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"Je m'arrache les cheveux et les sourcils", ces femmes qui souffrent de trichotillomanie

Elles s'arrachent de façon compulsive des poils ou des cheveux, jusqu'à se dégarnir les sourcils ou le crâne. De jeunes femmes souffrant de trichotillomanie nous expliquent à quoi ressemble leur quotidien sous le regard interrogatif de leurs pairs.

Getty images
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Tous les soirs ou presque, quand elle se pose sur son canapé après une journée de travail, Clara* est prise d'une compulsion difficile à réfréner : celle de s'arracher les sourcils. À 35 ans, la Parisienne a vu apparaître ce comportement chez elle aux alentours de sa vingtième année. "Avant je me rongeais les ongles, et puis j'ai l'impression que cela s'est déplacé". En plus des sourcils, la jeune femme se retire régulièrement des cheveux : "Je repère les plus épais et bouclés et je les arrache. Pourquoi ceux-là ? Je n'en ai moi-même aucune idée. Tout ce que je sais, c'est que cela m'apaise sur le coup". Clara souffre de trichotillomanie, une maladie psychique méconnue qui concernerait entre 0,5% et 4% de la population. "Il ne s'agit pas d'un TOC car il n'y a pas de pensée obsédante, mais d'une toxicomanie gestuelle touchant surtout les filles", explique Jean-Christophe Seznec, médecin psychiatre spécialiste de la question. La maladie n'a heureusement pas de graves conséquences sur le quotidien de Clara, qui n'en a développé qu'une forme légère : "Personne ne peut voir que je m'arrache les cheveux si je ne leur dis pas. Et pour les sourcils, je mets du crayon, ce qui permet de colmater les trous qu'il y a parfois". Mais la trichotillomanie peut être source de profond désarroi chez d'autres personnes, bien plus impactées.

Pendant longtemps, Mylène* a été très handicapée par les graves conséquences esthétiques de son trouble. "Il me manquait des plaques entières de cheveux, ce qui me donnait l'air malade. Cela suscitait des questions et réflexions de la part de mon entourage proche, et nuisait à ma vie sociale, voire professionnelle", explique cette vingtenaire. Mais cette maladie dont elle avait honte induisait également une très forte charge mentale : "On a peur que cela se voie, alors on se flique en permanence. C'est une préoccupation constante dans les moments de vie simples tels que la douche, les baignades etc. Mais surtout dans les moments intimes où l'on ne peut pas toujours cacher les dégâts".

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L'expression d'un mal être

Au pic de sa maladie, la jeune femme est allée jusqu'à s'interdire de sortir, d'aller chez le coiffeur, et plus grave encore, de consulter des médecins. Mais même si elle n'en est pas guérie, Mylène a aujourd'hui décidé de s'autoriser à vivre normalement. Le déclic a eu lieu lorsqu'elle a commencé à en parler et s'informer sur la maladie. Et quand elle s'est rasé les cheveux pour la première fois, à 18 ans. Une décision qu'elle a vécue à la fois comme une "ablation" et comme un soulagement voire une renaissance. "On n'a pas besoin d'avoir une chevelure pour être une femme accomplie, belle, forte etc. Le crâne rasé n'est pas un stigmate, c'est une force et ça peut aussi être un choix aussi valide que tous les autres ! On n'est pas obligés de vouloir récupérer ses cheveux".

Pour arriver à l'acceptation, il est souvent nécessaire de connaître l'origine et le fonctionnement du trouble : "Bien comprendre la trichotillomanie permet de sortir de la honte et de l'incompréhension, et d'avoir conscience des tenants et des aboutissants de la maladie pour pouvoir agir dessus", explique Jean-Christophe Seznec. Accepter d'extérioriser des émotions, parfois anciennes, s'avère également salvateur. Grâce au travail thérapeutique qu'elle effectue, Julie a compris que sa trichotillomanie était l'expression d'un mal-être de l'enfance. Quand elle s'est déclarée, elle avait entre 4 et 6 ans et souffrait d'un sentiment de solitude et de rejet. Victime de nombreux problèmes de santé, Julie a en effet dû subir des "examens assez intrusifs" ainsi qu'une rééducation de quatre ans qui l'a isolée de ses camarades d'école : "J'étais considérée comme différente et mise à l'écart. J'avais l'impression que ma maladie était de ma faute, alors je me renfermais. La trichotillomanie me permettait d'exploser en silence et d'apaiser ma culpabilité".

L'arrachage est plus fort dans les moments de passivité et de repos

Sa maladie lui a ensuite gâché ses années de collège et de lycée en internat : "Je me levais très tôt le matin pour avoir le temps de me coiffer pour que rien ne se voie. Cela me prenait jusqu'à 2 heures pour être satisfaite. Malgré cela, le mystère autour de mes cheveux a pris beaucoup d'ampleur. J'ai été harcelée : insultes dans le casier, vol de mon sac de sport ou de l'arrange de mes chignons etc", se souvient la jeune femme. Comme bien souvent, la méconnaissance d'une situation provoque le rejet. Heureusement, les réseaux sociaux permettent aujourd'hui aux personnes atteintes de faire connaître leur maladie. Julie a créé une page Instagram, et une célébrité, le mannequin Victoria's Secret Sara Sampaio, a pris la parole à ce sujet.

"Cela a commencé quand j'avais environ 15 ans ! D'abord c'était les cils, puis je me suis mise à arracher les poils de mes sourcils ! Depuis c'est la zone sur laquelle je m'acharne !", a-t-elle ainsi expliqué en story Instagram à l'été 2018. Le top model portugais qui a ajouté ne pas avoir honte de cette partie d'elle-même, a même donné des détails sur les moments les plus critiques : "Les épisodes sont pires quand je subis beaucoup de stress ou quand je ne fais rien comme regarder la télé ou lire un livre !". Rien d'étonnant pour le Docteur Seznec qui confirme que les malades "s'épluchent souvent lorsque le cerveau passe du mode neuronal d'action au mode neuronal de repos". De la même façon, Julie connaît elle des pics de compulsion lorsqu'elle est "sur [s]on téléphone à flâner sur les réseaux machinalement". Et cela est d'autant plus fort depuis qu'elle traite en thérapie ses "plus gros traumatismes d'enfance". Heureusement, mieux entourée et mieux au fait de ses mécanismes internes, elle parvient à vivre les choses avec un peu plus de recul. "Ce n'est plus un complexe ni même un tabou et encore moins un frein dans ma vie. Je ne suis plus en guerre contre MA trichotillomanie, j'essaie d'avancer avec elle".

*Les prénoms de ces témoins ont été modifiés

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