Harcèlement, propositions déplacées, tentatives d'agression... Leurs ventes Vinted ont tourné au cauchemar

Young woman sitting at table looking at her laptop and drinking coffee. Female using laptop at home.
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À l'origine, elles s'étaient inscrites sur Vinted pour shopper des vêtements de seconde main, ou pour vendre les affaires dont elles n'avaient plus l'utilité. Mais des dizaines de femmes se sont retrouvées à subir du harcèlement en ligne. Des hommes, dissimulés sous de fausses identités, ont vu la plateforme comme un nouveau foyer de victimes, qui ne s'attendaient pas à être accueillies de la sorte.

En quelques années, la plateforme Vinted a fait des millions d'émules à travers le monde. Le principe ? Vendre ou acheter des vêtements d'occasion à des particuliers via un système d'achat sécurisé. Très vite, la friperie virtuelle a généré des chiffres impressionnants : 8 millions d'utilisateurs et d'utilisatrices rien que sur le territoire français, 400 000 nouveaux articles ajoutés chaque jour en France, et 24,3 millions d'euros de chiffre d'affaire, selon les données publiées en février 2019 par la plateforme.

En théorie, Vinted a tout pour plaire. On y poste ses articles, on se promène de catégorie en catégorie comme sur n'importe quel site de vente en ligne, on échange avec les autres "vinties", on négocie les prix... Avec un objectif : faire de bonnes affaires. Mais dans certains cas, les fameuses bonnes affaires ont tourné au cauchemar, puisque plusieurs utilisatrices signalent des cas de harcèlement et même des tentatives d'agression lors de remises en main propre. Elles se sont confiées à Yahoo.

"Derrière un pseudo féminin se cachait un cinquantenaire libidineux"

Alicia, 19 ans, fait partie de celles qui ont été trompées par l'anonymat permis par la plateforme. "Je pensais vendre mes robes d'été à une certaine Marjorie, qui disait avoir mon âge. Pseudo féminin sur Vinted , photo de profil d'une jeune femme... Je ne me suis pas méfiée. Comme nous vivions toutes deux sur Paris, pour éviter les frais de port, on convient d'une remise en main propre. Arrivée sur place, c'est un mec d'une cinquantaine d'années, hyper libidineux, qui m'a abordée. Il m'a d'abord dit qu'il voulait faire un cadeau à sa fille, puis a insisté lourdement pour m'offrir un verre. Il a fini par m'attraper par le bras. Je me suis débattue, et je suis partie en courant."

Cette situation est tout sauf anodine selon Myriam, qui refuse désormais de faire des remises en main propre après deux rencontres de ce type. "La première fois, je suis tombée sur un type qui refusait de me payer tant que je n'acceptais pas d'aller boire un verre avec lui. La seconde, je me suis pointée avec mon mec. "L'acheteuse" n'est jamais venue, mais j'ai reçu des dizaines de messages d'insultes via la plateforme, avec des questions : 'C'est qui lui ?', 'Tu ne m'as jamais dit que tu étais en couple', 'Tu m'as fait perdre mon temps'. C'est Vinted, pas Tinder ! Et jamais je n'avais flirté avec cette personne, dont je n'ai au final jamais vu le vrai visage."

"Des ‘acheteurs’ me demandent des photos dénudées"

Sur Vinted, il n'y a pas que les rencontres physiques entre utilisateurs qui tournent mal. Parmi les vêtements que Natasha, 32 ans, essayait de vendre, il y avait des shorts, des maillots ou encore de la lingerie. "Très vite, je me suis mise à recevoir des messages qui demandaient des photos de ces pièces portées. Soit disant pour voir le rendu, le tomber... Je ne suis pas tombée dans le panneau, mais je me dis qu'une nénette un peu plus jeune ou moins méfiante aurait pu le faire sans hésiter, et on ne sait jamais où les photos auraient pu se retrouver, au final."

