EN IMAGES - Couples mythiques : Jean Seberg et Romain Gary, les amants des deux mondes
Il a reçu deux fois le prix Goncourt, elle était une icône de la Nouvelle Vague. Romain Gary et Jean Seberg ont vécu une passion folle, se nourrissant mutuellement de leurs talents respectifs et plaçant l'art au centre de leurs vies, jusqu’à leur fin tragique. L’actrice légendaire des années 1960 aurait eu 82 ans ce 13 novembre 2020. Retour, en images, sur son histoire d’amour avec l’auteur des Racines du ciel.
Une rencontre peu protocolaire
C’est en sa qualité de consul de France que Romain Gary rencontre Jean Seberg en 1959, à Los Angeles. Le prix Goncourt 1956, en poste dans la ville californienne depuis trois ans, a pris l’habitude de recevoir le tout Hollywood dans sa résidence consulaire. Ce soir-là, il tombe en pâmoison devant l’actrice, qui vient d’achever À bout de souffle, le film de Jean-Luc Godard qui va lui apporter la gloire. La réciproque est vraie : en dépit de la présence de leurs époux respectifs – elle est mariée à François Moreuil, un avocat français en vogue, et lui à la femme de lettres britannique Lesley Blanch – la jeune femme ne quitte pas des yeux son hôte. Elle ne le quittera plus, tout court.
“J’adore Jean, comprenez-le bien, mais j’ai 90 ans”
Au début pourtant, Romain Gary, alors âgé de 45 ans, ne croit pas à leur histoire : “J’adore Jean, comprenez-le bien, mais j’ai 90 ans. J’ai beaucoup vécu et c’est cuit. J’espère rester avec elle le temps de quelques sourires”, écrit-il à son amie Sylvia Agid, en 1960. Un scepticisme compréhensible. Jean Seberg, alors âgée de 22 ans, est au faîte de sa beauté. À bout de souffle a fait d’elle en quelques semaines un modèle dont on imite la coupe de cheveux courte, le jean skinny et le t-shirt “Herald Tribune”.
Du Lutetia à la rue du Bac
Malgré leur différence d’âge, les deux amants se jettent à l’eau. Ils divorcent de leurs conjoints respectifs et vivent un temps dans une suite au Lutetia. L’innocence et la vulnérabilité de la comédienne émeuvent l’écrivain en même temps qu’elles l’intimident. Après quelques semaines de vie commune, ce dernier confie même à un ami que la jeune femme a un appétit sexuel qu’il peine à satisfaire. Ce qui ne l’empêche pas de s’installer dès 1960 avec elle dans un vaste appartement, au 108 rue du Bac, là où il se donnera la mort bien plus tard.
Une naissance à l’abri des regards
Très vite, la comédienne tombe enceinte. Les deux stars, divorcées – l'une contrainte par son puritanisme du Middle West, l'autre par la morale gaulliste – vivent leur amour et la naissance de leur enfant en Espagne à l'abri des regards. La venue au monde d'Alexandre Diego est passée sous silence pour n'être annoncée qu'en octobre 1963, dix jours après leur mariage dans un petit village corse. Un mariage qui, lui aussi, sera placé sous le sceau du secret.
Un mariage au pas de course
Pour convoler en justes noces, Romain Gary fait jouer ses relations militaires en la personne du Général Feuvrier, chef de la sécurité militaire de l'époque. Celui-ci fait organiser l'événement par l'officier Domy Colonna Cesari, rencontré en 2016 par la journaliste Ariane Chemin. “Ils sont arrivés en avion militaire, rembobinera-t-elle au micro de France Inter. Jean Seberg n’avait même pas de bouquet de mariée. Le maire, Noel Sarolla, a été choisi parce qu’il était connu pour être un homme qui accepte de rendre service. Il ne connaissait bien sûr ni Romain Gary ni Jean Seberg. Il n’a pas publié les bans, et sur le registre tout ou presque est faux. (…) Tous les biographes se sont cassés le nez sur cet épisode de leur vie. Romain Gary a réussi à les semer.” Insaisissable, comme toujours…
La grande vie…
Durant plusieurs années, le couple mène grand train. L’actrice roule en Chevrolet Camaro ou en Austin Princesse tandis que l’auteur conduit une Jaguar bleue. Leur appartement a été rénové par un décorateur en vogue, les lampadaires et les bibliothèques en bronze sont de Diego Giacometti. Cinq personnes sont à leur service, à celui de leur fils et de leurs huit chats. Et quand les amoureux ne dînent pas en compagnie de JFK et de Jackie Kennedy, ils passent plusieurs mois par an à Puerto Andraitx, où Romain Gary a fait construire une maison. La grande vie, en somme.
… Mais une vie tumultueuse
En dépit de ce décor idyllique, les deux artistes ont une relation orageuse : l’alcool, l’infidélité et leurs tendances suicidaires obscurcissent leur vie de couple, et défraient souvent la chronique. En 1964, l’écrivain publie une nouvelle dans Playboy intitulée Les Oiseaux vont mourir au Pérou, où il raconte la nymphomanie et la frigidité d’une jeune femme. Déçu par les adaptations cinématographiques de ses précédents romans, il décide de réaliser lui-même le film et offre le rôle de l’épouse infidèle à sa compagne. Le message est clair.
