IVG et confinement : "Quand j'ai expliqué que je devais me faire avorter, on m'a répondu... 'C'est bien le moment...'"

La France, comme bien des pays, traverse actuellement une crise sanitaire de grande ampleur. La majorité des moyens médicaux sont concentrés pour soigner les personnes touchées par le Coronavirus, et cela a forcément un impact sur le reste des soins médicaux. Les interruptions volontaires de grossesse, notamment, sont nettement plus compliquées qu'en temps normal. La procédure est devenue un véritable parcours du combattant.

Les interruptions volontaires de grossesse ne sont jamais une partie de plaisir pour les personnes concernées. Ce droit fondamental, durement obtenu grâce aux combats des féministes, est désormais inscrit dans la loi : "Toute femme enceinte, y compris mineure, qui ne souhaite pas poursuivre une grossesse peut en demander l'interruption", affirme le Gouvernement à ce sujet. Toutefois, cette intervention médicale est toujours entourée d'un certain tabou, que ce soit de par les militants "pro-vie", qui s'y opposent, ou par certains membres du corps médical qui refusent de la pratiquer, invoquant leur propre "clause morale".

L'accès à l'IVG fragilisé par le Coronavirus

En cette période de crise sanitaire, et alors que les hôpitaux sont débordés, Laurence Rossignol avait demandé un aménagement de l'accès aux interruptions volontaires de grossesse, et notamment un allongement des délais légaux : "Il y aura de nombreuses femmes hors délai et des services perturbés", affirmait-elle sur Twitter, suite au refus de la part du Sénat de sa proposition. "Le gouvernement lâche les femmes et les médecins."

Le secrétariat d'Etat chargé de l'Egalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations avait toutefois diffusé un communiqué de presse, daté du 23 mars 2020, qui affirmait : "Les interruptions de grossesse sont considérées comme des interventions urgentes par le Ministère des Solidarités et de la Santé. Leur continuité doit être assurée." Une annonce rassurante, sur le papier. Mais qui se présente plus compliquée d'un point de vue pratique.

L'inquiétude du ministre de la Santé

Interrogé lors des questions au gouvernement, Olivier Véran, ministre de la Santé, a confirmé les craintes des associations féministes : "Des remontées de terrain confirment qu’il y a une réduction inquiétante du recours à l’IVG", reconnaît-il. Il se veut toutefois rassurant : "Il est hors de question que l’épidémie de Covid-19 restreigne le droit à l’IVG dans notre pays". Il dit même "ne pas avoir d'opposition de principe" à l'allongement du délai pour avoir recours à cette procédure”. Reste à savoir si le gouvernement reviendra sur l'amendement proposé par Laurence Rossignol, et qui a été refusé il y a quelques semaines.

Des services saturés et difficiles à contacter

A cause du confinement, plusieurs personnes souhaitant interrompre leur grossesse se sont retrouvées face à des portes fermées, en se rendant au Planning Familial de leur ville. Johanna*, 19 ans, était pourtant sous contraception. Son stérilet ne l'a pas empêchée de tomber enceinte, comme elle a pu le découvrir suite à un test de grossesse, et elle a eu le plus grand mal à joindre les services concernés : "J'habite à Nantes. J'ai contacté le Planning Familial ainsi que l'hôpital, et c'est bien simple : aucun des deux ne m'a répondu." Face aux lignes saturées, elle a alors pris la décision d'appeler le numéro vert mis en place par le Gouvernement (0800 08 11 11). "La personne que j'ai pu joindre m'a expliqué que les procédures étaient extrêmement ralenties à Nantes, et ont transféré mon dossier à une ville à 45 minutes de train de chez moi." Pire : le service est loin d'avoir montré de la bienveillance à son encore : "Quand j'ai expliqué ma situation, on m'a répondu 'C'est bien le moment'..."

Johanna* fait partie des "chanceuses". Elle est en tout début de grossesse et va pouvoir bénéficier des démarches facilitées : "J'ai rendez-vous le même jour pour l'échographie et l'IVG", explique-t-elle, quelque peu rassurée. Clémence* n'a pas eu cette chance. "Le Planning familial de chez moi est fermé. Sur la porte, un message disait d'appeler le centre de gynécologie de la ville, mais après plusieurs jours, je n'ai toujours pas de réponse, si ce n'est le message : 'Veuillez nous rappeler ultérieurement, tous nos consultants sont occupés." Plus les jours passent, plus son inquiétude grandit : "Je ne trouve aucune solution, et je vais être obligée de passer par l'IVG chirurgicale, alors que j'aurais préféré la méthode médicamenteuse."

Des IVG sans accompagnement

En temps normal, les personnes souhaitant avoir recours à une interruption volontaire de grossesse peuvent se faire accompagner par un proche : parent, conjoint, ami... En ce moment, règles sanitaires oblige, ce n'est pas le cas. "On m'a dit de m'équiper : gants, masque... Et surtout, de venir seule", regrette Johanna*. "Cela m'inquiète énormément, compte tenu de la distance que je dois parcourir, et des effets secondaires de la procédure..." Clémentine, qui travaille en tant que conseillère conjugale et familiale dans un centre de Planning Familial confirme : "Pour limiter les risques de propagation du Covid-19, les personnes ne peuvent malheureusement pas être accompagnées physiquement." La situation de Johanna* n'est pas étonnante pour elle : de nombreuses patientes ont été réorientées à cause de la situation sanitaire : "Dans certaines régions, les hôpitaux sont débordés, et donc renvoient les patientes vers des villes plus petites pour ce genre de procédure."

La situation n'en est pas moins source de colère pour Johanna*, qui l'affirme : "Bien sûr que les délais auraient dû être allongés ! L'IVG est vitale et le Gouvernement a même rappelé qu'il s'agissait d'une procédure d'urgence. Imaginez le nombre de femmes qui vont se retrouver hors-délai, ou même qui le sont déjà, et qui ne peuvent pas se rendre dans une clinique pour se faire avorter..."

Grossesse non-désirée : comment réagir ?

Si le confinement complique évidemment l'accès à l'IVG, les professionnels de santé tiennent tout de même à rappeler que des aménagements ont été pris pour faciliter la tâche des patientes : "Les centres de Planning Familial qui sont toujours ouverts pratiquent les IVG médicamenteuses, rappelle Clémentine. L'idéal pour les patientes est de contacter le numéro vert, ou d'appeler directement le centre d'orthogénie ou le CPEF (Centre de planification et d'éducation familiale) le plus proche. Les généralistes peuvent également prescrire à distance les premiers examens : dosage d'hormones béta HCG, carte de groupe sanguin et échographie de datation."

La situation reste toutefois inquiétante pour les professionnels de santé. Ce mardi 31 mars, plus d'une centaine d'entre eux a signé dans les colonnes du Monde une tribune affirmant qu'il était essentiel de "protéger les droits des femmes et maintenir l’accès à l’avortement." Ces spécialistes de l'IVG affirment être confrontés à plusieurs problèmes, notamment liés aux ressources humaines et à la limitation des déplacements. Ils demandent donc que "les avortements puissent être autorisés par voie médicamenteuse au domicile jusqu’à neuf semaines d’aménorrhée, soit sept semaines de grossesse", pratique validée par l'Organisation mondiale de la santé. Ils réclament par ailleurs que "les mineures soient dispensées du délai de quarante-huit heures qui leur est actuellement imposé avant leur IVG et puissent bénéficier d’une IVG dans la foulée de leur première consultation." Selon eux, la situation est urgente, et le ministère de la Santé se doit donc de prendre des mesures en conséquence.

* Pour un soucis d'anonymat, les prénoms ont été modifiés.

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