"Je suis donc chez moi avec mes enfants, leur papa... Et loin de mes deux partenaires" : les polyamoureux à l'ère du confinement
Depuis maintenant quatre semaines, les Français et Françaises sont confinés. Chez les célibataires, on se demande comment continuer à draguer, tandis que les personnes en couple espèrent arriver à le rester. D’autres voient carrément leur modèle amoureux être mis à l’épreuve par les injonctions gouvernementales. C’est le cas des personnes polyamoureuses.
Claire est séparée du père de ses enfants depuis un an, mais ils vivent encore sous le même toit. Elle vit donc comme tant d’autres l’expérience du confinement avec un ex-partenaire. Chacun a son espace, mais le domicile familial n’est pas un lieu où ils ont la possibilité d’inviter des partenaires sexuels.
Polyamoureuse et loin de ses deux amants
Claire s’est découverte polyamoureuse il y a seulement quelques mois. “Je suis avec quelqu'un depuis à peu près un an dans une relation voulue comme libre, mais en pratique je suis restée exclusive jusqu'en février. C’est là que j'ai rencontré quelqu'un d'autre pour qui j'ai tout de suite eu des sentiments très forts. Me voilà donc à vivre pour la première fois quelque chose que je connaissais en théorie mais que je n'avais jamais vécu.”
Maintenant je suis donc chez moi avec mes enfants, leur papa... Et loin de mes deux partenaires.”
C’est là que le confinement a démarré : “C’est tombé pile au moment où des discussions avec mon premier amoureux s'imposent. Je voulais pouvoir lui expliquer de vive voix qu'il y avait quelqu'un d'autre, et qu'en dehors du travail on n'a pas pu se voir pendant plusieurs semaines avant le confinement. Maintenant je suis donc chez moi avec mes enfants, leur papa... Et loin de mes deux partenaires.”
Claire n’a pas eu l’occasion de choisir un autre mode de confinement puisqu’il lui a été imposé par la force des choses : “Je n'ai pas eu à choisir entre les deux puisque mon co-parent travaille et que je dois m'occuper des enfants. Je ne me serais pas vue confinée loin d'eux pour une durée indéterminée”.
La jeune femme a finalement trouvé le temps et le courage pour discuter de sa situation amoureuse avec celui qui n’était pas encore au courant : “Il n'était pas question pour moi de rester sans le lui dire tout ce temps. Avec lui on essaie de s'appeler régulièrement, pour discuter, pour rompre sa solitude. Par écrit on essaie de redéfinir nos envies, nos limites”.
"Avec l'un c'est le besoin de se retrouver et se redécouvrir à travers le prisme d'une seconde relation. Avec l'autre on se projette plus sur du concret et des envies de weekends en amoureux.”
Et avec l'autre ? “On est en permanence sur WhatsApp… on échange beaucoup, et on essaie de faire de ce temps de confinement une occasion de continuer à se découvrir autrement. Mais là le manque est terrible… On s'appelle moins mais on se sert beaucoup des messages vocaux et on s'envoie des photos, pour être un peu ensemble. Bien sûr je pense à l'après. Je sais qu'eux aussi. On en discute. Avec l'un c'est le besoin de se retrouver et se redécouvrir à travers le prisme d'une seconde relation. Avec l'autre on se projette plus sur du concret et des envies de weekends en amoureux.”
Les sextos, ça aide
Laura a également choisi de continuer à vivre ses histoires de façon virtuelle : “Les sextos, les apéros par Skype et les datings pour faire les courses ensemble au supermarché sauvent la vie”. L’occasion de constater que le confinement pouvait avoir du bon pour entretenir la flamme : “La frustration exacerbe totalement le désir. Le fait d'être dans un sentiment d'interdiction totale de se voir créé une tension érotique décuplée et des attentes très fortes sur le déconfinement”.
Laura précise tout de même que sa relation polyamoureuse est récente et bénéficie de l’énergie sexuelle des débuts. Son confinement, elle le partage avec son compagnon initial : “Avec lui, ça va, rien à signaler, la relation se passe très bien. Il ne vit pas mal le confinement, et n’a pas de problème avec la frustration que je ressens vis à vis de l'autre personne.”