Des oiseaux de mauvais augure
Le film reçoit un accueil glacial. Interdit aux moins de 18 ans, jugé pornographique, les critiques sont unanimes : le film est médiocre. Jean Seberg a pourtant tout donné pour son rôle : “On la considérait comme une nymphomane, elle faisait don de sa personne, de sa beauté, de son corps après avoir déjà donné tout le reste, elle partageait pour ainsi dire démocratiquement”, écrira plus tard son fils pour lui rendre hommage. Reste que l’échec du long-métrage fragilise le couple. L’écrivain accompagne moins l’actrice sur les tournages. Quand il apprend que celle-ci a vécu une idylle avec Clint Eastwood, il donne une conférence de presse théâtrale pour annoncer qu’il divorce.
Des vocations irréconciliables
Dans un premier temps pourtant, Romain Gary et Jean Seberg rentrent tous les deux à Paris. Mais l’appartement de la rue du Bac est coupé en deux. La comédienne partage une salle avec son fils et la gouvernante, pendant que son ex-époux en occupe une autre, et passe son temps à écrire. Revenant en 1970 sur les raisons de leur séparation, l’écrivain aux deux Goncourt dira : “Au départ, il y a un problème insoluble. L’un ou l’autre doit se supprimer en tant qu’activité sociale professionnelle. Les vocations, qu’il est criminel de vouloir abandonner, étaient par certains moments, au point de vue vie commune, irréconciliables.” Après les avoir réunis, l’art a fini par séparer les deux amants, qui continuent malgré tout de vivre sous le même toit après leur divorce.
La traque du FBI
Comme beaucoup d’acteurs de l’époque, Jean Seberg est une idéaliste. Elle lutte pour les droits civiques, contre le racisme, et soutient activement les Black Panthers, considérés par le FBI comme un “Groupe de Haine de nationalistes noirs”.
Pour la mettre dans “l’embarras et servir à ternir son image vis-à-vis du public”, selon une lettre officielle du directeur de l’agence fédérale, le FBI fait courir la rumeur qu’elle est enceinte d’un membre du groupe. Durement touchée par la calomnie – elle était bien enceinte, mais d’un amant de passage – l’artiste sombre. Après une tentative de suicide, elle accouche d’une petite-fille mort-née. Psychologiquement atteinte, elle exposera le corps de l’enfant dans un cercueil de verre pour montrer qu’il est blanc.
La plume contre l’épée
Ulcéré par la campagne de diffamation qui a plongé son ex-épouse dans la dépression, Romain Gary publie alors dans France-Soir une lettre virulente pour dénoncer les manœuvres du FBI et défendre Jean Seberg : “Depuis l’âge de 14 ans, cette fille du Middle West soutient le droit des Noirs dans son pays. Alors, il fallait à tout prix expliquer son horreur du racisme par des penchants sexuels. Il fallait à tout prix prouver qu’une femme blanche qui croit encore au rêve américain de justice et de fraternité, le rêve de Jefferson et de Lincoln, ne s’intéresse en réalité aux Noirs que parce que ceux-ci sont devenus chez les dingues racistes des symboles très attirants du fruit défendu.”
Tuer pour sauver
Pour tenter d’empêcher Jean Seberg de sombrer à nouveau, son ex-mari lui offre le rôle principal de son film Kill !, en 1971. Et qu’importe que le long-métrage soit une nouvelle fois éreinté par la critique. L’essentiel est ailleurs, comme le révèlera une lettre de l’actrice à l’écrivain, datée du 22 janvier 1972 : “Romain mon amour (...) Quand tu as réalisé le film, avec si peu d’aide de qui que ce soit autour de toi, c’était en partie dans le but de sauver ma vie. Au sens propre du terme. Personne – et surtout moi – ne pensait que je serais même capable de travailler à nouveau, que je serais à même de trouver les ressources psychiques et la force physique. Et tu savais que c’était une question de survie pour moi de trouver la discipline et la force de travailler à nouveau. C’était un acte d’amour.”
“Mon fils chéri, pardonne-moi”
Romain Gary assistera financièrement la jeune femme, même après son remariage en 1973. Il la soutiendra jusqu’au bout, passant chaque Noël à ses côtés, jusqu’à ce que le désespoir soit le plus fort. Le 8 septembre 1979, le corps de l’actrice est retrouvé par la police, enroulé dans une couverture à l'arrière de sa Renault blanche rue du Général-Appert dans le XVIe arrondissement de Paris.
On trouve dans sa main un mot d'adieu adressé à son fils : “Diego, mon fils chéri, pardonne-moi. Je ne pouvais plus vivre. Comprends-moi. Je sais que tu le peux et tu sais que je t’aime. Sois fort. Ta maman qui t’aime.” Fou de rage, l’auteur convoque une conférence de presse pour dénoncer la responsabilité du FBI, dont l’entreprise de diffamation a peu à peu fait basculer son ancienne amante dans l’abîme.
“Aucun rapport avec Jean Seberg”
Ce geste irrévocable, Romain Gary le commettra à peine plus d’un an après. Le 2 décembre 1980, il se tire une balle dans la tête. À côté de lui, un mot passé à la postérité trône bien en évidence : “Aucun rapport avec Jean Seberg. Les fervents du cœur brisé sont priés de s’adresser ailleurs. On peut mettre cela évidemment sur le compte d’une dépression nerveuse. Mais alors il faut admettre que celle-ci dure depuis que j’ai l’âge d’homme et m’aura permis de mener à bien mon œuvre littéraire. Alors, pourquoi ? Peut-être faut-il chercher la réponse dans le titre de mon ouvrage autobiographique La nuit sera calme et dans les derniers mots de mon dernier roman : ‘Car on ne saurait mieux dire’”. De l’art d’avoir le dernier mot.