Pourquoi les femmes ont honte de dire "j’ai couché avec autant de partenaires ?" : Amal Tahir donne des éléments de réponse
Dans un essai intitulé "Aimer sainement ; en finir avec les dynamiques toxiques dans le couple" (éd. Leduc), Amal Tahir explique le besoin de sortir du cadre des relations toxiques. Elle s’épanche longuement sur le concept de la "validation masculine" qui pollue nos relations et fomente les histoires toxiques. Sortir de ces dynamiques implique des changements de paradigmes que la coach invite à embrasser.
"Il faut se battre en amour". Vraiment ? Et si cette idée de "devoir gagner" l’amour de l'autre n’est en réalité qu’un lieu commun qui mérite d’être déconstruit ? C’est en tout cas ce que suggère Amal Tahir, coach en amour et influenceuse sur Instagram, qui depuis quelques années, est devenue l’oreille attentive des femmes (et de quelques hommes) sur les questions liées à l’amour et la sexualité.
Pour elle, cette idée de la "conquête de l’amour" alimente le concept de la "validation masculine" qui a biberonné les femmes. Notre culture populaire est imprégnée de l’idée que l’homme choisit sa partenaire tandis que celle-ci attend d’être choisie. Au micro de Yahoo, elle prend l’exemple de la série Gossip Girl. Dans cette série phare des années 2000, l’un des héros, Chuck Bass, est représenté comme un bad boy charmant capable de n’aimer que sa personne, jusqu’à ce qu’il couche avec Blair Waldorf. Chuck, qui enchaîne les femmes comme on change de chemise, devient transi de la jeune femme et fera tout pour lui prouver le caractère unique et peu commun de ses sentiments. Dans un premier temps, cette dernière se refusera à lui avant de lui consacrer un amour dévoué et toxique. Les deux entretiendront une relation jalonnée de hauts et surtout de bas. De très bas. La finalité : après moult adversités, ils se marieront et auront des enfants. Pourtant, Blair a pendant un temps fréquenté le "lonely boy" de la série avec qui elle a entretenu un rapport plus sain. Cette dualité entre "le coeur" et "ses raisons" est probablement l’idée qui a forgé toute une génération d’adolescents/futurs amoureux.
La cause ? Le patriarcat, encore et toujours
Les racines de la "validation masculine" sont à chercher du côté de notre société patriarcale. Dans son essai intitulé "Rivales", Marie-Aldine Girard explique que pendant longtemps, les femmes étaient choisies par les hommes sur base d’attributs tels que la beauté et la jeunesse. Cela leur permettait d’accéder aux bons partis, à savoir les hommes issus de familles aisées, de procréer, d’être protégées et de s’assurer une bonne descendance. Les femmes ont été élevées pour attirer l’attention de l’homme, pour être choisies. Le luxe du choix était presqu’exclusivement octroyé au mâle.
De nos jours, la manifestation de la validation masculine s’exprime notamment lors du date. D’après Amal Tahir, lors d'un rendez-vous amoureux, de nombreuses femmes "mentent non pas parce que ce sont des menteuses, mais par validation masculine". La gent féminine aura tendance à cacher son passé sentimentale voire à passer sous silence ses expériences sexuelles passées par peur d’être jugées. Ces mensonges délibérés et cette crainte d’afficher sa vulnérabilité les plongent dans des relations moins saines.
Vidéo. Amal Tahir : "C'est violent les expressions utilisées par les hommes pour parler de sexe"
Car, pour reprendre une autre idée très populaire, "la vérité finit toujours par éclater". "Si tu es jalouse, ne fais pas semblant de ne pas l'être. Ce n'est pas grave, c'est une conséquence du patriarcat", explique Amal Tahir.
Les hommes ne sont pas épargnés par le poids du patriarcat dans les relations hétérosexuelles. D’après Amal Tahir, l’"effet de groupe", recherche tant convoitée au sein de la gent masculine pour affirmer sa virilité, peut nuire au développement des comportements sains. Pour se sentir intégré dans un groupe, un homme peut forcer le trait et tenir des propos sexistes. La coach va plus loin : "Un mec aura tendance à dire : ‘Je la kiffe parce qu’elle est bonne’ plutôt que d’avouer qu’ils apprécient la fille parce qu’ils la trouvent brillante, par exemple.’"
Comment sortir du schéma hétéropatriarcal ?
Dans "Aimer sainement", la coach insiste sur l’importance d’un apprentissage, d'une formation à l’amour. "On ne nous apprend pas à aimer" regrette-t-elle. Elle en veut pour preuve la vulgarisation du sexe ces dernières années sur les réseaux sociaux. Les sentiments quant à eux sont laissés sur le carreau.
Pour que cesse la "polarisation" du sentiment amoureux en fonction du genre, Amal Tahir suggère de déconstruire en faisant preuve, entre autres, d'une plus grande transparence. Les femmes doivent arrêter de donner du grain à moudre à la validation masculine. Comment ? En se questionnant sur comment elles envisagent leur relation. "Il faut éviter de tomber dans le syndrome de la fille bien ou dans le challenge. Il faudrait tout simplement affirmer sa vulnérabilité et dire "voilà comment je suis"".
Quant aux hommes, la coach leur propose de tenir compte de "la conséquence patriarcale de vouloir appartenir à un groupe". Enfermés dans des schémas, certains n’osent pas exposer leur sensibilité, parler de leurs problèmes sexuels et émotionnels. Ce qui se traduit par une sexualisation presqu’automatique de leurs désirs. "Quand ils aiment bien une femme, ils doivent toujours le prouver presque par un truc sexuel. On ne se rend pas compte mais c'est violent les expressions utilisées par les hommes pour parler de sexe".
Les avantages à sortir du schéma hétéropatriarcal en amour sont nombreux. "Aimer sainement" ne signifie pas "aimer moins" ou sans aspérités, souligne la coach. Aimer autrement, serait-ce une façon de réenchanter l’amour ? Une question cruciale pour divers auteurs. Dans son ouvrage "De l’âme soeur à Tinder" la philosophe Éliette Abecassis explique qu’il en va de la survie de notre humanité d’aimer sans rationaliser. Des visions diamétralement opposées certes, mais qui tendent à répondre au même questionnement : comment redonner foi à une génération effrayée par le sentiment amoureux ? Car oui, "on ne badine pas avec l'amour".
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