Journée internationale des droits des femmes: "Mon collègue a fini par se prendre un blâme au travail parce qu'il a dénoncé l'inégalité salariale"
La loi est formelle à ce sujet : à travail égal, salaire égal. La théorie est belle, mais la pratique est loin d'être respectée, malgré les mesures mises en place par le gouvernement. En 2021, l'écart salarial entre hommes et femmes s'élevait à 16,5%. Des femmes victimes de ces disparités témoignent.
A quoi sert encore la journée internationale des droits des femmes ? Cette question revient tous les ans à l'occasion du 8 mars, et les masculinistes doutent de son intérêt. Il faut dire que pour bon nombre de personnes, il n'y a plus d'inégalités de genre en France. En théorie, il y a effectivement des lois destinées à lutter contre ces dernières, comme celle qui impose une égalité de salaire entre les hommes et les femmes. Mais en pratique, la situation est largement différente.
"J'ai découvert par hasard que mon collègue gagnait beaucoup plus"
Ces inégalités, Elisa* les a découvertes totalement par hasard. Après une mission en intérim, elle signe enfin le Graal : un CDI. Mais la jeune femme déchante très vite en découvrant que son collègue, embauché pour le même poste, était nettement mieux payé. "J'ai signé mon contrat trois semaines avant lui, et nous étions en très mauvais termes. Alors, un jour où il s'est absenté en laissant son contrat sur son bureau, j'y ai jeté un œil par curiosité." Une attitude pas très correcte, certes, mais qui lui a permis de faire une sombre constatation : "J'ai réalisé qu'il gagnait 4 000 euros de plus que moi par an, alors que nous avions le même âge, le même poste, le même niveau d'études et la même ancienneté." Rien qui justifie un écart d'environ 300 euros bruts par mois, donc.
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Après mûre réflexion, Elisa décide de mettre son patron devant le fait accompli. "Ce dernier m’a donc rétorqué qu'on n'avait pas le même diplôme, ce qui est vrai mais nous avons tous les deux un Bac+5, et exactement le même intitulé de poste sur notre contrat." Son employeur refuse malgré tout de lui accorder une revalorisation de salaire, lui disant que cette dernière sera faite quelques mois plus tard lors des augmentations annuelles. Mais l'employée obtient une petite victoire : une prime pour compenser la différence entre ce qu'elle gagne et ce que gagne son collègue. Malheureusement, l'augmentation promise n'est jamais arrivée : "Mon collègue a été viré, et mon patron estime donc qu'il n'y a pas besoin de m'augmenter, puisqu'il n'y a plus d'élément de comparaison." A l'heure actuelle, la principale intéressée est à la recherche d'un nouvel emploi : "Je n'ai pas dit ses quatre vérités à mon patron, car cela pourrait me desservir. Mais je compte bien lui présenter prochainement ma démission, et lui dire le fond de ma pensée concernant son manque de valeurs."
Inégalités salariales : quels sont les recours ?
Elisa a eu le bon réflexe en soumettant le problème à son employeur, estime Insaff El Hassini, experte en égalité salariale et négociation de rémunération. "La loi est très claire à ce niveau-là. A poste et qualifications égales, une femme doit être rémunérée à la même hauteur qu'un homme. Il ne doit pas y avoir de discrimination de rémunération basée sur le genre, que ce soit envers un homme, une femme ou une personne non-binaire." C'est ce que stipule la loi n° 2006-340 relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes.
En cas d'écart remarqué, la spécialiste recommande d'agir de la façon suivante : "La première chose à faire lorsque l'on constate une inégalité de salaire, c'est de prendre rendez-vous avec sa hiérarchie pour demander un rééquilibrage de rémunération." Ophélia Daubié, juriste en droit social, recommande par ailleurs de demander des explications à ses supérieurs pour "comprendre les raisons liées à ces disparités : l'expérience, le diplôme, l'ancienneté..." Différentes choses qui sont liées aussi à la convention collective. "Si ces facteurs n'entrent pas en compte, il est important de se rapprocher des représentants du personnel, qui vont pouvoir enquêter pour déterminer s'il s'agit d'un cas isolé, ou de quelque chose de récurent." En cas de refus de l'employeur, il est possible de saisir un juge, et de lui apporter des éléments qui laissent supposer une inégalité de traitement. "Pour faire valoir son droit à être rémunérée au même niveau que celles ou ceux qui effectuent un travail égal ou de valeur égale au sien, une femme a la possibilité, outre le dialogue avec sa hiérarchie et l’employeur, de rechercher plusieurs appuis, dans un périmètre plus ou moins élargi", explique Maître Cécile Terrenoire, avocate d'Affaires. "Lorsqu’elle se considère victime d’une situation de discrimination salariale en raison du genre, elle a ainsi la possibilité, au sein même de l’entreprise, d’attirer l’attention des instances représentatives du personnel, lorsqu’il en existe : comité social et économique (CSE) ou organisations syndicales représentatives."
