Rachel-Flore Pardo (Stop Fisha) : "Le cybersexisme c’est l’incarnation en ligne du sexisme"
Depuis quelques années maintenant, on observe de plus en plus de dérives inquiétantes sur les réseaux sociaux, et les jeunes femmes sont malheureusement souvent en première ligne. C’est pourquoi Rachel-Flore Pardo s’emploie à sensibiliser les consciences autour des cyberviolences et du cybersexisme. Activiste et avocate spécialisée dans cette thématique encore trop peu discutée dans le débat public, elle est aussi la co-fondatrice de Stop Fisha, une association féministe contre le cybersexisme. Pour Yahoo, Rachel-Flore Pardo explique les rouages d’un fléau 2.0 qui sévit de plus en plus à travers nos écrans, et dont les conséquences dans la réalité peuvent être dramatiques…
C’est un phénomène qui secoue le monde des réseaux sociaux. Sur Instagram, Snapchat ou même parfois Facebook, des comptes "fisha" diffusent des photos ou des vidéos dénudées de jeunes femmes, parfois encore adolescentes, sans leur consentement et dans le but de les "afficher" sur la place numérique. Un cybersexisme que combattent plusieurs activistes, à l’instar de Rachel-Flore Pardo. Cette avocate activiste a ainsi co-fondé l’association Stop Fisha, qui vise à démanteler un réseau particulièrement vicieux, dont les rouages ne sont pas toujours faciles à identifier.
Une nouvelle forme de sexisme
"Le cybersexisme c’est l’incarnation en ligne du sexisme qui se reproduit dans notre société" explique Rachel-Flore Pardo, témoin depuis quelques années maintenant de l’impuissance que peuvent ressentir les victimes face à cette cyberviolence. C’est pourquoi elle porte la prévention au centre de son travail de sensibilisation. Car oui, des sanctions peuvent et doivent être prises contre celles et ceux qui se rendent coupables de ces faits : "Quand on est victime de violence en ligne sexiste ou sexuelle, il y a plusieurs réflexes à avoir. La première chose c’est, pour pouvoir plus tard faire valoir vos droits, prendre des captures d’écran des messages ou de la photo qui vous portent préjudice."
Dans un second temps, l'avocate encourage les victimes à signaler les "comptes et contenus litigieux". Mais il y a aussi la dimension psychologique à ne surtout pas négliger lorsque l’on se retrouve ainsi au centre de la cyberviolence : "Les conséquences de ce type de violence sont parfois minimisées, mais elles peuvent être assez dommageables" souligne Rachel-Flore Pardo. Compte tenu de son caractère numérique, la cyberviolence est trop souvent banalisée. Les nouvelles générations ont même tendance à penser que tout ce qui se joue sur les réseaux sociaux appartient à un monde parallèle, loin des enjeux de la réalité. "Parfois, j’entends que les violences en ligne seraient moins graves que des violences physiques. Je veux juste rappeler ici que les conséquences des violences en ligne peuvent être absolument dramatiques. Elles peuvent conduire à des formes de dépression, parfois très graves qui, dans des cas, et on en connait, ont conduit au suicide" déplore-t-elle.
Oui, la cyberviolence est de partout, et prend différentes formes à mesure que "les nouvelles technologies se développent et que notre usage change." Rachel-Flore Pardo prend ainsi l’exemple des "deepfake pornographiques", ces montages qui visent à coller l’image d’une personne sur le corps d’un acteur ou d’une actrice pornographique, "pour faire croire que c’est une photo d’elle dénudée et la diffuser très largement". Cette pratique, au-delà de l’humiliation et des conséquences destructrices pour la victime, joue sur la naïveté d’une audience parfois très jeune, qui n’a pas le réflexe ou les capacités de s'assurer de la véracité du montage. Il y a quelques jours, c’est l’influenceuse aux millions d’abonnés, Lena Situations, qui a été victime d’un deepfake, apparaissant nue sur des fausses photos relayées sur Instagram. "Ce sont des montages, ils prennent ma tête et la colle sur des corps de nanas nues (très facile à faire sur Photoshop" a-t-elle prévenu dans sa story).
Vidéo. "200 condamnations seulement sur des faits de diffusion non consentie de contenus à caractère sexuel"
"Sans les réseaux sociaux, on n’arrivera pas à vaincre la lutte contre la haine en ligne"
On le sait : les réseaux sociaux peuvent très vite devenir toxiques pour quiconque s’y aventure. Une sorte de zone grise où la justice semble rencontrer tout le mal du monde à sévir. "Ces violences doivent être traitées avec la plus grande gravité et une conscience de l’urgence avec laquelle il convient de réagir. Plus le temps passe, et moins on sera en capacité de mettre un terme à l’infraction" alerte Rachel Flore-Pardo. Aujourd’hui, l’avocate spécialisée en cybersexisme tient à rappeler les sanctions auxquelles les auteurs de ces actes s’exposent. Car la diffusion non consentie de contenus à caractère sexuel relève bien d’une infraction pénale, passible de "deux ans d’emprisonnement et 60.000 euros d’amende si la personne victime est majeure." Si la victime est mineure, alors il s’agit de 7 ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende.
Voilà pour la théorie. En pratique, malheureusement, ce n’est pas la même musique. Il y a quelques jours, une étude basée sur près de 8.700 messages privés sur Instagram a révélé que neuf fois sur 10, la plateforme n’agit pas en cas de cyberharcèlement misogyne. Pour Rachel Flore-Pardo, comme pour beaucoup, la situation n’a que trop duré. Il faut désormais "inciter les réseaux sociaux à davantage de coopération et de modération. Sans les réseaux sociaux, on n’arrivera pas à vaincre la lutte contre la haine en ligne." L’avocate pose même la question : en fermant les yeux sur ces cas de cybersexisme et harcèlement, les réseaux sociaux ne se condamnent-ils pas à "une forme de complicité" ?
Et quand Instagram ne réagit pas, c’est la justice qui ne sévit pas assez. "Une étude a montré qu’en 2020, sur 3000 plaintes déposées, il y avait eu 200 condamnations seulement sur des faits de diffusion non consentie de contenus à caractère sexuel" déclare Rachel Flore-Pardo. Pour elle, cette situation soulève un "véritable enjeu d’éducation de tous les personnels de justice sur ces infractions-là." Forces de l’ordre, avocat.e.s, magistrat.e.s et juges doivent se mettre à la page : les nouvelles technologies ne le sont plus tant que ça, et la violence qui peut y régner semble échapper à la justice.
Alors il faut le rappeler, encore et encore : diffuser et même partager de façon non consentie du contenu à caractère sexuel, c’est une infraction pénale. Et il est essentiel que les auteurs ET les victimes en aient pleinement conscience.
Vidéo : Carmen Barba
Article : Sarah Mannaa
À lire aussi :
>> Instagram : méfiez-vous de l’arnaque aux "codes d’activation"