Arrêtons de vanter les mérites de la monodiète. Ce régime est dangereux
Dans une interview en anglais accordée au magazine "Glamour", l'actrice Philippine Leroy-Beaulieu fait la publicité dangereuse d'un régime désastreux pour l'organisme : la monodiète.
Parmi les plus gros loupés de ma vie, il y a mon inscription sur Instagram et le suivi d'une myriade de comptes sur le fitness. Ainsi, à peine ai-je le temps de digérer ma bûche de Noël et mes verres de Prosecco qu'on me rappelle qu'il faut que je détoxifie mon corps. Plusieurs options s'offrent à moi : le dryjanuary pour évacuer l'alcool, l'auto-hypnose pour arrêter le tabac, et la monodiète pour évacuer toutes les toxines de mon corps.
Il y a quelques années, quand une amie m'a parlé de sa cure de raisin blanc bio qu'elle suivait pour "purifier son corps", j'ai trouvé l'idée géniale. Parce que oui, à l'époque, je pensais que mon corps était débile et qu'il avait forcément besoin de mon aide pour se libérer de toutes les toxines. Aveuglée par mon désir de perdre du poids, dissimulée par mon hypocrisie de "vouloir faire du bien à mon corps", j'ai fait la diète pendant trois jours.
J'ai suivi scrupuleusement les conseils de mon amie sans me documenter outre-mesure sur Internet. Oui, je suis journaliste mais je ne doute jamais des dires de mes potes. J'ai donc pris mon petit totebag et je suis allée chez Naturalia choisir le plus beau raisin qui ferait du bien à mon corps. En réalité, je m'en fichais royalement des bienfaits sur mon organisme, j'avais juste envie de me délester d'"au moins deux kilos". En outre, je crois que ma vie ne devait pas être des plus palpitantes à ce moment-là car l'idée de me soumettre à une telle expérience me réjouissait. Résultat : j'ai passé trois jours bien nazes, mes intestins n'ont pas compris l'agression et je me suis fait passer pour la grosse débile de service en demandant à mes interlocuteurs de tout répéter, tant je n'arrivais pas à me concentrer. Mais... J'ai perdu du poids. Beaucoup. Et ça a fait l'effet d'une drogue sur moi.
Une personne sensée aurait dit : "J'ai fait l'expérience, elle ne s'est pas avérée concluante, je ne vais pas la réitérer." Je ne suis pas une personne sensée. Ou plutôt, je suis une femme sujette aux troubles du comportement alimentaire, qui se bat au quotidien pour que l'injonction à la minceur ait le moins d'emprise possible sur sa vie. Sur ce dernier point, j'ajouterai juste qu'il y a des jours "avec" et d'autres "sans".
Alors, quand je tombe sur cet article de Philippine Leroy-Beaulieu dans Glamour, sujet relayé par le magazine féminin Grazia, (je ne vous mets pas le lien car je ne souhaite pas en faire la promotion) qui vante les mérites de la monodiète à laquelle elle s'astreint chaque année, je prends peur. Pourquoi ? Parce que je sais que l'on est trop nombreux à taper "perdre du poids" sur Google (si nos chers magazines féminins commencent leurs titres : "Perdre du poids : ...", ce n'est pas pour rien) et que ce désir peut parfois nous mener à des finalités pas très heureuses.
Non, les monodiètes ce n'est pas pour le glow
Ce qui me fait peur, c'est la banalisation d'une diète qui est tout sauf normale et qui encourage les personnes sujettes aux troubles du comportement alimentaire à s'enfoncer davantage. Michel Mefaispaslamorale va me dire : "Chacun fait ce qu'il veut". D'accord. Mais Michel, tu trouverais ça normal toi de lire un papier sur : "J'ai fait le régime cigarettes, voici pourquoi j'ai adoré ?"
Quand Philippine Leroy-Beaulieu est interrogée sur les secrets de son glow parfait (alarme *injonction à une peau jeune et lisse au-delà d’un certain âge*), et qu'elle vante les mérites de la monodiète raisin, je suis en droit de m'interroger sur la responsabilité du média qui slalome entre les dangers des injonctions et nous infantilise en faisant croire que "non, attention, n'allez pas vous imaginer que... On vous parle de la monodiète mais ça n'est pas pour perdre du poids".
Vidéo. "Les monodiètes sont à la mode, pourtant, c’est un désastre !"
"Le même effet que le bon rosé que tu as vomi à 16 ans"
J'ai fait mes petites recherches... D'abord, sur Youtube. J'ai tapé "monodiète" sur le réseau et je suis tombée sur pléthore de vidéos. Dans les premières vidéos suggérées par le réseau social, on retrouve "J'ai mangé des pommes pendant 3 jours : je vous dis tout", "Ma monodiète santé : 3 jours de pomme", et "Jeûne intermittent - Une alternative plus facile : la monodiète". En poursuivant la recherche, on découvre le contenu d'un certain Alex Levand, un Youtubeur suivi par près de 800 000 utilisateurs, qui décrit le régime 100% pommes de la manière suivante : "Fais la monodiète (Fasting) - La méthode simple et efficace pour perdre du poids". En poursuivant mes recherches, je lis : "Régime de pomme || Jusqu'a -4 kg en 5 jours", "8 jours, - 6 kilos, monodiète de pommes."
Associer la monodiète à une perte pondérale rapide est la face cachée, celle que l'on dissimule derrière l'argument fallacieux du "je souhaite détoxifier mon corps". C'est ce que j'ai découvert en sondant quelques abonnés sur Instagram.
Elisa* me raconte que c'est sa professeure de danse qui lui a parlé de la monodiète pour la première fois. "C'était en pleine période de spectacles. Selon elle, j'avais pris du poids. Du coup, elle m'a dit de faire une monodiète de pommes pendant une semaine".