Selon la spécialiste du droit du travail, ces organismes peuvent agir de la façon suivante :
Le CSE pourra mettre en œuvre une procédure d’alerte d’atteinte aux droits des personnes en raison d’une situation de discrimination salariale fondée sur le genre ; dans ce cas, l’employeur a l’obligation d’ouvrir une enquête avec le membre du CSE à l’origine de l’alerte ; en cas de divergence sur la réalité de la discrimination ou de sa persistance, le membre du CSE peut, à moins que la salariée ne s’y oppose, saisir le Conseil des prud’hommes de la situation (article L. 2312-59 du code du travail).
Les organisations syndicales représentatives : de saisir le Conseil des prud’hommes, en faveur de la salariée ; il est toutefois nécessaire que le syndicat en informe la salariée et que celle-ci, dans un délai de 15 jours, ne s’oppose pas à cette action ; la salariée aura la possibilité d’intervenir à l’instance engagée par le syndicat (article L. 1134-2 du code du travail).
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La spécialiste précise toutefois que "ces possibilités semblent encore peu mises en œuvre." Autres options ? "La salariée aura par ailleurs la possibilité de saisir le Défenseur des droits, ou encore d’attirer l’attention de l’inspection du travail, à laquelle il incombe en principe de veiller au respect du principe d’égalité des rémunération entre les femmes et les hommes effectuant un travail égal ou de valeur égale. Enfin, qu’elle se considère victime d’une situation de discrimination salariale en raison du genre, ou d’une absence de respect du principe « à travail égal ou de valeur égale, salaire égal », la salariée aura la possibilité de saisir le Conseil des prud’homme. Il lui appartiendra alors de démontrer le caractère comparable de sa situation avec celle du, de la ou des salarié·e·s dont elle revendique le même niveau de rémunération, et de présenter au juge des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination ou du non respect du principe "à travail égal ou de valeur égale, salaire égal". Elle pourra demander au juge qu’il demande à l’employeur la production des documents qu’il détient, tels que les bulletins de paie des salariés ou salariées auxquels ou auxquelles la salariée entend comparer sa situation. L’employeur devra prouver que la rupture d’égalité est justifiée par des éléments objectifs, le cas échéant étrangers à toute discrimination."
Le problème ? Découvrir lesdites inégalités. "Il y a un vrai tabou sur l'argent en France, et c'est le cœur de ces inégalités. C'est vulgaire de parler d'argent, intime. Parler de son salaire, c'est ne pas respecter les conventions sociales, on a peur du regard des autres ou que ça nous porte préjudice. Et le fait que les collègues ne parlent pas entre eux de leur salaire ne joue pas en faveur des femmes, puisque cela limite leurs chances de savoir combien leurs homologues masculins sont payés", regrette Insaff El Hassini.
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L'appui des collègues, un facteur essentiel mais difficile à obtenir
Même en cas de bonne entente au sein d'une équipe, obtenir des preuves d'inégalité n'est pas toujours une chose facile, ainsi que le précise l'experte. "On peut demander l'appui de ses collègues, mais il y a peu de chances de l'obtenir, car à partir du moment où l'on soulève un problème dans l'entreprise, on devient un élément perturbateur, et il peut y avoir des représailles. On vous réduit votre périmètre, on vous coupe du budget, on remet en question votre travail... Bref, tout est fait pour mettre en place un environnement qui vous fait douter, et vous fait penser que vous n'êtes pas légitime." Cette situation, Justine* regrette de l'avoir fait vivre à son collègue Gaspard* : "Avec mes collègues, on s'est toujours très bien entendus, et quand ils ont découvert que moi, la seule femme de l'équipe, était moins bien payée qu'eux, ils sont tous montés au créneau. À commencer par Gaspard : on avait fait nos études ensemble, on a le même âge, le même intitulé de poste, et on a commencé à quelques jours d'intervalle. Il m'a fourni ses fiches de paye pour que je les communique à mon avocate."
Justine a obtenu sa revalorisation salariale, mais très vite, la commerciale a vu son collègue déchanter. "Notre supérieur 'oubliait' de lui communiquer des infos importantes, lui mettait des bâtons dans les roues. C'était presque invisible en surface, mais le tout représentait un vrai travail de sape. Il a fini par se prendre un blâme parce qu'il avait pris trop de retard à cause de ces attitudes, et je ne peux pas m'empêcher de penser que c'est ma faute." "Cette invalidation peut même aller jusqu'à des propositions de rupture conventionnelle pour se débarrasser du problème... Et pour donner un exemple aux futures personnes qui pourraient avoir des velléités similaires", précise l'experte en égalité salariale et négociation de rémunération.
