"Simple comme Sylvain" : le nouveau film de Monia Chokri déconstruit plusieurs mythes sur l’amour
Monia Chokri est de retour avec une comédie romantique, "Simple comme Sylvain", en salles ce 8 novembre. Salué à Cannes, le troisième long-métrage de la réalisatrice sort des schémas classiques de la relation passionnelle toxique dont le cinéma français abonde. Interview.
Sophia, une quadragénaire interprétée par Magali Lépine-Blondeau, est professeure de philosophie à l’université du troisième âge. Sa vie est cousue de fil blanc : un compagnon, Xavier (Francis-William Rhéaume) également professeur à l’université, un logement cossu, des amis intellos, et bientôt, un chalet à la campagne… Pour les rénovations de leur chalet, Sophia entre en contact avec Sylvain, un charpentier dans les Laurentides au Québec. Cette rencontre déclenche en elle un désir presque animal, donnant lieu à une passion dévorante pour l’entrepreneur sexy qui coche toutes les cases de l’image de l'homme viril tant chérie par la société.
Sylvain, interprété par Pierre-Yves Cardinal, adore Michel Sardou, sort au pub avec ses potes et s’exprime dans un français sommaire. Des caractéristiques qui ne paraissent a priori pas limitantes pour la protagoniste, qui se nourrit de philosophie et baigne dans un milieu intellectuel.
De nombreuses critiques du dernier film de Monia Chokri s'attardent sur les divergences socioculturelles de cette romance. Au-delà des milieux opposés des protagonistes, le long-métrage de la réalisatrice québécoise revient sur les questionnements d'une femme à l'aube de ses 40 ans, emprisonnée dans des constructions sociétales et qui, par le truchement de son amant, se défait des injonctions qui pèsent sur sa vie.
"Je n'ai pas envie de me dire qu'il faut que le ciment, ça soit le sexe'"
De cette passion dévorante, naissent des scènes de sexe fougueuses et crues qui peuvent donner le sentiment qu’elles ont éclos si fortement après le vide. Une lecture réfutée par Magali Lépine-Blondeau : "Comme si c’était sous-entendu qu’évidemment, elle va laisser son compagnon de longue date parce qu’elle s’ennuie à mourir dans ce couple. Ce qui n’est pas vrai." Dans "Simple comme Sylvain", rien ne laisse entrevoir que la protagoniste s’ennuie avec Xavier, son conjoint. De nombreuses scènes témoignent de leur complicité intellectuelle et de la bienveillance qui unissent les deux personnages. "Ce n’est jamais dit que c’est un couple qui n’a plus de sexualité. Elle est peut-être moins flamboyante que celle qu’elle va vivre avec Sylvain mais, en fait, c’est un couple normal. J’essaie juste de dépeindre un couple normal." Une façon de contourner l’idée de l’omnipotence du sexe dans le rapport amoureux. Car, comme le souligne la réalisatrice, il n’y a pas de formule magique entre sexe et complicité. "Moi je n'ai pas envie de me dire, si je suis avec quelqu’un, qu’il faut que le ciment soit le sexe, parce que si on ne baise plus, on ne s’aime plus. Si demain j’ai un cancer, j’aimerais que, même si on ne baise plus, la personne que j’aime m’accompagne parce qu’on s’aime tout autant."
Dans "Simple comme Sylvain", la volonté de la réalisatrice est d'éviter de tomber dans le piège de la dichotomie "sexe VS complicité" en s’éloignant ainsi du schéma classique de la tromperie, qui nait de l'ennui ou de la frustration. Si Sylvain ranime quelque chose en Sophia, c'est plutôt la pureté de l'amour, un concept fantasmé par Sophia, en témoignent les nombreuses scènes dans lesquelles on la voit s'épancher sur les théories philosophiques de Spinoza et consorts.