La jeune femme s'astreint à ce régime : "Les deux premiers jours, ça allait. À partir du 3e, j'ai eu des remontées acides et un dégoût total du fruit. D'ailleurs, je n'en mange plus depuis."
Elisa m'explique aussi l'impact psychologique que le régime pommes a eu sur elle : "Ça a créé une grosse frustration parce que ok, j'ai perdu du poids mais après, je me suis ruée sur la malbouffe." Elle insiste sur ce point : "Un de mes potes danseurs avait fait la monodiète banane. Depuis cette diète, il a des TCA (troubles du comportement alimentaire, ndlr). Il contrôle les étiquettes de chaque aliment à outrance."
Comment ça, le régime monodiète accentue les troubles alimentaires ?
En réponse à ma story, Virginia me dit qu'elle a tenté de la faire mais qu'elle n'a pu tenir qu'un seul jour. Elle m'explique que "c'est une sèche ultime (bonjour le jargon fitness) pour éliminer toutes les crasses dans le corps." Elle me donne l'exemple de son pote : "II le fait pendant 3 semaines avant de partir en vacances." T-R-O-I-S-S-E-M-A-I-N-E-S.
Julien* ne souhaitait pas spécialement perdre du poids. Sa motivation était liée à un souci de performance sportive en vue d'une participation au marathon de Paris : "Je ne me souviens plus exactement comment je me suis retrouvé à acheter un livre d’Henri Chenot dans lequel j’ai découvert les "bienfaits" de la mono-diète pour se "détoxer". Toujours dans un souci de performance et de découverte j’ai testé. J'ai suivi le truc à la lettre, j’ai donc mangé des pommes durant 3 jours." Son verdict : "Ça ne m’a pas fait de bien : sommeil agité, cerveau qui bloque au bout du deuxième jour sur la nourriture. Clairement, ça a créé un désordre digestif, pendant et après. Troisièmement, je suis aujourd’hui vraiment blasé de manger une pomme (un peu le même effet que le bon rosé que tu as vomi à 16 ans pour ta première cuite auquel tu ne veux plus toucher aujourd’hui). Et je rajoute pour terminer, que je n’ai pas fait le marathon à cause du confinement 3 semaines avant.".
Ça serait mentir que de vous dire que tous les utilisateurs ont pointé du doigt les dangers de la monodiète. Cédric* m'explique qu'il a adoré l'expérience : "J'ai réussi à faire ce régime pendant 6 jours. 24H facile. 48H l'enfer, tu ne penses qu'à manger autre chose (pour ma part, c'était la monodiète raisin). Au fur et à mesure, tu te sens léger. J'avais une meilleure qualité de sommeil et une flore intestinale largement améliorée.".
Vidéo. "Pour perdre du poids, il faut manger"
"Oui, c'est dangereux" !
Cédric n'est pas le seul à mentionner cette impression de légèreté et une meilleure qualité de sommeil. J'ai essayé de mettre mes a priori de côté et de faire mon job de journaliste. J'ai demandé à Cécile Bétry, endocrinologue au service d'Endocrinologie Diabétologie Nutrition au CHU de Grenoble et maître de conférence si la monodiète peut avoir des bénéfices (vraiment, pour vous, je l'ai fait...) La réponse de Cécile Bétry est limpide : "Il s'agit d'un effet placebo. Néanmoins les régimes restrictifs peuvent donner sur le court terme un sentiment de toute puissance et d'euphorie en ayant l'impression de prendre contrôle sur son corps. Il s'agit d'un leurre avec un sentiment négatif de dévalorisation qui va s'installer ensuite lors de la reprise de poids (plus de 90 % des cas après un régime)." J'ai essayé de creuser un peu plus en posant la question suivante : "La monodiète peut-elle réellement avoir un impact sur le sommeil ? Et sur la peau ?" Sa réponse est toujours sans équivoque : "Non, je ne vois pas par quel mécanisme."
Sans grande surprise, l'endocrinologue confirme que les monodiètes sont dangereuses pour l'organisme : "Oui, manger un seul type d'aliment est dangereux. D'une part, avec un seul aliment, il va être difficile, voire impossible d'avoir les apports nutritionnels nécessaires au bon fonctionnement de l'organisme. Selon la durée du régime et le type d'aliment consommé, les conséquences peuvent être plus ou moins importantes : fatigue, perte de masse musculaire, risque de troubles hydroélectrolytiques (apports insuffisants en certains ions), carence en vitamines etc." Et l'effet sera encore plus pervers pour les personnes souffrant de TCA : "Oui, bien sûr, les régimes restrictifs favorisent le risque de trouble du comportement alimentaire en perturbant les signaux physiologiques de faim et de satiété et en favorisant la restriction cognitive."
Jacques Jenaipasconfianceenlamedecinetraditionnelle va me dire que la monodiète lui a été prescrite par un naturopathe. Cécile Bétry met en garde : "Les personnes formées en nutrition déconseillent forcément ce type de régime, comme tous les régimes restrictifs de manière générale. Il existe beaucoup de charlatans dans le domaine de la nutrition qui se prétendent experts sans avoir de réelles connaissances et encore moins de diplômes."
Alors, si vous souffrez de troubles du comportement alimentaire, tentez de vous abstenir à une seule injonction : ne pas tomber dans ce piège.
Pour celles et ceux qui, comme Philippine Leroy-Beaulieu, visent le glow parfait, j'ai envie de vous donner ce conseil précieux prodigué par une conseillère Sephora désemparée face à mes complaintes sur "Ô combien mon teint terne me ruine la vie" : "Honnêtement, essayez de dormir un peu plus."
*Les prénoms ont été modifiés par souci d'anonymat