Les inégalités salariales, un problème global
Au-delà de la question des inégalités salariales pour un poste égal à niveau égal, il y a un autre facteur à prendre en compte concernant les inégalités de salaire : c'est l'inégalité de rémunération au sens global. Si on fait la moyenne entre le salaire de tous les hommes et celui de toutes les femmes, les femmes sont moins payées à l'échelle globale. La principale raison de cette situation, au-delà des inégalités de traitement, c'est qu'il y a de nombreux postes à responsabilité qui sont majoritairement occupés par des hommes, et qui sont les mieux rémunérés. Par exemple, les postes de commerciaux ou de directeurs financiers. Au contraire, des postes dans le domaine médical, qui sont majoritairement occupés par des femmes, en particulier dans le secteur infirmier. Et ces postes-là, qui sont pourtant essentiels, sont nettement moins bien rémunérés. L'index d'égalité professionnelle est également conçu pour rétablir l'équilibre à ce niveau-là, mais ça pose problème dans bon nombre d'entreprises où la parité dans les hautes sphères n'est pas respectée.
Une constatation qui énerve profondément Insaff El Hassini : "En moyenne, la population féminine présente sur le marché du travail est plus concentrée dans des professions qui sont sous-rémunérées : les métiers de la santé, de l'éducation... Des métiers qui sont vitaux, mais extrêmement mal payés. On peut d'ailleurs s'interroger pour savoir s'ils ne seraient pas sous-rémunérés parce qu'ils sont massivement occupés par des femmes." Le problème est d'ailleurs le même pour toutes les minorités, sous payées en comparaison des hommes, et encore plus particulièrement des hommes blancs. Aujourd'hui encore, les personnes de couleur, en surpoids ou handicapées souffrent fortement des inégalités salariales. Alors, quand une femme entre également dans une ou plusieurs de ces catégories, c'est la double peine.
Le concept méconnu des parois de verre
Le problème pour bon nombre de femmes, c'est qu'au-delà d'être confrontées au plafond de verre, elles sont aussi confrontées à un phénomène que l'on appelle les parois de verre. "Je ne devrais pas dire ça car mes clients sont majoritairement des patrons, mais même dans les entreprises qui rémunèrent de façon égalitaire les hommes et les femmes, les hommes ont généralement plus de chances d'accéder à des postes mieux rémunérés", précise une avocate spécialisée dans le droit du travail qui préfère rester anonyme. "Pourquoi ? Parce que ces derniers sont généralement plus mobiles : on leur confie des postes plus diversifiés, qui leur permettent de développer leurs capacités et leur donnent de nouvelles opportunités."
Cette dernière précise son propos en expliquant : "Les femmes qui font bien leur travail sont généralement cantonnées à un même poste. Elles sont bloquées au niveau évolution vers des postes supérieurs, mais aussi vers des postes à salaire équivalent, mais qui pourraient enrichir leur connaissance de l'entreprise et de ses problématiques. Un problème nettement plus insidieux, d'autant qu'il est plus difficile à prouver. Raison pour laquelle l'argument de l'expérience est souvent mis en avant pour justifier qu'un homme soit promu plutôt qu'une femme. Priver une femme de cette connaissance mosaïque, c'est aussi la priver de possibilités d'évolutions."
Une perspective d'évolution qui est aussi bloquée par le syndrome de l'imposteur que ressentent bon nombre de femmes, selon Insaff El Hassini : "Les entreprises ont très bien compris que les femmes ne savent pas forcément comment estimer leur propre valeur sur le marché du travail. Elles ne savent pas forcément comment calculer une rémunération juste ou comment négocier un salaire, et les employeurs en profitent. Pourquoi est-ce qu'ils iraient mieux payer une personne qui demande un salaire bas ?"
Les clés pour bien négocier son salaire
Dans son podcast Ma juste valeur, Insaff El Hassini délivre des clés pour permettre aux femmes d'avoir enfin le salaire qu'elles méritent. Et elle tient à faire passer un message à la gente féminine : "Arrêtez d'abandonner votre pouvoir lorsqu'il s'agit d'argent. N'attendez pas que le recruteur vous dise combien il veut vous payer, ou qu'un client vous propose un prix. Fixez votre propre valeur."
Son principal conseil ? "Renseignez-vous sur la valeur de votre profil, de vos prestations. Connaître la valeur de son expertise et de ses qualifications, c'est essentiel pour pouvoir négocier sa rémunération. Si vous attendez que quelqu'un d'autre vous propose un salaire, il sera forcément nivelé par le bas. C'est le syndrome Vinted, on a tous envie d'avoir du Chanel au prix Zara. Et surtout, plus vous allez niveler votre salaire vers le bas, plus vous allez donner une mauvaise image de votre travail, et cela peut vous jouer des tours." Une bonne raison supplémentaire de ne plus brader le fruit de son travail.
D'un point de vue plus pratico-pratique, Ophélia Daubié propose quant à elle les recommandations suivantes : "Il est intéressant de renseigner sur la convention collective pour connaître les montants en vigueur. Lors de l'entretien, vous pouvez également demander la grille de salaire appliquée pour le poste. Autre ressource intéressante : les études de rémunération, qui permettent de se faire une meilleure idée de la valeur de son profil." Et de conclure : "Il y a de plus en plus de coachs spécialisés en négociation de rémunération. N'hésitez pas à les consulter pour mieux vous préparer."
* Pour des raisons d’anonymat, certains prénoms ont été modifiés.
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