“Je ressens avec cet amour confiné ce que j'ai tenté de faire disparaître de ma vie : l'obligation de choisir”.
“Quinze jours l'un, quinze jours l'autre”
France a choisi l’alternance. En couple depuis 2 ans et demi avec deux hommes, elle me raconte que le confinement “n’est pas simple du point de vue des émotions” : “Je ressens avec cet amour confiné ce que j'ai tenté de faire disparaître de ma vie : l'obligation de choisir”.
France vit depuis 5 ans avec son compagnon et celui qu’elle appelle son petit copain, avec qui elle est en couple depuis deux ans et demi, vit seul à 5 kilomètres en voiture : “J’ai donc l'avantage de pouvoir alterner mon confinement. Quinze jours l'un, quinze jours l'autre. Ce qui fut un moyen plutôt pragmatique de se prémunir et de confirmer le temps d'incubation. Nous avons donc constaté très vite la chance que nous avions de ne pas avoir été infecté, et mon soulagement de n'avoir contaminé ni l'un ni l'autre avec la décision que j'ai prise de ne pas me confiner entièrement de l'un ou de l’autre.”
Certains polyamoureux et polyamoureuses vont passer leur confinement en solo. C’est le cas de Benoît, en couple depuis quatre ans avec une femme mariée, celle-ci ayant fait le choix de rester avec ses enfants et leur père pendant la durée du confinement : “En un sens j'ai l'habitude d'être seul : quand ma compagne n'est pas chez nous (et qu'elle est avec son mari et leurs enfants, donc pas seule), je suis seul à la maison. Habituellement ça représente environ 50% du temps. Là c'est tout le temps, et c'est la première fois depuis des années qu'on est séparés si longtemps.”
Pour le reste, Benoît pense gérer comme tout le monde : “Je regarde des films, des séries, je lis des livres, je fais des apéros en visio avec mes potes, je joue aux jeux vidéo et je bosse aussi car je suis en télétravail… Ma seule contrainte supplémentaire c'est de ne pas être confiné avec la personne que j'aime et qui m'aime – j'imagine ne pas être le seul dans ce cas ! C'est un peu comme si à la base on vivait une histoire à distance, ce qui est le cas vu qu'elle n'habite pas la même ville que moi 50% du temps, sauf qu'elle de son côté est quand même confinée avec des personnes qu'elle aime, il ne manque que moi”.
"Je m'entends bien avec son mari, on a déjà passé des week-ends ensemble et tout, mais je ne sais pas si être confinés tous ensemble aurait été une bonne idée."
Sa compagne lui manque mais il n’est pas déçu : “Évidemment je préfèrerais être avec elle, mais à mon sens c'est normal qu'elle soit confinée avec ses enfants et pas ici, à des centaines de kilomètres d'eux. J'aurais peut-être pu les rejoindre, je m'entends bien avec son mari, on a déjà passé des week-ends ensemble et tout, mais je ne sais pas si être confinés tous ensemble aurait été une bonne idée”.
Le trentenaire reste pragmatique : “Ça me semble plus logique de tenter ce confinement comme une extension d'une situation connue (vivre à distance, elle là-bas et moi ici) que d'une situation inconnue (vivre des semaines tous ensemble). Je préfèrerais être avec elle mais je pense qu'on a fait le bon choix, même si ce n'est pas un choix très agréable.”
Être ensemble malgré la distance
Comme pour la plupart des polyamoureux confinés, leur histoire s’écrit désormais virtuellement : “On s'écrit toute la journée… mais ça n'est pas bien différent d'avant ! On s'est fait quelques conversations en visio pour au moins se "voir" un peu, dont un dîner en tête à tête. C'était très drôle : j'avais l'impression d'être en date, je me suis préparé avant, cheveux propres, t-shirt propre, visage hydraté… sauf que je suis resté en jogging ! J'ai abandonné l'idée de porter autre chose chez moi pendant ce confinement.”
Les rendez-vous télévisés habituels n’ont pas disparu pour autant. “On se commente Top Chef en direct par SMS, c'est très important : on regarde ensemble, même si on n'est pas physiquement ensemble. C'est l'aspect crucial je pense : être ensemble malgré la distance.”