Margaux* (*pour préserver son anonymat, le prénom a été changé), influenceuse dans la région lyonnaise, a connu un problème similaire. Forte de quelques dizaines de milliers d'abonnés sur Instagram, elle fait régulièrement la promotion de son compte Vinted sur ses réseaux, et en contrepartie, elle reçoit une attention dont elle se serait bien passée. "On me dit toujours que c'est le jeu quand on s'affiche sur Internet", soupire-t-elle. "Mais je ne trouve pas ça normal pour autant. Des acheteurs me demandent des photos dénudées, ou commentent allègrement mon physique. Le pire message que j'ai reçu ? Un ‘acheteur’ anonyme qui m'a dit ‘Vu les fringues de salope que tu vends, si je te croise, je t'éclate ton petit cul’". Une menace de viol, donc, qui a profondément inquiété la principale intéressée.

"La plateforme, la police... Personne ne fait rien"

Face à la situation, la jeune femme s'est rendue au commissariat afin d'expliquer la situation. "C'était peine perdue", regrette-t-elle. "On m'a répondu que je n'avais qu'à supprimer mon compte, que ce n'était que des mots. Qu'ils ne pouvaient rien faire." Déçue, elle est finalement repartie sans porter plainte. Ce comportement des forces de l'ordre, les victimes de harcèlement en ligne le connaissent bien : récemment, ce sont les femmes victimes de menaces sur Curious Cat qui ont subi la même indifférence.

Et Vinted, dans tout ça ? "À part bloquer les personnes, et risquer qu'elles se créent de nouveaux comptes, sous de nouvelles identités ? On ne peut pas faire grand chose", regrette Alicia. Elle aussi découragée de porter plainte, la jeune femme a tenté de prendre contact avec la plateforme. Sans succès. "J'ai tout essayé : les signalements de comptes, le contact via le support, j'ai même tenté d'envoyer un mail au service de presse, le seul pour lequel il existe une adresse mail... Qui ne fonctionne même pas ! La plateforme, la police... Personne ne fait rien." Contactée par nos soins, l'équipe de Vinted n'a pas répondu à nos demandes d'informations sur le sujet.

Dépitées, les victimes de ce harcèlement se protègent donc comme elles le peuvent et n'utilisent plus l'application qu'avec une méfiance accrue. "À croire qu'on ne peut être tranquille nulle part quand on est une femme", lâche Natasha.

MaJ du 11/06/2020 : La réponse de Vinted

A la suite de notre publication, Vinted a tenu à faire une petite mise au point concernant la situation et tient à rappeler que la sécurité de ses membres tient à coeur à la plateforme et à ses dirigeants : “En tant que plateforme facilitant les échanges entre particuliers, nous sommes bien évidemment conscients que de telles situations peuvent se produire, mais nous prenons chaque cas très au sérieux et les traitons de manière individuelle. Nos règles explicitent clairement que tout harcèlement de quelque forme que ce soit est strictement interdit sur notre plateforme, et nous prenons les mesures nécessaires dès que nous sommes informés d’un cas.”

Elle précise toutefois que, par mesure de sécurité : “Nous leur déconseillons fortement d’effectuer des remises en main propre suite à une vente ou un achat. Nos équipes s’assurent sans relâche que la plateforme est sûre et sécurisée, mais nous ne pouvons bien évidemment plus garantir la sécurité de nos membres si deux utilisateurs qui ne se connaissent pas décident de se rencontrer physiquement, malgré nos conseils de ne pas le faire.” Pour ce qui est des messages indésirables, les équipes de Vinted rappellent qu’il est non seulement possible de bloquer les personnes, mais aussi de signaler les profils sur une page dédiée : “Pour chaque signalement reçu, nos équipes effectuent des vérifications et prennent les mesures nécessaires. Suivant le degré de gravité de l’infraction, nous pouvons décider de retirer le contenu concerné et/ou de restreindre l’accès de l’utilisateur à la plateforme. Dans le cas d’une situation de harcèlement sexuel évidente, nous bloquons généralement l’accès de la plateforme à cet utilisateur. Ce procédé implique plusieurs étapes dont nous ne pouvons révéler tous les détails en public, afin de garantir l’efficacité de ces mesures. De plus, nous disposons également de mesures de sécurité additionnelles liées par exemple à la création de doubles profils, la vérification de numéros de téléphone ou encore l’identification de comportements suspects, qui nous aident à empêcher l’usage de la plateforme par ces personnes.”

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