste le domaine qui prédomine.
Pourtant, les couples qui font chambre à part n'ont jamais fait figure d'exception. La pratique est vieille comme le monde, même si elle a longtemps été frappée par le sceau du tabou. Et aujourd'hui, de plus en plus de personnes l'assument. La preuve avec une étude menée par OnePoll pour Ozy en 2018, qui affirmait que 46% des Américains rêvaient de pouvoir faire chambre à part, au moins de temps en temps. Les Français, eux, vont même plus loin, puisque la proportion de couples vivant ensemble est en chute libre selon l'Insee : en 2019, en France, 31 millions de personnes vivaient en couple dans le même logement, soit 59 % de la population âgée de 18 ans ou plus. Ce chiffre était de 62 % en 1999, 64 % en 1990 et de 66 % entre 1962 et 1982. D'ailleurs, les "célicouples" qui ont décidé de prendre des logements séparés sont de plus en plus nombreux.
"Si c'est pour mal dormir, pourquoi se forcer à dormir à deux ?"
Pierre et Justine ont respectivement 24 et 26 ans. Ensemble depuis 4 ans, ils avaient une exigence lorsqu'ils ont emménagé dans le même appartement : avoir au moins deux chambres. "On nous demandait tout le temps si c'était parce qu'on voulait agrandir notre famille", rigole la jeune femme. "La vérité, c'est qu'on ne supporte pas de dormir ensemble. Et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir essayé !" Pendant les deux premières années de leur relation, alors que chacun vivait séparément, les deux amoureux ont passé des nuits blanches sans se le dire, à regarder le plafond. "Je trouvais son matelas trop dur, il ne supportait pas la chaleur dégagée par mon corps. Le jour où on a réalisé qu'on ne dormait jamais bien à deux, on a décidé d'arrêter de se forcer." "On a commencé à rentrer chez nous après chaque soirée passée ensemble, mais c'était chiant", confirme le jeune homme. "Je n'en pouvais plus de traverser Lyon à 3h du matin."
Début 2020, le couple emménage ensemble. "C'était génial, parce qu'on a pu chacun aménager notre chambre à notre goût, avoir notre style de lit, régler notre thermostat, choisir nos draps... Pas de pression pour trouver un compromis", se réjouit Pierre. "On a surtout été bien inspirés, parce que quelques semaines plus tard, on se retrouvait confinés. Avoir chacun notre chambre nous a aussi permis d'avoir chacun notre espace de travail", confirme Justine. Et l'intimité, dans tout ça ? "Les gens qui pensent qu'il faut obligatoirement dormir ensemble pour coucher ensemble n'ont rien compris. Quand on a envie de quelqu'un, on trouvera toujours une façon de se retrouver. Et là, au lieu de traverser la ville, j'ai juste à traverser le salon", affirme la jeune femme. "Je trouve même qu'il y a un côté excitant à l'idée d'aller retrouver mon amant dans son lit, puis de regagner le mien. Le sexe quand on est bien reposé, c'est bien meilleur que quand on est fatigué. Alors, si c'est pour mal dormir, pourquoi se forcer à dormir à deux ?"
"Cela faisait 10 ans qu'il dormait régulièrement sur le canapé, il fallait trouver une solution"
Si Pierre et Justine ont pris des chambres séparées pour des questions de confort, Romain et Jules l'ont fait pour des raisons de santé, physique et mentale. "Avant, je pleurais d'angoisse, j'étais chroniquement épuisé et au bout du rouleau 24h sur 24", confie le premier sans complexe. Les deux hommes, âgés de 43 ans, sont ensemble depuis plus de 15 ans. Mais Romain, qui souffre de maladies chroniques, a toujours eu beaucoup de mal à avoir un sommeil réparateur. "J'ai toujours eu de gros problèmes pour dormir : endormissement compliqué, mais aussi réveil au moindre bruit, mouvement des draps, ronflements. Et avec mon homme, on n'a pas du tout les mêmes habitudes. Moi, je suis couche-tôt, pas lui. Par contre, le matin, il va mettre son réveil tôt et snoozer 1000 fois avant de se lever, ce qui va me réveiller."
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Résultat, Jules a régulièrement fait ses nuits dans le salon : "Il dormait sur le canapé quand je n'en pouvais plus." Les deux hommes ont donc réalisé qu'il fallait changer les choses : "On s'est dit qu'on allait rendre ça un peu plus permanent, déjà pour qu'il ait plus de confort, et aussi parce qu'au final, je crois que le sommeil c'est tellement important pour moi que ça doit passer avant toute autre considération." Et depuis qu'ils font chambre à part, les choses se sont arrangées. "Alors oui pour les câlins et le sexe, c'est moins spontané, en mode on est ensemble sous la couette et hop. Mais ça n'empêche rien", précise Romain, qui refuse de voir les chambres séparées comme la fin de l'intimité d'un couple. "Après 15 ans de vie commune, l'intimité, ça se travaille, chambre à part ou pas. Et avoir du temps pour soi, son espace, son repos, sa bulle, ça donne paradoxalement envie de connecter avec l'autre."
"Avec nos horaires décalés, c'était la seule solution"
Il n'y a ni de bonne, ni de mauvaise raison de faire chambre à part. A chaque couple la mission de trouver ce qui fonctionne pour lui, même si l'on retrouve un schéma de trouble du sommeil chez les personnes qui prennent cette décision. Insomnies, sommeil léger, crainte des ronflements de l'autre... Mais parfois, c'est tout simplement une question de planning. C'est le cas pour Margaux et Rémi, un couple de trentenaires bien occupés. "Ma femme est avocate, et moi je suis chirurgien. Elle a besoin d'être en forme la journée, et moi, je peux être appelé en urgence à l'hôpital à tout moment, et je fais souvent des gardes de nuit. Dès l'époque où on était étudiants, on a vite compris que partager un lit, c'était mettre en péril nos parcours respectifs, qu'on ne pouvait pas se permettre de réveiller l'autre."
Pour le médecin, c'est une évidence : "Avec nos horaires décalés, c'était la seule solution. On aurait pu choisir de ne pas vivre ensemble, mais ça, c'était hors de question. On aime pouvoir profiter de nos moments à deux, tomber de sommeil dans le canapé, aller dormir chacun de son côté, et espérer se retrouver pour le petit-déjeuner." Par amour et par respect pour leurs carrières respectives, le couple a trouvé un système. "Si la porte de la chambre de l'autre est ouverte, ça veut dire qu'on peut aller dormir avec lui. Si elle est fermée, ça veut dire qu'on a besoin de notre sommeil. La plupart du temps, on dort chacun de notre côté, mais on adore quand même se retrouver. Ça rend les nuits ensemble d'autant plus précieuses, puisqu'elles sont si rares." Quant à la question du manque d'intimité, elle ne se pose pas vraiment, puisque les amoureux attendent un bébé. "Quand le petit bout sera arrivé, on réfléchira peut-être à un autre système. Mais pendant cette grossesse plus que jamais, ma douce a besoin de son sommeil, et il est hors de question que mes horaires en vrac ne lui nuisent." Comme quoi, trouver un équilibre dans son couple, sans partager le même lit la nuit, c'est loin d'être impossible.
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