Vidéo. "Ça fait partie du système du couple de penser que l’autre nous appartient, nous doit fidélité, loyauté du corps et de l’esprit"
Le système mortifère du couple incluant la fidélité
Ce besoin qu'elle éprouve de faire renaître le sentiment amoureux, est une conséquence, selon les dires de Monia Chokri, du schéma classique et parfois mortifère du couple. "Elle se dit : 'Je suis conventionnelle. Je suis prise dans un cadre avec un règlement "enfant-maison-fidélité"' et Sylvain ranime en elle le sentiment de la pureté du vécu amoureux, un peu comme quand on connait et vit son premier amour."
Sophia entretient une relation torride avec Sylvain avant de prendre la décision de quitter Xavier. Dans les comédies romantiques traditionnelles, l’adultère est tantôt synonyme de parjure, tantôt un sujet soumis à moult interrogations avec le besoin de devoir le justifier. Monia Chokri, elle, survole le sujet en n'y prêtant finalement aucun intérêt et surtout, en prenant le soir de n'y soumettre aucune justification.
"Ce n’est pas un film sur l’adultère. Ça fait partie du système du couple, du système judéo-chrétien de parler de la fidélité, l’autre nous appartient, l’autre nous doit fidélité, loyauté du corps et de l’esprit. Et c’est justement une remise en question de ce modèle. Parce que justement, s’il n’y avait pas cette notion de fidélité, peut-être que Sophia serait restée avec Xavier, peut-être qu’elle aurait côtoyé ces deux relations."
Cette banalisation de l’adultère féminin se reflète dans les remarques de Françoise, l'amie de Sophia interprétée par Monia Chokri elle-même, qui en apprenant sa relation avec un autre homme, se contente uniquement de lui faire part de son envie d’avoir des relations intimes avec son professeur de sport. Même Xavier, le compagnon trompé n’émet aucun jugement sur la rencontre : "Quand elle en parle à son partenaire de vie, il souffre de la cassure du lien mais ne cherche pas à la culpabiliser et évite tous les lieux communs autour de l’adultère" souligne Magali Lépine-Blondeau.
Vidéo. "On a été biberonnées à l'idée qu'il fallait aimer les hommes indisponibles"
"On a été biberonnées à l'idée qu'il fallait aimer les hommes indisponibles"
Autre idée battue en brèche dans le troisième long-métrage de Monia Chokri : la fétichisation de l'homme émotionnellement indisponible. Ce concept toxique est l'apanage des comédies romantiques classiques.
Et lorsque la maman de Sophia, qui se situe clairement dans le camp de Xavier, lui assène : "Vaut toujours mieux être avec un homme qui nous aime plus qu’on ne l’aime", là encore, on distingue une tentative de déconstruire le concept toxique "des hommes indisponibles émotionnellement". "On a été biberonnées à l’idée qu’il fallait aimer des hommes indisponibles. C’est une manière de déconstruire cette idée qu’il faut d’abord souffrir et avoir la validation de quelqu’un qui ne nous la donne pas ou qui nous la donne au compte-gouttes", souligne Monia Chokri. Mais une fois encore, l’évidence ne se détecte pas aussi facilement. "Simple comme Sylvain" se joue des codes avec la figure de Sylvain, le charpentier rustre aux gros bras. Le jeune homme veut poser les fondations durables d’une relation avec sa compagne. Après les crises sur fond d'incompréhensions, les déclarations sont enflammées et s'accompagnent de promesses d'un amour éternel.
Alors qu’est ce qui pêche dans cette relation ? Est-ce vraiment l’absence de vocabulaire de Sylvain, maintes fois soulignée dans le film ? La professeure de philosophie est prise en étau entre deux relations qui ne la satisfont pas complètement. Réduite au cérébral d’un côté, reléguée à son "corps" de l’autre, l'universitaire se sent incomplète et nourrit même une jalousie envers les autres femmes, un sentiment qu'elle semblait méconnaître alors. "Sophia, ce qu’elle a de plus unique à offrir, c’est son intellect, mais comme il n’est pas très sollicité par Sylvain, elle commence à se mettre une pression sur son corps, sur le fait d’être désirable, ce qu’elle n’avait jamais ressenti avant" souligne Magali Lépine-Blondeau.
Au fil de ses questionnements, Sophia trouve sa place au sein d'une société qui attend d'elle une série de choses bien précises.
Un film à découvrir en salles à partir du 8 novembre.
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