Le virtuel c’est aussi le choix, contraint, fait par Ana. Confinée avec un homme qu’elle a épousé il y a 20 ans, elle est aussi en couple depuis 5 ans avec un homme qui habite à 50 kilomètres de chez elle. Habituellement, ils se voient une fois par semaine et s’offrent quelques week-ends de temps en temps : “Quand nous avons compris que le confinement allait être mis en place, nous nous sommes donné rendez-vous une dernière fois dans un village à mi-chemin juste pour pouvoir nous serrer dans les bras. Nous savions que ça allait être dur et qu'il était évident dès le départ que ça n'allait pas être un confinement de 15 jours, mais plutôt de 6 semaines minimum.”
Une sexualité en pause pour ne pas se torturer
Ana avoue avoir eu peur pendant la première semaine. “Je craignais qu'une telle séparation forcée nuise à notre relation, qu'on ne sache plus se retrouver à la fin, que l'on en souffre trop aussi et que ça nous abîme. Cette semaine-là, il y a eu pas mal d'articles sur l'impact du confinement sur les relations cette semaine-là, mais ils sont plus anxiogènes qu'autre chose donc je ne les lis surtout pas. Plusieurs sujets ont été lancés sur le groupe polyamour sur Facebook aussi, qui sont surtout destinés à se soutenir dans la galère.”
Ces quatre dernières semaines, Ana et son deuxième compagnon ont gardé le contact de façon quotidienne : “Nous avons fait beaucoup de visios cette première semaine, plus que d'habitude. Je crois que nous étions un peu déboussolés et angoissés l'un comme l'autre. Puis les choses se sont mises en place et chacun s'occupe de son côté. Un semblant de normalité dans l'anormalité. Nous faisons toujours plusieurs visios par jour, mais nous avons aussi trouvé d'autres moyens de nous montrer réciproquement que nous sommes toujours bien là. Il m'envoie des vidéos de lui à la guitare et au chant et je balaie nos archives de photos pour en imprimer quelques-unes, écrire un poème ou un texte pour l'accompagner et je l'envoie par la poste, à l'ancienne.”
"Nous avons mis notre sexualité "concrète" en pause pour que le manque du corps de l'autre ne nous torture pas trop.”
Et tant pis s’il y a des aléas, comme ceux liés aux délais de distribution du courrier. “Les levées et la distribution étant perturbées en ce moment, impossible de savoir quand le courrier va arriver chez lui. Mais je garde le rythme. Nous évitons de compter les jours. Nous nous sommes recentrés sur le moment présent. Point de retour à l'imagination, nous avons mis notre sexualité "concrète" en pause pour que le manque du corps de l'autre ne nous torture pas trop.”
Pour Ana, mieux vaut ne pas commencer à se projeter dans des retrouvailles. “Nous ne savons même pas quand elles auront lieu… Mais les envies sont déjà là : se toucher et se sentir, faire une sieste ensemble et surtout aller buller dans l'herbe au soleil. Le reste suivra naturellement si tout va bien.”
Un maître-mot : la communication
S’il se considère comme polyamoureux, Antoine n’a actuellement pas de relation en dehors de son épouse : “Je suis un homme marié et nous sommes un couple libre. Nous aimons les clubs et les rencontres. Le confinement, malheureusement, nous coupe de beaucoup de choses, du moins avec les relations extérieures. Par contre ma femme et moi sommes encore plus proches. Nous découvrons des choses sur nous, nos désirs cachés. Nous faisons toujours autant l’amour, et c’est un bonheur à chaque fois. Nous gardons le contact avec les autres gens via les sites, ou directement par SMS. C’est un autre échange qui s’est mis en place, amical et rassurant.”
Toutes et tous cherchent tant bien que mal à composer avec la contrainte et à préserver leurs relations le temps de l’épreuve. Dans ces moments-là, une règle cruciale du polyamour est à rappeler : la communication est primordiale. Pour éviter les malaises, les problèmes larvés, les crises qui deviendront colère et le ressentiment… on communique. Partager ses états d’âme, ses doutes, son mal-être comme ses petites joies et son quotidien nourriront aussi le polycule pour l’avenir. Dans le futur, on retrouvera les peaux… en attendant, profitons des mots.
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